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J'ai eu le plaisir de partager la vie professionnelle quotidienne
de Pierre Péladeau, le fondateur du Journal de Montréal et
de l'empire QUEBECOR, durant les sept dernières années
de sa vie de 1991 à 1997.
J'ai voulu à mon tour partager cette expérience dans un livre:
"Pierre Péladeau cet inconnu" publié en février 2003 aux
Éditions Trait d'Union.
Bonne lecture
Bernard Bujold-
Texte disponible sur Google Books
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INTRODUCTION
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Chapitre 9
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Pierre Péladeau cet inconnu
À mes deux enfants, David et Stéphanie.
Merci à Carole pour sa généreuse collaboration
à cet ouvrage, ainsi qu’à Heljon de Rueire pour son inspiration.
Les
liens du sang sont toujours les plus forts...
Mario Puzo , Le Parrain.
Les meilleurs alliés de l’homme sont la femme
et le cheval...
Napoléon Bonaparte.
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INTRODUCTION
Il y a cinq ans,
en décembre 1997, Pierre Péladeau, certainement l’un des personnages
les plus controversés du milieu des affaires au Canada, s’éteignait, laissant
en héritage à ses sept enfants, nés de trois unions différentes, l’un des
plus riches et plus puissants empires de l’édition et de l’imprimerie en
Amérique du Nord.
Je suis arrivé
dans la vie de Pierre Péladeau en 1991 alors que l’empire Quebecor était en
pleine croissance et qu’il avait le vent dans les voiles. Le chiffre d’affaires
atteignait alors plus de deux milliards de dollars. Douze ans plus tard, au
début de 2003, il est de plus de 12 milliards de dollars.
J’ai vécu avec
Pierre Péladeau plusieurs événements uniques, captivants et parfois historiques.
Ma principale responsabilité était de m’assurer que l’image publique
du magnat de la presse soit à la hauteur du personnage. Je crois avoir connu
Péladeau sous plusieurs aspects de sa personnalité qui n’étaient pas toujours
visibles à première vue. J’étais avant tout adjoint exécutif, mais je suis
devenu peu à peu l’ami et le confident du président fondateur de Quebecor.
Aujourd’hui,
cinq ans après sa mort, je réalise que j’ai vécu aux côtés de Pierre Péladeau
une période très riche en événements dans sa vie et nécessairement dans
l’histoire de Quebecor. J’ai connu l’homme d’affaires québécois voici
plus de vingt-cinq ans et j’ai appris à l’apprivoiser. J’ai l’intime conviction
que l’histoire de ce grand personnage mérite d’être racontée.
Je suis un grand
amateur de photographie et, selon moi, une image permet souvent de percevoir
le vrai côté des gens. Lorsque je fais de la photographie, j’essaie de saisir
l’âme de la personne qui est devant mon appareil. On pourra aimer ou non mon
ouvrage, mais ce que j’ai voulu faire est une sorte de portrait en gros plan
de Pierre Péladeau, pris sous l’angle où je l’ai connu et qui, je crois, fait
ressortir plusieurs côtés méconnus du personnage.
Ce livre offre
un récit rempli d’anecdotes et qui raconte plusieurs faits vécus dans les
milieux des affaires ou de la politique avec diverses personnalités du
Québec et du Canada. Pierre Péladeau nous a laissé un héritage qu’il nous
appartient de découvrir dans tous ses bons et ses mauvais côtés. Je suis
très heureux de vous présenter le vrai Pierre Péladeau.
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CHAPITRE 1
Le 2 décembre
1997
La journée
avait commencé comme d’habitude. C’était une belle journée d’hiver froide
mais ensoleillée.
L’agenda de
Pierre Péladeau, grand patron de l’empire Quebecor, était bien rempli.
Quelques problèmes à résoudre et des rencontres à l’interne en
avant-midi. L’après-midi, il avait fixé un rendez-vous à un journaliste de
Radio-Canada. Cette entrevue était planifiée depuis quelques semaines déjà
et traitait d’un sujet qui lui tenait particulièrement à cœur : le mécénat
et les arts. On lui avait également demandé de choisir quelques-unes de ses
pièces musicales préférées que l’on ferait jouer tout au long de l’émission
diffusée sur les ondes de la radio FM de la société d’État. Au petit mot que
je lui avais envoyé quelques semaines plus tôt, il avait répondu d’accorder
l’entrevue le 2 décembre à 15 heures.
Si on lui avait
collé une étiquette d’homme d’affaires et de gestionnaire très rigide,
enrichie d’une réputation de grand séducteur et d’une autre, moins prisée,
de personnage irrévérencieux, on avait aussi découvert en lui un grand
philanthrope, admirateur et ami des artistes et des créateurs. Ce trait
de caractère a marqué de façon importante la dernière partie de sa vie.
Aux dires de ses nombreux détracteurs, il voulait se racheter. Aux dires du
principal intéressé, la vie l’avait choyé et il était normal qu’il redonne
un peu de ce qu’il avait reçu 1.
Le soir du jour
fatidique, un concert de l’Orchestre métropolitain avait lieu à la
Place des Arts, et M. Péladeau y avait invité une cinquantaine de personnes.
En tant qu’adjoint au président, je devais m’occuper de coordonner l’événement
et d’assigner les places aux invités. Je passai donc une bonne partie de
l’avant-midi à vérifier certains détails et à confirmer les présences de
dernière minute 2.
Vers 12 h 30, M.
Péladeau sort pour aller dîner. À ce jour, on ne sait toujours pas qui “ Monsieur
P. ” allait rencontrer. Rien n’était inscrit à son ordre du jour et, en sortant,
il n’a rien mentionné non plus à sa secrétaire quant à son emploi du temps
entre midi et 14 heures. Encore aujourd’hui, le mystère demeure. On ne semble
pas savoir qui était la personne avec laquelle il aurait partagé son dernier
repas. On a interrogé une quantité de gens, mais la question est restée
sans réponse.
Pierre Péladeau
revient au bureau vers 14 h 15 pour préparer l’entrevue de 15 heures. Il
enlève ses claques qu’il dépose bien alignées dans la salle de bains de son
bureau, au 13e étage de l’édifice Quebecor de la rue
Saint-Jacques, en plein cœur du quartier des affaires de Montréal.
Ce bureau a été
photographié à diverses reprises et les photographies ont été publiées
dans plusieurs magazines et revues. On sait que le grand bureau était situé
à l’angle des rues Saint-Jacques et McGill. Fenestré sur deux pans de murs,
il comportait, à l’entrée, une table de travail ronde et quatre chaises.
Plus loin se trouvait son bureau avec sur le côté, longeant les fenêtres, un
meuble sur lequel étaient posés sa chaîne stéréo et les disques de ses pièces
musicales préférées, qu’il écoutait sans arrêt.
Pierre Péladeau
suspend son manteau sur un cintre et s’assoit, non pas à son bureau, mais à
la table de travail située à proximité. Il aurait peut-être eu une
défaillance à ce moment précis, et aurait été trop faible pour se rendre jusqu’à
son bureau. Il était seul, tout le monde vaquait à ses occupations. Tout
était normal.
Vers 14 h 30, sa
secrétaire l’entend tousser d’une manière inhabituelle. Elle lui demande
alors si tout va bien, mais n’obtient pas de réponse. Monsieur P. était très
orgueilleux et n’aimait pas que les gens le prennent en pitié ou soient
témoins de ses faiblesses. Comme sa secrétaire n’entend aucun son, elle
quitte son poste de travail et se dirige vers celui de son patron, un peu trop
silencieux.
Au cours des derniers
mois, Pierre Péladeau, alors âgé de soixante-douze ans, avait eu quelques
malaises dont certains, assez sérieux, avaient été éprouvés lors de conférences
données devant différents groupes de gens d’affaires. Il n’y avait eu
aucune pression ; il adorait ce genre de rencontres. C’était “ sa ” routine,
mais on aurait dit que le corps ne suivait plus.
Après avoir bu
un café très fort, il revenait à lui, reprenait des couleurs et continuait
comme si rien ne s’était passé. Il avait augmenté sa consommation de café
corsé de façon considérable au cours des mois qui avaient précédé son attaque
du 2 décembre 1997.
Il ne faisait
pas attention à son alimentation et il pouvait manger des aliments très
riches et pas du tout recommandés pour son état. Il ne se privait de rien.
Il était inutile d’essayer de le contenir dans ses élans. Il refusait d’en
entendre parler. Il ne voulait pas savoir que, s’il continuait de cette
façon, il y laisserait sa peau. Il remettait toujours à plus tard toute
question concernant d’éventuelles mesures d’urgence à prendre à son
sujet, ou alors il écartait systématiquement la question.
Ce jour-là,
donc, je suis au téléphone, en train de discuter avec un des invités de M.
Péladeau pour le concert prévu en soirée, lorsque Micheline Bourget, sa
secrétaire, entre en larmes dans mon bureau. J’ai de la difficulté à comprendre
ce qu’elle me dit, tant elle est bouleversée, mais je devine que quelque
chose de grave vient d’arriver. Je cours vers le bureau de mon patron et je
le trouve évanoui sur sa chaise. Un filet de salive coule entre ses lèvres et,
visiblement, il ne respire plus.
Même si tout le
personnel savait que M. Péladeau était fragile, aucun employé de son entourage
immédiat ne connaissait les manœuvres de réanimation. On savait, Pierre
Péladeau le premier, qu’un incident du genre pouvait arriver à tout
moment, mais on n’avait pas encore pris les mesures nécessaires pour former
au moins une personne de son entourage qui aurait pu lui administrer les premiers
soins en cas de crise.
Les témoins
diront que j’étais calme. Je dirais que j’étais préparé. C’était un scénario
qui se déroulait dans ma tête depuis plusieurs mois déjà ; en fait, surtout
depuis que j’avais compris qu’il ne changerait pas d’idée pour les mesures
d’urgence ; je m’attendais à cette situation n’importe quand. Lors de mes
vacances quelques mois plus tôt, j’étais toujours aux aguets en écoutant
les nouvelles. J’étais certain que j’entendrais “ la nouvelle ”. Lorsque
ce moment est arrivé, j’y étais préparé mentalement. De l’extérieur, je
donnais l’impression de maîtriser la situation, mais à l’intérieur
c’était différent. J’étais inquiet.
J’étais autant
attristé par ce qui arrivait à mon patron et ami que par ce qui attendait
l’entreprise. Même aujourd’hui, je suis incapable d’expliquer ce que je
ressentais vraiment ; c’était un mélange de chagrin et d’appréhension
envers l’avenir de Quebecor, ainsi qu’à l’égard des différentes œuvres
auxquelles Pierre Péladeau s’était consacré durant les dernières années.
En quelques
secondes, la stupéfaction s’est emparée d’à peu près tout le monde sur le
plancher du 13e étage. Graduellement, j’ai parcouru tous les
étages pour trouver rapidement quelqu’un qui pourrait intervenir en
attendant l’arrivée de l’ambulance, mais en prenant bien soin de ne pas
nommer la personne à secourir. J’étais descendu au 12e étage,
puis au 11e, et on m’avait dit que Lise Courtemanche, une
adjointe juridique, avait une formation en premiers soins. Elle est montée
en vitesse au 13e étage, et c’est seulement lorsqu’elle fut parvenue
sur les lieux qu’elle a su de qui il s’agissait. Elle a pris la situation en
mains. Nous étions autour d’elle pour l’assister. Nous l’avons aidée à déplacer
M. Péladeau et elle a fait les manœuvres de respiration artificielle afin
de secourir son patron.
Le cœur s’est
remis à battre, mais Pierre Péladeau n’a jamais repris connaissance. Dans
mon for intérieur, je savais qu’il ne s’en remettrait jamais.
Je l’ai accompagné
à l’hôpital, mais, encore là, ce ne fut pas aussi rapide qu’on l’aurait souhaité.
Bien que les ambulanciers aient rassuré tous ceux qui étaient sur place
quant aux premiers soins prodigués, chaque minute qui s’écoulait était précieuse
pour sauver le célèbre patient. La civière n’entrait pas dans l’ascenseur
et il a fallu la placer debout en diagonale. Pour ce faire, il fallait
aussi maintenir solidement le malade pour qu’il bouge le moins possible.
Je me souviens
précisément de chaque moment qui a suivi l’arrivée de l’ambulance au service
des urgences de l’Hôtel-Dieu : la remise par le personnel de l’hôpital
d’une enveloppe contenant les effets personnels de Pierre Péladeau (montre,
porte-monnaie, etc.) ; l’attente dans une petite pièce en compagnie de Sylvie
Laplante, son ancienne adjointe personnelle, qui était accourue immédiatement
; la réaction d’Érik Péladeau face au drame ; et les premières remarques
des médecins quant à ses chances de survie.
Au moment de
l’accident, un journaliste de Radio-Canada était arrivé au bureau de Quebecor
et, bien malgré lui, avait assisté à un événement autre que celui qu’il
avait à son programme. Il était déjà dans le hall d’entrée lorsque M. Péladeau
s’écroulait dans son bureau. Comme exclusivité, personne ne pouvait demander
mieux. Mais la direction de Quebecor a refusé de lui confirmer la nouvelle.
On ne voulait pas qu’elle se répande trop vite. Il fallait également attendre
le diagnostic des médecins. Il y avait aussi d’autres problèmes importants
qui se posaient et qui étaient d’un tout autre ordre que le facteur humain,
c’est-à-dire la gestion de l’information financière. On aura compris que,
parce que les actions de Quebecor étaient négociées en Bourse, il fallait
gérer l’information de manière à respecter la loi, mais aussi à éviter
une baisse spectaculaire du cours de l’action.
J’étais parfaitement
au courant que, depuis quelque temps, M. Péladeau s’occupait de signer des
documents juridiques, comme son testament, une procuration en cas d’accident,
un mandat d’inaptitude, bref, tout ce qu’un homme d’affaires qui gère un
empire tel que le sien et convoité par un nombre relativement considérable
de successeurs potentiels devrait tenir à jour. On aurait dit que, pour lui,
le fait de repousser continuellement l’échéance de cet exercice fondamental
était un gage de longévité. À force de dire qu’il était éternel, peut-être
en était-il venu à le croire ?
M. Péladeau
n’avait pas déterminé de façon définitive l’identité de celui qui prendrait
la relève à court, à moyen ou même à long terme. Il y avait, bien entendu, une
collection de vice-présidents au sein de l’entreprise pour assurer un intérim,
mais, selon moi, si M. Péladeau avait repris connaissance et avait été en
état de prendre des décisions, il est fort probable que la suite des événements
aurait été différente.
En premier
lieu, M. Péladeau avait déjà avisé quelques-uns de ces vice-présidents qu’ils
seraient licenciés ou mis à la retraite sous peu. Certains n’avaient déjà
plus de secrétaire. Prévu au retour des vacances des fêtes, leur départ
était une question de jours ou de mois, et les principaux intéressés
étaient parfaitement au courant de ce qui les attendait.
De plus, M. Péladeau
prenait des notes personnelles (aide-mémoire) depuis un certain temps dans
le but de réviser son testament. À tout moment, il écrivait une petite note
sur un bout de papier : “ Je lègue cela ou tel montant à telle autre personne.
” Je ne sais pas ce qu’il est advenu de ce classeur où mon patron gardait un
nombre considérable de ces “ petits papiers ”. Seul le patron savait quel
était le plan de match de l’“ après Pierre Péladeau ”. Le problème est qu’il
le gardait dans sa tête et ne l’avait pas encore partagé avec personne au
moment où il s’est évanoui, le 2 décembre 1997 en après-midi. Certains en
connaissaient des bribes, mais personne ne peut affirmer avoir eu connaissance
de l’ensemble des dernières volontés du grand patron de l’entreprise. Il
envisageait de se retirer graduellement de la gestion de Quebecor et
de permettre à la relève de se mettre en place pour assurer sa succession.
Il comptait s’absenter et se consacrer à la rédaction de son autobiographie.
De plus, même si son leadership avait été sérieusement remis en question
par certains membres de son entourage au cours de l’année ayant précédé son
départ prématuré, et en dépit de certaines crises provoquées visant à
forcer sa retraite, Pierre Péladeau demeurait le seul maître à bord après
Dieu. La plupart des géants du milieu des affaires craignaient encore Pierre
Péladeau, même à soixante-douze ans et même si son physique, déjà peu imposant,
subissait les affres du temps et se trouvait considérablement affaibli,
surtout durant la dernière année. Même moi, qui l’avais côtoyé pratiquement
tous les jours depuis que j’étais à son service, je n’en revenais pas de voir
comment M. Péladeau en imposait autant, lui, un être si fragile physiquement.
Lorsqu’il était
dans le coma, son emprise régnait encore. Mais ce fut de courte durée.
En quittant le
service des urgences, ses enfants, qui avaient pris en charge la situation,
m’ont clairement signifié que ma présence n’était plus requise à l’hôpital
et que dorénavant ils géreraient seuls cette crise.
“ Tu ne t’occupes
plus de notre père, on s’en charge. ” Dans ma grande naïveté, j’ai d’abord cru
qu’il s’agissait d’une affaire que la famille voulait suivre personnellement,
ce qui était tout à fait normal. Mais au fur et à mesure que les jours s’écoulaient,
comme on ne me confiait plus de nouvelles responsabilités aux communications
de Quebecor, j’ai compris que je serais probablement éloigné en permanence
du siège social, une fois la nouvelle direction en place.
J’ai été particulièrement
frappé par la réaction du personnel de direction immédiatement après
l’hospitalisation de M. Péladeau ; si certains étaient abattus par la
disparition du grand patron et priaient, en larmes, pour qu’il revienne,
d’autres n’avaient aucune difficulté à tourner la page. Leur deuil était
déjà fait, et on tenait pour acquis que le chef était parti pour de bon. Ce
désistement se manifestait rapidement par plusieurs modifications des
pratiques courantes de la gestion quotidienne, à divers paliers.
Un exemple,
plus comique que dramatique, est celui d’un vice-président que je connaissais
bien. On sait que Pierre Péladeau n’acceptait pas facilement les notes de
frais de représentation. Ce vice-président et directeur de service apportait
religieusement son lunch et mangeait toujours dans son bureau, et ce,
depuis l’époque de mes débuts chez Quebecor. Durant les semaines qui ont
suivi l’accident du 2 décembre, ce vice-président s’était mis soudainement
à multiplier les sorties et les repas au restaurant, des frais qu’il mettait
sur son compte de dépenses. Le roi n’était pas encore mort que l’on profitait
de sa tirelire.
Il faut dire
que, bien que l’entreprise fût une multinationale avec un imposant personnel,
les comptes de dépenses avaient toujours été scrutés à la loupe par le fondateur,
qui les réduisait au strict minimum. On ne posait pas aux vice-présidents,
sur leur formulaire d’embauche, les questions suivantes : à quel club de
golf voulez-vous adhérer ? Voulez-vous joindre le club Saint-Denis, le St.
James, le Mount Stephen, etc. ? Chez Quebecor, il n’y avait pas de budget
pour des loisirs de cet ordre. De toute façon, si l’on voulait joindre qui
que ce soit dans la communauté, il fallait simplement mentionner le nom
de “ Monsieur P. ” et c’était chose faite. Inutile d’emmener cette personne
au restaurant pour la convaincre.
Les premiers
rapports médicaux diffusés en conférence de presse avaient laissé planer
l’espoir que M. Péladeau émergerait graduellement de son coma. Mais, si
ces communiqués se voulaient rassurants pour ses admirateurs en général
et pour les investisseurs en particulier, les personnes qui étaient à son
chevet ne voyaient aucune amélioration. Il avait été privé d’oxygène pour
une période que nous n’avons jamais pu déterminer, mais les dommages cérébraux
qui en découlaient étaient irréversibles.
Le soir du 2
décembre, je devais donc accueillir les invités personnels de Pierre Péladeau
à la soirée-concert, laquelle ne pouvait être annulée. Il était humainement
impossible à ce moment-là de joindre tout le monde et de les avertir du
changement de programme. Par ailleurs, plusieurs centaines de personnes
étaient présentes parce qu’elles avaient acheté leur billet. Elles étaient
là pour entendre l’orchestre. On avait dit simplement aux gens que M. Péladeau
avait eu un petit malaise ; on ne voulait rien laisser filtrer sur la gravité
de son état. Je me suis rendu à la Place des Arts pour distribuer une cinquantaine
de billets en mentionnant simplement que “ Monsieur P. ” était retenu
par ses “ affaires ”. Plusieurs personnes m’en ont reparlé plus tard, me
disant que j’étais bien pâle en ce soir du 2 décembre et que j’avais l’air
bien fatigué.
Plusieurs parmi
les invités présents n’avaient pas écouté les nouvelles et n’étaient pas au
courant de l’“ accident ”. Ils étaient au rendez-vous et demandaient à
saluer Pierre Péladeau. Je me contentais de dire que mon patron était retenu
ailleurs. C’était arrivé à quelques reprises, personne ne s’en formalisait.
Mais je n’ai pas pu faire autrement que de dire la vérité à Jean-Marc Brunet,
grand ami de Pierre Péladeau 3. À lui seul, j’ai confié :
“ Ça va mal. Je
pense qu’on va le perdre ! ”
Discrètement,
nous avons quitté tous les deux le hall de la Place des Arts pour nous diriger
vers l’Hôtel-Dieu, au chevet de l’être que nous aimions et admirions
par-dessus tout.
Comme il n’aimait
pas sortir seul, M. Péladeau avait invité une de ses amies personnelles,
Jacqueline Mallette, une Acadienne d’origine, à souper avec lui ce
soir-là, après le travail, et à l’accompagner ensuite au concert.
Mme
Mallette faisant partie des gens qui n’avaient pas écouté les nouvelles,
elle se présenta donc au rendez-vous au bureau à 18 heures précises, très
heureuse à l’idée de revoir son ami qui lui avait parlé dans la matinée pour
confirmer leur rencontre. En la voyant, deux membres du personnel, proches
de M. Péladeau, lui demandèrent ce qu’elle faisait là. Candidement et un
peu étonnée de leur réaction, elle répondit : “ Mais je viens voir Pierre. Il
m’a donné rendez-vous ce matin. Il m’a dit que nous allions au concert ensemble
ce soir. ”
Il a fallu lui
expliquer qu’il y avait des changements importants au programme, pour elle
et pour les autres !
C’était cauchemardesque.
Je savais pourtant qu’à tout moment ce genre d’événement risquait de se produire.
J’avais vu M. Péladeau s’affaiblir au cours des derniers mois. Il aimait
tellement son travail qu’il ne se résignait pas à “ décrocher ” définitivement
pour profiter d’une retraite bien méritée. Mais il y pensait.
Beaucoup de personnes
m’avaient conseillé de trouver un emploi ailleurs au cours de la dernière
année passée chez Quebecor. Il semble que bien des gens voyaient déjà M.
Péladeau parti, vieilli, fatigué et miné par les luttes internes pour la
prise du pouvoir, alors que nous qui le côtoyions quotidiennement, bien
que conscients de sa vulnérabilité physique, n’acceptions pas la possibilité
qu’il quitte ses fonctions un jour ou l’autre. Malgré ses
soixante-douze ans et ses problèmes de santé, il avait encore l’esprit
plus alerte que bien des gens qui ont la moitié de son âge et qui ne subissent
pas la pression qu’il subissait tous les jours.
Travailler pour
Pierre Péladeau était un défi, non pas par rapport à lui, mais par rapport à
nous-mêmes. Il fallait être en mesure de se surpasser continuellement,
non seulement parce que c’était ce qu’il attendait de nous, mais surtout
parce qu’à partir du moment où on s’engageait de quelque façon à “ livrer
la marchandise ”, il ne fallait pas traîner.
Dès le lendemain
de l’accident, j’ai vécu une période difficile qui s’est prolongée jusqu’au
départ pour les vacances des fêtes. Il était assez évident que la relève déjà
en place me fermait les portes, et, graduellement, on m’a retiré mes dossiers.
Isabelle Péladeau,
la fille aînée après Érik, m’a invité à collaborer à la rédaction de l’album-souvenir
qu’elle a préparé et publié chez Publicor en janvier 1998 : Hommage à un
grand bâtisseur, PIERRE PÉLADEAU. Ce fut ma dernière collaboration
professionnelle avec la famille de Pierre Péladeau. Isabelle et moi sommes
restés en contact durant deux ou trois ans après le décès de son père.
C’est le cœur
gros que je suis parti du bureau le 22 décembre pour les vacances de Noël. La
nouvelle direction de Quebecor avait demandé à tout le personnel d’oublier
la tragédie de décembre et de profiter du congé des fêtes pour se reposer.
Inutile de dire que le party de bureau des employés de Quebecor, prévu
pour le 15 décembre, avait été annulé et l’échange des vœux réduit au minimum.
L’incertitude
et l’inquiétude étaient palpables, et avec raison. Personne ne savait ce
qui nous attendait ni ce qu’il adviendrait de la direction de l’entreprise.
Mais nous étions tous certains d’une chose : de grands changements se préparaient
pour le début de l’an 1998.
C’est par le truchement
des médias que j’ai pris connaissance du communiqué émis par la célèbre
clinique Mayo, à laquelle la famille et la direction de Quebecor avaient
demandé un deuxième avis médical sur les chances de rétablissement de M.
Péladeau. Dans l’article de La Presse, on mentionnait que les médecins
de l’Hôtel-Dieu n’étaient pas au courant du fait qu’une telle démarche avait
été entreprise par la famille. Ils s’en disaient surpris, comme si l’on mettait
en question leur compétence. Selon cette seconde expertise, le malade
n’avait aucune chance de reprendre conscience. Par conséquent, la direction
de Quebecor annonçait officiellement la composition du nouveau conseil
d’administration. Le lendemain, jour de Noël, en regardant la télévision,
j’apprenais que le décès de Pierre Péladeau avait été officiellement confirmé
à 21 h 45 le 24 décembre 1997. C’était aussi une de ses volontés dites publiquement
: il ne voulait pas être un poids pour personne s’il lui arrivait un accident.
Il refusait totalement d’être dépendant. Pour lui, c’était inconcevable.
Il avait été fort impressionné par sa mère, Elmire, qui avait pleuré pour la
première fois de sa vie parce qu’elle était incapable de s’occuper
d’elle-même, à quatre-vingt-trois ans !
Ce furent les
fêtes les plus tristes de toute ma vie. Je vivais mon deuil dans mon coin avec
quelques amis.
J’appréhendais
le retour au travail du 6 janvier, et, comme je m’y attendais, on m’a immédiatement
demandé de me rendre au bureau de Raymond Lemay, ancien premier
vice-président, qui me dit sans détour :
“ Tu as fait un
bon travail, mais on n’a plus besoin de tes services. ”
J’ai rencontré
Jean Neveu, nouveau président et chef de la direction de Quebecor, afin
de lui faire part de mon intérêt pour un autre poste que je pourrais occuper
dans l’empire Quebecor. Après tout, avec tant d’années passées dans le feu
de l’action auprès du président, je savais que je pouvais être encore utile
à bien des égards. On m’a répondu que l’on étudierait la question, mais
qu’il valait mieux ne pas compter là-dessus.
Ce fut très difficile
à accepter, mais je n’en voulais à personne. C’est un processus normal
dans toute entreprise que de nommer d’autres adjoints lorsque les membres
de la direction changent. Je comprenais parfaitement que Pierre-Karl
Péladeau veuille s’entourer de gens nouveaux et avec lesquels il se sentirait
à l’aise. Ce n’était pas une mince tâche que de reprendre le collier là où
son père l’avait laissé aussi subitement, et dans une importante période de
transition en plus. Il aurait à supporter continuellement les comparaisons
entre son père et lui.
On m’a offert
une indemnité de départ et les services de la compagnie Murray Axmith
pour m’aider à me réorienter vers un autre domaine. Je me souviens de la
principale recommandation faite par la conseillère dès notre première
rencontre lorsqu’elle a vu d’où je venais et avec qui j’avais travaillé :
“ N’en parle
plus. Pour refaire ta vie, il faut en éliminer les sept dernières années.
Ce chapitre est terminé et il faut maintenant tourner la page. Essaie d’oublier
que tu as été l’adjoint de Pierre Péladeau. Ses victoires en affaires vont
te nuire parce que tu étais son allié, son soldat. ”
Chez Quebecor,
des cadres m’avaient souvent conseillé de quitter mes fonctions avant que
M. Péladeau ne meure. “ Après, tu auras beaucoup de difficulté à te différencier
de lui sur le plan professionnel ”, m’avait dit André Gourd, l’un des
vice-présidents, qui avait quitté l’entreprise un an avant le décès de son
patron.
Effectivement,
lors de plusieurs entrevues que j’ai obtenues, au début de 1998, dans de
grandes entreprises du Québec avec lesquelles j’avais collaboré à titre
d’adjoint de Pierre Péladeau, on tentait de me faire raconter des anecdotes
survenues de son vivant. La situation se répétait invariablement. On ne
s’intéressait pas à moi, mais à mon ancien patron, et j’ai entendu toutes
sortes de commentaires à son sujet.
Par exemple, au
cours d’une entrevue chez Molson, la personne qui m’a reçu m’a demandé :
“ Comment
avez-vous fait pour travailler avec un être aussi désagréable que Pierre
Péladeau ? ”
J’étais renversé
par la question. Je ne connaissais pas ce Pierre Péladeau-là. Je connaissais
un être exigeant, mais je savais aussi qu’il était humain, généreux et un travailleur
acharné.
J’ai découvert
finalement que les gens ordinaires aimaient Pierre Péladeau, mais, dans le
milieu des affaires, nombreux étaient ceux qui, s’ils ne le détestaient pas,
en avaient peur.
Je suis d’avis,
après être passé par l’école de Pierre Péladeau, que si l’on se tient debout,
on n’a peur de personne. Mais il y a des gens qui n’agissent que par
la peur.
Pierre Péladeau
jouait serré en affaires. Il était dur, mais juste. C’était un vif et
habile compétiteur. Il a toujours dit qu’il jouait pour gagner.
Je me suis rendu
compte rapidement que mon expérience avec ce personnage n’était pas
une valeur ajoutée à mon curriculum vitæ, mais un poids à supporter.
J’étais comme un prisonnier des dernières victoires de Pierre Péladeau.
En affaires, il
n’y a pas vraiment de place pour l’humanisme. Pierre Péladeau était
toutefois, selon moi, l’un des rares magnats à être très coriace, mais également
humain. Il pouvait mettre ses occupations complètement de côté pour aller
aider quelqu’un qui l’avait appelé à son secours.
Je me souviens
aussi de mon départ de chez Quebecor. C’était la semaine du 5 janvier 1998,
qui a coïncidé avec le début de la crise du verglas. Il y avait une panne
générale d’électricité, et il faisait froid. Tout était sombre. J’ai pensé
que la fin du monde était arrivée.
1.
Voir le chapitre 11.
2. Voir la
copie des billets dans le cahier photos no 2.
3. Jean-Marc
Brunet est le fondateur des centres JMB Le Naturiste et chroniqueur au
Journal de Montréal.
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CHAPITRE 2
Première rencontre
avec Pierre Péladeau
J’ai entendu parler
de Pierre Péladeau pour la première fois en 1977 par Normand Girard, correspondant
du Journal de Montréal à Québec. À cette époque, j’étais le plus
jeune journaliste affecté à l’Assemblée nationale. J’avais vingt ans à
peine et j’arrivais, fraîchement débarqué, de ma Gaspésie natale 1.
Il y avait beaucoup de grands médias à Québec. Comme nous étions au lendemain
de l’élection d’un gouvernement nationaliste, j’étais non seulement
avec la crème de la crème des journalistes de la province, mais aussi avec
ceux du reste du Canada qui venaient surveiller l’ennemi public numéro un : le
Parti québécois.
J’étais au service
de la station CHAU-TV de Carleton, qui dessert la péninsule gaspésienne
dans l’est du Québec. J’étais également correspondant pour les stations
de radio CKRS Jonquière, CHLC Hauterive,
CJMC Sainte-Anne-des-Monts, ainsi que pour les hebdomadaires du groupe
Roland Bellavance de Rimouski, mais je le fus brièvement. Sur la colline
parlementaire, je côtoyais Jean-François Lépine, Michel Lacombe, Denis Trudeau,
Bernard Saint-Laurent, Gérald Leblanc, Daniel L’Heureux, Bernard Descoteaux,
Gilles Lesage, Lysiane Gagnon et occasionnellement Jacques Guay. Ce dernier
fut le premier correspondant à l’Assemblée nationale du Journal de
Montréal au cours des années 1960, ayant travaillé auparavant au journal
Le Soleil. Il est devenu l’éminent professeur en journalisme que
l’on sait, à l’université Laval.
Comme René Lévesque
était originaire de la même région que moi, avec Gérard-D. Lévesque, j’étais
d’autant plus heureux de suivre leur travail de près, impressionné de partager
le terrain avec d’aussi grands joueurs. Je ne connaissais pas très bien Le
Journal de Montréal pas plus que le personnage qu’était Pierre Péladeau.
Il n’avait pas vraiment fait parler de lui en région gaspésienne lorsqu’il
avait fondé son “ plus grand quotidien français d’Amérique ” pendant la
grève de La Presse de Montréal. La Gaspésie était le territoire du
journal Le Soleil et Le Journal de Montréal ne se rendait pas
au-delà de la ville de Québec. Il a fallu attendre la création du Journal
de Québec en 1967 pour que les Gaspésiens soient sensibilisés aux
journaux de Pierre Péladeau. Les journaux de Quebecor sont toutefois toujours
restés une affaire urbaine principalement centralisée à Montréal et à
Québec. En 1977, Pierre Péladeau était toujours considéré comme un personnage
douteux qui manquait de sérieux et de respect envers la société. Le Journal
de Montréal était une feuille de chou vouée à l’échec selon les soi-disant
experts.
Normand Girard
me parlait souvent de son patron et j’étais curieux de découvrir ce personnage.
Girard, de son côté, était considéré comme l’éminence grise de la galerie
de la presse. On disait qu’il avait les meilleurs tuyaux, les meilleures
exclusivités, les meilleures entrées. Il était également isolé, toujours
un peu à l’écart dans son vaste bureau de La Tribune parlementaire
alors installée dans l’édifice du Parlement. On lui avait attribué le
bureau le plus vaste, celui qui était en coin, en raison de son ancienneté.
Il était le doyen. Je me disais que c’était sans doute pour sauvegarder ses
contacts qu’il tenait toujours sa porte fermée.
J’étais aussi
renversé de voir les succès que connaissait Le Journal de Montréal,
malgré le manque de respect de la part des autres journalistes. En 1978,
le tirage du Journal de Montréal était de 260 000 exemplaires
en comparaison de 142 000 pour La Presse. Le Soleil tirait à
112 000, Le Journal de Québec à 107 000 et Le Devoir à 50 000
exemplaires. Je me demandais bien comment Pierre Péladeau était arrivé à
imposer son journal. Girard me parlait continuellement du dynamisme du
grand patron, de sa manière d’agir résolue en affaires et exigeante avec son
entourage. Il me disait aussi que les gens le détestaient parce qu’ils
étaient simplement jaloux de son succès.
Dans ce
temps-là, le courrier électronique n’existait pas. Alors on écrivait des lettres
de la bonne façon traditionnelle : machine à écrire, papier et poste. J’ai
adressé quelques mots à M. Péladeau pour lui dire que j’étais un jeune journaliste
et que j’admirais son travail. Et il m’a répondu, non pas pour m’offrir un
travail, mais en deux lignes, pour me remercier simplement. De toute façon,
les médias écrits ne m’intéressaient pas vraiment. Je lui écrivais, inspiré
par la curiosité que Girard alimentait. La télévision était ma passion,
de même que l’environnement dans lequel cette industrie évoluait. Le journalisme
écrit est un travail de solitaire, tandis qu’avec la télévision toute une
équipe nous entoure, du cameraman à l’éclairagiste en passant par le réalisateur,
etc. Si le journalisme écrit est un outil de communication très puissant
à cause de la prolongation de la vie d’un reportage après sa publication,
la télévision est un média beaucoup plus excitant et glorifiant. Elle
rejoint les gens dans l’intimité de leur salon et son rayonnement est comparable
à celui de l’industrie du cinéma.
J’étais plus
impressionné par René Lévesque que par Pierre Péladeau. D’ailleurs, René
Lévesque m’avait en quelque sorte pris en affection. Je pensais que c’était
à cause de mes origines gaspésiennes, mais je suis convaincu aujourd’hui
que c’était bien plus à cause de ma cousine, Geneviève Bujold, qu’il
rencontrait lorsqu’elle était de passage à Montréal. Il me demandait toujours
si j’en avais des nouvelles, même si je lui avais dit que je n’étais pas très
souvent en contact avec elle ; elle avait grandi à Montréal, et moi en Gaspésie.
Il me racontait parfois les rencontres amicales qu’il avait eues avec
elle et combien il admirait son talent.
Je ne le savais
pas encore, mais, plusieurs années plus tard, j’allais constater combien le
Premier ministre avait des points en commun avec Pierre Péladeau. Tous les
deux étaient de grands communicateurs au style direct et proche de leur
audience. Il faut avoir vu René Lévesque et Pierre Péladeau présenter un
discours pour constater la grande ressemblance. D’ailleurs, Pierre Péladeau
m’a plus tard confié qu’il avait appris à donner des conférences grâce aux
conseils de René Lévesque. Un jour, alors que M. Péladeau s’adressait, sans
notes, à un petit auditoire de gens d’affaires de Montréal, Lévesque, alors
présent, est venu le féliciter et lui demander une copie de son texte.
“ Je n’en ai
pas. J’y suis allé de mon inspiration du moment. ”
Lévesque a
répondu : “ T’as été chanceux. Un jour, tu vas te figer devant l’assistance
et tu vas avoir l’air idiot. Tu devrais toujours préparer tes conférences
et avoir un texte écrit. C’est la seule façon de présenter un discours et
d’être certain de ne pas dire de niaiseries. ”
Pierre Péladeau
considérait que Lévesque lui avait été d’une aide précieuse ce jour-là ;
il suivit son conseil pendant plus de trente ans, jusqu’à sa dernière
conférence, quelques semaines avant sa mort.
Pierre Péladeau
et René Lévesque étaient tous les deux partis de loin pour finalement rallier
des milliers de gens à leur cause respective, chacun dans son secteur, l’un
en politique et l’autre en journalisme. Ils avaient aussi tous les deux à
cœur le Québec, la prise en main de son économie par les Québécois, le
développement et la protection du patrimoine de son peuple.
M. Péladeau
admirait René Lévesque, qu’il avait d’ailleurs embauché au Journal de
Montréal quelques années avant les élections de 1976. Lévesque était
sans ressource et sans travail et M. Péladeau n’avait pas hésité un seul instant
à lui offrir un poste de chroniqueur dans son quotidien. Dès lors, le
tirage avait monté en flèche. M. Péladeau considérait comme ses deux
meilleurs coups au Journal de Montréal l’embauche de Jacques Beauchamp
aux sports dans les premières années et, plus tard, celle de René Lévesque.
Dans les deux cas, ces embauches avaient permis au journal d’augmenter considérablement
son tirage et d’accroître sa crédibilité, ce qui plaçait le quotidien
devant les autres. Il disait que René Lévesque était le politicien le plus
important, le plus brillant qu’il connaissait, celui qu’il admirait le plus
pour son intégrité et pour sa combativité. Il éprouvait un grand respect
pour lui.
Pierre Péladeau
me disait que Lévesque n’avait jamais voulu s’enrichir grâce à ses positions
politiques.
“ C’était honorable,
mais triste, disait M. Péladeau, car René Lévesque, alors qu’il a été l’un
des personnages les plus marquants de l’histoire du Québec, au même titre
que Maurice Richard ou Félix Leclerc, est mort sans le sou. ”
Pierre Péladeau
était favorable au nationalisme québécois, mais à un nationalisme
solide sur le plan des finances, pour les personnes comme pour la société
dans son ensemble. Il disait souvent dans ses conférences qu’il l’avait
expliqué en long et en large à Lévesque, sur le bord de sa piscine à
Sainte-Adèle.
“ Ton indépendance
du Québec, elle ne tiendra pas et elle n’ira nulle part si tu ne t’assures
pas des assises solides sur le plan économique. Un Québec indépendant
sans les finances serait une république de bananes. ”
Selon M. Péladeau,
Lévesque comprenait, mais il n’arrivait pas à maîtriser et à canaliser
les ardeurs passionnées de ses collègues du Parti québécois. Les événements
entourant la fin de René Lévesque donnent un peu raison à cette théorie.
Mais René Lévesque est mort trop tôt. Autrement, aurait-il eu l’occasion de
changer sa vie et de participer encore à celle de ses concitoyens ?
Par ailleurs, M.
Péladeau avait déjà été pressenti pour se présenter en politique à titre
de candidat, tellement il affichait son penchant nationaliste. Mais il
préférait une participation plus active et plus directe à l’économie en
restant dans le milieu des affaires et en créant des emplois. C’était son modus
vivendi. De plus, le moment n’était pas approprié, car Quebecor n’en
était qu’à ses débuts dans les années 1976, et la présence quotidienne du
fondateur à la barre était essentielle. Si on lui avait proposé la même
offre durant les années 1990, il aurait accepté, car il aimait rencontrer les
gens et les pousser à s’améliorer. Il m’a fourni la preuve concrète de cet
engouement politique au moment où je l’accompagnais au premier Sommet
économique de Québec. M. Péladeau en était revenu frustré et profondément
triste de constater que le Premier ministre Lucien Bouchard ne lui
offrait aucun poste précis à la direction des différents comités de
relance économique du Québec. J’étais à ses côtés et j’ai senti que M. Péladeau
avait la mort dans l’âme de se voir mis de côté alors que ses collègues comme
Jean Coutu, des Pharmacies Jean Coutu, et André Bérard, de la Banque nationale,
avaient obtenu des présidences de comité. Je n’ai jamais vu Pierre Péladeau
triste comme en ce jour-là. Il se sentait rejeté par son Premier ministre et
indirectement par le peuple québécois qu’il a défendu durant toute sa
vie.
À la mort de
René Lévesque en 1988, j’ai pris contact avec Pierre Péladeau, car j’étais
au courant de son affection pour le disparu, afin de lui demander sa contribution
à la mise en place d’une fondation. Il m’avait reçu et je lui avais expliqué
que le but de cet organisme était d’acquérir la maison où avait grandi René
Lévesque à New Carlisle et d’en faire un musée. Les journaux en avaient
parlé, à l’époque. Il avait été tenté, mais il aurait préféré que la future
fondation René-Lévesque ait aussi pignon sur rue à Montréal, ou, à tout le
moins, plus près de lui. Finalement, il a décliné l’invitation en disant
qu’il valait mieux confier le mandat à quelqu’un d’autre, par exemple à un
ancien député du parti ou encore à Corinne Côté-Lévesque, veuve de René Lévesque.
En 1979, Bona
Arsenault, ancien député provincial et ministre fédéral, aussi originaire
de la Gaspésie et avec qui je m’étais lié d’amitié, me suggéra de poursuivre
ma carrière de journaliste à Radio-Canada. Selon lui, j’avais tout le potentiel
voulu pour me joindre un jour au réseau français à Montréal, mais je devais
d’abord faire mes classes en région. Selon Arsenault, la région idéale était
Moncton, au Nouveau-Brunswick. En fait, il avait des contacts personnels
auprès de la direction de Radio-Canada à Moncton.
Aussi éloignée
que cette ville puisse paraître géographiquement, c’est en pleine Acadie
que j’ai découvert un peu plus en profondeur le personnage Pierre Péladeau.
J’ai accepté la proposition de me joindre à Radio-Canada Moncton à titre
d’animateur d’émissions sportives à la télévision et à la radio. J’y ai
fait d’ailleurs la connaissance intéressante de Jean Perron, premier
entraîneur de hockey canadien à appliquer une méthode d’entraînement
scientifique pour les joueurs qui se distinguait de la méthode guidée uniquement
par l’instinct qui était toujours en vigueur sur toutes les patinoires. Perron
était en poste à l’université de Moncton durant les années 1980. Six ans
plus tard, il mènera le Canadien à la coupe Stanley.
Mon passage à
Radio-Canada Moncton devait initialement servir de tremplin à mon entrée
sur le territoire montréalais. Je rêvais de me joindre à Radio-Canada Montréal,
mais je constatai rapidement que ce n’était pas dans les intentions de la
direction locale, qui voulait bâtir une station régionale forte et à long
terme avec des figures acadiennes. Je remplis mon contrat d’un an à Moncton,
à la fin duquel j’hésitais à en signer un deuxième. Je décidai de prendre un
peu de temps pour réfléchir à mon avenir et je commençai alors à publier
quelques articles dans les journaux quotidiens du Nouveau-Brunswick, en
français et en anglais. Le Nouveau-Brunswick était une province d’environ
700 000 habitants en 1980. On y comptait trois quotidiens anglophones
et un quotidien francophone, L’Évangéline 2, fondé au
début du siècle à Moncton. Mes articles furent remarqués par la direction
de L’Évangéline et, quelque temps plus tard, on m’offrait un poste qui
me ramenait par ricochet dans l’univers de Pierre Péladeau.
Au départ, je
n’étais pas vraiment convaincu de me plaire dans la presse écrite, car
j’aimais davantage les médias électroniques. Dans mon esprit, c’était pratiquement
de la magie que de voir son image entrer dans les foyers pour communiquer
une nouvelle. Le journal faisait figure de parent pauvre à côté du pouvoir
de l’électronique, mais je me suis souvenu de mon ancien collègue Normand
Girard qui, grâce à son travail dans l’écrit, réussissait à influencer
l’opinion des lecteurs sur la politique du Québec. J’ai accepté d’emprunter
ce virage dans une autre direction. La presse écrite fut une véritable découverte,
presque un coup de foudre. L’Évangéline était le seul quotidien
francophone publié dans l’est du Canada dans un milieu à majorité anglophone,
et ce, depuis 95 ans.
Si j’avais découvert
l’existence de Pierre Péladeau par Normand Girard à Québec, j’allais en connaître
encore plus du personnage lors de mon passage à L’Évangéline à Moncton,
grâce à Éric Goguen, alors chef de pupitre. Il avait été l’un des premiers
rédacteurs en chef du Journal de Montréal à l’époque de sa fondation
en 1964. Il s’était retrouvé à Moncton par choix et un peu par obligation.
Comme il approchait de la retraite, il voulait vivre dans sa région d’origine
et y finir tranquillement sa carrière active. À Montréal, il avait vécu
l’alcoolisme et le rythme parfois épuisant de ceux qui étaient aux côtés de
Pierre Péladeau. Il avait décidé d’abandonner ce rythme et de s’installer
en Acadie. Plus tard, lorsque Goguen est décédé, soit vers la fin des années
1990, Pierre Péladeau me confia qu’il avait été un grand journaliste et un
travailleur infatigable.
Durant les
années 1980, Éric Goguen me parlait très souvent de son expérience avec
Pierre Péladeau. En fait, il s’en servait souvent comme exemple pour former
de jeunes journalistes comme moi. Je peux dire que c’est à la faveur de son
encadrement que j’ai vraiment acquis un engouement pour la presse écrite.
Je n’avais jamais compris auparavant combien un article écrit pouvait susciter
autant de réactions et avoir autant d’influence que le petit écran.
La télévision
est un média jeune qui a une puissance et une influence considérables. On
n’a qu’à penser à l’effet CNN sur le public dès que la chaîne braque ses caméras
sur un événement en direct. Transmise selon ce mode, cette information –
on le sait – est brute, non traitée et non analysée. Mais une fois que l’on
a vu un reportage au bulletin de nouvelles, si l’on se souvient des
grands titres, on en a oublié le contenu le jour suivant. La vedette d’un
reportage de télévision, c’est l’image. Dans la presse écrite, la vedette du
reportage est le contenu de la nouvelle que l’on rapporte. On peut aussi conserver
un article de journal et s’y référer à n’importe quel moment après sa publication.
Il ne disparaîtra jamais. Comme on dit, “ les écrits restent ”. Cette pérennité
ne touche en rien la qualité de l’information en tant que telle, car la
rigueur est de mise à l’électronique comme à l’écrit.
Dès mon entrée à
L’Évangéline, Goguen, ancien employé de M. Péladeau, me conseillait
sur le style de mes reportages. Il me disait que j’avais le rythme des gars
du Journal de Montréal. Il insistait fortement pour que je me consacre
à l’écrit, prétextant que je m’y plairais davantage qu’à l’écran.
Nous avons eu de
longues conversations pour comparer les différences de style d’un quotidien
à l’autre, ce qui en faisait le tirage et le succès. C’est dans ces moments
qu’il me parlait le plus de Pierre Péladeau et de ce qu’il avait fait du Journal
de Montréal. Longtemps considéré comme un “ journal jaune ” et sans
valeur, le bébé de M. Péladeau est parvenu, au fil des ans, à faire sa place
et à établir solidement ses assises tant chez les lecteurs que dans le
milieu de l’édition et des affaires. Lorsque M. Péladeau a fondé le quotidien
au début des années 1960, il reproduisait ni plus ni moins son Journal de
Rosemont avec plus de pages et une place importante pour les artistes.
L’objectif principal était d’ailleurs d’occuper le temps de presse de son
imprimerie. Un journal quotidien, c’est l’équivalent de cinq hebdomadaires
dans une même semaine. Bien sûr, M. Péladeau avait vu, avec Le Journal de
Montréal, une occasion d’amener un nouveau joueur au Québec et il a
misé le tout pour le tout, pour gagner, comme il l’a toujours fait. Mais, à la
base, Le Journal de Montréal a commencé simplement, une édition à
la fois et avec l’ambition principale de rentabiliser ses équipements
déjà en place pour ses hebdomadaires.
Pierre Péladeau
a toujours considéré un journal comme un produit simple et facile à lire.
Il publiait un journal comme s’il avait été assis sur le coin d’une table et
qu’il avait parlé aux gens dans leur cuisine. Pour lui, un journal devait
tenir compte du lecteur et être lu, surtout. M. Péladeau ne voulait pas
faire un journal pour se faire plaisir ni un journal qui paraisse bien. Il
voulait un journal qui se vende. Le tirage élevé qu’il a réussi à atteindre
témoigne de la justesse de son jugement.
Toutes ces comparaisons
et ces discussions tenues à Moncton avec Goguen avaient contribué à susciter
ma curiosité et mon intérêt envers Pierre Péladeau. J’ai commencé à lui
envoyer des copies de mes meilleurs articles, en lui adressant toujours un
message personnel. Je lui redisais combien j’admirais son travail et il
me répondait fidèlement en me remerciant de ma correspondance.
Je savais qu’il
avait voulu se porter acquéreur de L’Évangéline au début des années
1980. Goguen m’a raconté que M. Péladeau s’était présenté au journal sans
rendez-vous. Il est arrivé à la réception et a demandé à voir le directeur.
Évidemment, lorsque M. Péladeau arrivait quelque part, avec ou sans
rendez-vous, on le recevait. Il se serait adressé au directeur en disant simplement
:
“ J’aime ça,
votre journal. Je voudrais voir vos livres. ”
Un peu abasourdi,
le directeur a demandé : “ Mais pourquoi je vous montrerais nos livres ? ”
“ Parce que je
veux l’acheter ”, aurait répondu aussi vite M. Péladeau.
Ils ont discuté
quelque temps, mais le directeur n’en démordait pas : L’Évangéline
n’était pas à vendre, surtout pas à un personnage coloré comme M. Péladeau
et, pis encore, à un Québécois.
Lorsque je
repense à cette anecdote aujourd’hui, je suis persuadé que M. Péladeau a pu
se présenter en disant qu’il voulait acheter le journal et qu’il désirait
voir les livres, mais je doute fort qu’il s’agissait d’une visite fortuite et
non préméditée. J’aurais tendance à croire que son ancien employé Goguen,
toujours fidèle à son patron des premières heures, lui avait demandé de
venir faire un tour à Moncton et de regarder du côté de L’Évangéline.
M. Péladeau n’a jamais refusé d’analyser une bonne affaire. N’avait-il pas
acheté son premier journal de la même façon ? Raymonde Chopin, qui allait
devenir son épouse, lui avait dit que Le Journal de Rosemont serait
peut-être à vendre. Mais elle avait également dit au propriétaire de l’hebdomadaire,
qui, soit dit en passant, n’était plus publié depuis trois mois, qu’il y
aurait peut-être un acheteur.
Que tous les
détails relatés par Goguen pour l’histoire de L’Évangéline et pour
M. Péladeau soient vrais ou non, cette éventualité n’empêche pas de constater
comment était M. Péladeau lorsqu’il voulait quelque chose. Il avait un don
pour flairer les bonnes affaires et agissait selon ses intuitions. Au
moment où il s’était présenté pour acheter L’Évangéline, le quotidien
acadien avait des difficultés financières, mais il était en activité. Un
quotidien actif peut facilement être réorienté et l’administration rationalisée.
L’Évangéline possédait ses propres presses et un édifice difficile
à administrer. Une acquisition par Pierre Péladeau aurait permis à L’Évangéline
d’avoir accès à la machine efficace qu’était Quebecor. En 1982, lorsqu’il
dut fermer ses portes après 95 ans de publication, sa disparition aussi
subite que surprenante fit la manchette des quotidiens anglophones du
Nouveau-Brunswick. C’était un peu l’échec du peuple acadien à maintenir en
vie son journal quotidien.
Les revenus
publicitaires de L’Évangéline avaient baissé de façon importante
avec la fermeture de nombreuses entreprises, victimes de la récession.
Déjà en difficulté financière, le quotidien acadien fut achevé par un
conflit de travail. Les négociations entre le syndicat des employés et les
patrons ne menaient nulle part, et, au bout de deux semaines, on ferma les portes.
Cette fermeture, qui devait être temporaire, fut définitive.
C’était une fin
crève-cœur et une perte pour le milieu francophone de cette région du pays.
J’ai eu l’idée de communiquer avec Pierre Péladeau pour le sensibiliser
à la situation et pour voir s’il ne nous donnerait pas un coup de main pour
repartir le journal. Éric Goguen trouvait que c’était une bonne idée. Il me
dit : “ Si tu ne le fais pas, je le fais. ”
Nous avons alors
élaboré un plan de relance. Nous préconisions de redémarrer L’Évangéline
et d’y insuffler une culture résolue en commercialisation, une culture
à la Pierre Péladeau. Nous avons rédigé notre plan, puis nous l’avons fait parvenir
en toute urgence par un service de messagerie au sauveur potentiel de la
rue Saint-Jacques, à Montréal.
Malheureusement,
ce qui nous semblait la solution a échoué. M. Péladeau nous a répondu qu’il
n’était plus intéressé, et il s’est contenté de nous souhaiter bonne chance
pour notre projet. A-t-il refusé de reprendre le journal parce qu’on lui
avait déjà dit non une fois ? C’est ce que j’ai pensé sur le moment. Mais, avec
le recul, je crois plutôt qu’il avait fait ses recherches et conclu que ce
n’était plus une bonne affaire. Le marché des journaux était aussi en mouvance
et le rythme des années 1970 n’était plus le même en 1982.
Le journal acadien
devait rouvrir par la suite grâce à des commanditaires et à des subventions
des différents paliers de gouvernement, mais il n’a pas tenu longtemps.
D’abord relancé sous le nom Le Matin et dirigé par l’Acadien Charles
D’Amours, le quotidien n’a pas survécu et l’ancien directeur du Nouvelliste
de Trois-Rivières n’a pas gagné son pari. Le Matin s’est installé dans
les anciens entrepôts d’Eaton à Moncton et il a connu le même sort que les
magasins de la chaîne. C’est finalement un petit quotidien, L’Acadie
nouvelle, installé à Caraquet, qui s’est imposé, mais sans grand financement.
Il paraît encore aujourd’hui.
L’Acadie nouvelle
est un peu à l’image des projets de Pierre Péladeau. Malgré le manque
de moyens au départ pour ses projets, celui-ci réussit à s’imposer en étant
près des gens et de son marché. D’ailleurs, je me souviens d’une remarque du
promoteur du Matin qui m’avait dit vouloir faire du journal acadien
un véritable outil de révolution culturelle en Acadie. M. Péladeau
avait déjà entendu le même discours à Montréal alors que l’élite du Québec
disait que ses journaux n’étaient pas de très grande classe. Il avait répondu
à ses détracteurs que l’élite aimait faire un journal dans les salons de
société pour les bien-pensants. Lui, il préférait faire un journal pour le
peuple. L’Acadie nouvelle comme Le Journal de Montréal et Le
Journal de Québec témoignent de ce principe “ à la Péladeau ”.
“ Si la télé
rejoint les gens dans leur salon, un journal doit rejoindre les gens à leur
table de cuisine. ”
Encore une fois,
je me trouvais à la croisée des chemins. Devais-je continuer dans le journalisme
? Devais-je changer de vocation ? Devais-je aller vivre ailleurs au pays ?
En 1983, le
milieu des communications et des médias en particulier commençait à
souffrir de restrictions de budget et de personnel. On n’embauchait presque
plus. Il fallait travailler comme pigiste ou alors se résigner à des conditions
que je trouvais inacceptables.
Finalement,
l’un des trois copropriétaires de L’Évangéline, la Fédération des
caisses populaires acadiennes, me confia la tâche de relancer les relations
publiques et la commercialisation de son réseau de
quatre-vingt-huit caisses populaires. J’ai continué d’écrire quelques
reportages en langue anglaise, mais ce fut la rencontre avec Brian Mulroney
qui me rapprocha encore un peu plus de Pierre Péladeau.
1.
Je suis originaire de Saint-Siméon-de-Bonaventure.
2. Ce journal,
qui fermera ses portes définitivement en 1982, aura été la voix acadienne
pendant plus de 95 ans.
CHAPITRE 3
La porte d'entrée par Ottawa
J’ai rencontré
Brian Mulroney pour la première fois, en compagnie de son épouse Mila, à
l’été 1983, au moment où il venait de remporter la victoire au congrès à la
direction du Parti conservateur du Canada. Il briguerait éventuellement
les suffrages dans le comté de Central Nova en Nouvelle-Écosse. Nous avons
rapidement établi de bons contacts professionnels. J’aimais son dynamisme
et ses idées innovatrices.
Je pris l’habitude
de lui envoyer des coupures de presse et des copies des articles que j’écrivais
dans diverses publications du Nouveau-Brunswick.
Situation qui
ne serait pas acceptée dans les grands centres, j’étais directeur des relations
publiques pour la Fédération des Caisses populaires acadiennes et je
continuais à exercer le métier de journaliste occasionnellement. En
région, dans des villes à moyenne ou à faible population, le chevauchement
entre le journalisme et les relations publiques est accepté.
Brian Mulroney
et Pierre Péladeau se ressemblent étrangement tant pour ce qui est du cheminement
de carrière que sur le plan de la personnalité. Selon moi, les deux personnages
ont tellement de points en commun que l’on pourrait parfois penser qu’ils
ont grandi ensemble. Leur histoire suit le même itinéraire.
Pierre Péladeau
a fondé Le Journal de Montréal le 15 juin 1964. L’arrivée à Montréal
de Brian Mulroney comme avocat se situe à peu près au même moment, au printemps
1964. Jeune diplômé en droit de l’université Laval, Brian Mulroney avait
accepté de venir rencontrer les partenaires de la prestigieuse firme
d’avocats Howard, Cate, Ogilvy. Son ami Bernard Roy, également jeune
diplômé de l’université Laval, le lui avait fortement recommandé. Brian
Mulroney acceptera l’offre d’emploi de la firme montréalaise, mais, comme
Pierre Péladeau auparavant à son premier essai, M. Mulroney échouera à
son examen initial au Barreau, qu’il devra reprendre une seconde fois.
La mort de leur
père respectif touchera également de façon marquante Pierre Péladeau et
Brian Mulroney. Dans le cas de M. Péladeau, voir son père Henri Péladeau
disparaître dans l’échec financier fut un fait marquant qui le suivit
toute sa vie et influença son besoin de reconnaissance du milieu des affaires.
La mort de Ben Mulroney attrista au plus haut point son fils Brian, qui attribua
d’ailleurs à cet événement son échec au Barreau.
Pierre Péladeau
aimait lire les journaux et les magazines. Il fallait le voir lorsqu’il
était à son bureau ou en visite quelque part, continuellement à l’affût
des publications à sa portée. Souvent il dérobait le journal au restaurant
ou dans la salle d’attente pour le lire dans la voiture. M. Péladeau voulait
tout savoir et il lisait beaucoup. Brian Mulroney a la même passion pour
les journaux, et il aime être au courant de tout ce qui s’écrit tant au pays
qu’à l’étranger.
Brian Mulroney
fut l’avocat du Journal de Montréal lors des premières négociations
des conventions collectives. Mais il n’est pas arrivé chez Quebecor
parce qu’il côtoyait M. Péladeau ou était son ami. Au départ, la collaboration
entre les deux hommes fut professionnelle. À Montréal, le jeune Mulroney
devenait un spécialiste en négociation de conventions collectives
pour les journaux en général, dont La Presse. Si M. Mulroney eut un
mentor, ce fut Paul Desmarais, non Pierre Péladeau.
Paul Desmarais
apprécia le caractère du jeune avocat montréalais dès leur première rencontre
et il l’invita souvent à sa résidence. M. Desmarais confia aussi à M. Mulroney
plusieurs mandats en dehors du secteur des journaux, dont celui du conflit
des Autobus Voyageur en 1971. La stratégie de négociation de M. Mulroney
était simple et reposait toujours sur deux éléments. Il définissait
d’abord le problème de l’entreprise en cause, puis il analysait la personnalité
des deux chefs, patronal et syndical, avec lesquels il devait faire le consensus.
Il ne suffit pas de bien connaître une entreprise, il faut aussi connaître
les hommes qui sont à la barre.
Pierre Péladeau
agissait toujours de la même manière. Il n’abordait jamais un problème uniquement
de façon cartésienne. Il considérait toujours le côté humain de toute
l’affaire. M. Péladeau me dira qu’au fond il ne connaissait rien en imprimerie
ni en édition de journaux. Sa spécialité, c’était de savoir s’entourer des
meilleurs individus et de les motiver à accomplir leurs tâches au-delà de
leurs limites personnelles.
M. Péladeau me
confia : “ Je suis un motivateur d’hommes. La première chose que j’analyse
dans une affaire, c’est le capital humain. Qu’est-ce qui motive un tel ou une
telle ? L’argent, le pouvoir, la gloire, le sexe ou autre chose ? Une fois que
j’ai cette information, je peux négocier l’affaire sur la table et surtout
la gagner. ”
Brian Mulroney
est lui aussi un meneur d’hommes et un brillant communicateur. Il écoute
attentivement son interlocuteur, et il le regarde toujours droit dans
les yeux. C’est ce que faisait Pierre Péladeau. Lorsqu’il vous parlait, il
vous regardait profondément, et rien d’autre n’existait autour de vous.
Une autre particularité
rapprochant les personnages Péladeau et Mulroney est leur désir d’être
dans l’action plutôt que dans un bureau. Pierre Péladeau aimait visiter ses
usines ou ses journaux. Il aimait rencontrer ses employés et sentir
l’action sur le terrain. Il disait que l’on ne gagnait pas une guerre assis
dans un bureau, mais debout sur le champ de bataille. Brian Mulroney voulait
toujours être sur le terrain pendant qu’il était jeune avocat ou plus tard
lorsqu’il devint Premier ministre.
Enfin, les deux
hommes se ressemblaient sur un dernier point : leur problème d’alcool,
qu’ils ont réussi à vaincre.
* * *
J’étais présent
à Baie-Comeau le soir du 4 septembre 1984 lorsque Brian Mulroney a remporté
une victoire électorale historique. Il fit élire deux cent onze députés
sur une possibilité de deux cent quatre-vingt-deux. J’étais très heureux de
constater le balayage des conservateurs à l’issue de cette campagne électorale,
car je m’y étais impliqué activement dans la péninsule acadienne du
Nouveau-Brunswick C’était mémorable. En Acadie, les conservateurs avaient
remporté neuf comtés sur dix.
C’était l’euphorie
à Baie-Comeau. Je me souviens que l’entourage immédiat de M. Mulroney
avait prévu une victoire, mais pas de cette envergure. Brian Mulroney avait
été le candidat favori devant John Turner, et il avait mené sa campagne en
disant qu’il voulait rentabiliser la machine gouvernementale. On se
souviendra aussi du fameux débat télévisé où M. Mulroney avait dit à M.
Turner : “ You have the choice… ” Il parlait ici des nominations politiques
que Trudeau avait annoncées avant son départ. Turner prétendait qu’il
n’avait pas d’autre choix que de les accepter. L’issue de la campagne électorale
aurait véritablement été décidée à ce moment-là, et plusieurs attribuent
la victoire à cette performance de M. Mulroney lors du débat.
Le fait d’avoir
participé à la campagne électorale avait suscité un certain intérêt
pour mes compétences et on m’invita rapidement à joindre un cabinet
ministériel à titre d’adjoint. Cette énergie que M. Mulroney savait transmettre
m’avait donné le goût d’œuvrer pour son équipe. Mon premier travail au gouvernement
fut d’abord avec Elmer MacKay, député de Central Nova, en Nouvelle-Écosse. Il
avait cédé son siège à Brian Mulroney en 1983 lors de l’élection partielle.
En 1984, MacKay occupa le poste de Solliciteur général. Mais après un premier
remaniement ministériel partiel au début de 1985, je joignis le cabinet
du Premier ministre à titre d’adjoint aux communications. Mes tâches consistaient
surtout à assurer la liaison entre les journalistes de la galerie de la
presse et le cabinet du Premier ministre. J’accompagnais également M.
Mulroney lors des fameux points de presse à la sortie de son bureau de l’édifice
de la Chambre des communes. Je retrouvais à Ottawa plusieurs de mes
anciens collègues journalistes de La Tribune parlementaire de
Québec maintenant en poste à la galerie de la presse à Ottawa.
Depuis mes débuts
en 1976, j’avais découvert le pouvoir de la presse. À Ottawa, je découvrais
le pouvoir de la politique. Je pensais au départ que le pouvoir de la politique
était tout à fait l’équivalent du pouvoir des affaires. Mais, dans les
années qui ont suivi la victoire de 1984, j’ai été en mesure de constater
qu’entre le pouvoir politique et le pouvoir des affaires, notamment avec
Quebecor, il y a autant de différences qu’entre le jour et la nuit.
Lorsque l’on
est en politique, n’importe qui peut nous approcher et nous poser des questions
au sujet de notre travail et de ses résultats. Le politicien doit y répondre
de façon transparente ; c’est son devoir en tant que personnage public, car
il est au service de la nation. Dans un certain sens, la vie du politicien
devient presque la propriété de l’État. Il faut continuellement gérer les
échanges avec la communauté et tenter d’obtenir un consensus de groupe.
Les décisions personnelles sont très rarement possibles.
Brian Mulroney
débarquait à Ottawa avec une solide expérience en gestion, acquise avec la
compagnie minière Iron Ore. Il est arrivé au pouvoir dans le but de privatiser
les sociétés d’État. Cependant, il a dû se rendre compte rapidement que ce
genre de décision demande beaucoup plus de temps que dans le secteur privé,
et que cela implique un nombre incalculable de personnes dans la chaîne
de l’administration publique. Dans une entreprise privée comme Quebecor,
si Pierre Péladeau dit à ses vice-présidents que dorénavant on change de
cap, il n’y a personne qui peut le contredire ou s’y opposer, sauf les
actionnaires. Ce fut d’ailleurs mon argument en 1991 lorsque je préparai
les stratégies de communication pour M. Péladeau.
Le capital et
l’actif d’une entreprise privée appartiennent aux propriétaires et aux
actionnaires d’une entreprise, tandis que le capital et l’actif de l’État
appartiennent aux citoyens. C’est là une différence majeure que l’on ne
doit jamais oublier.
Dans les relations
de presse au palier politique, les journalistes s’opposent d’emblée et
essaient de contredire ce qu’on leur affirme. En affaires, le journaliste
n’affronte pas le président d’une compagnie de la même façon et, a priori,
il accepte les explications que ce dernier lui donne. Le président d’une
entreprise privée n’a pas de comptes à rendre, contrairement à un homme
public. Le vrai pouvoir est, selon moi, celui du privé. Le pouvoir politique
est illusoire.
Même en tenant
compte de cette différence fondamentale entre le secteur public et le secteur
privé, je considère que Pierre Péladeau et Brian Mulroney se ressemblaient
énormément quant à leur idéologie et à leur style de gestion. Ces deux hommes
croyaient au secteur privé et à l’action. M. Péladeau, je l’ai découvert par
la suite, pouvait réagir extrêmement vite à toute situation. Brian Mulroney
aussi. Les deux hommes travaillaient également avec passion pour leur
cause respective, l’un pour Quebecor et l’autre pour le Canada.
Sur le plan personnel
et humain, M. Péladeau projetait les mêmes vibrations d’énergie que M. Mulroney.
L’un comme l’autre, et je le constatais lorsque j’entrais dans une pièce en
leur compagnie, leur charisme habitait tout l’espace. Les deux hommes
avaient aussi une énergie peu commune, supérieure à la normale sur le plan
de la quantité de travail et des heures consacrées à la tâche à accomplir.
Quand j’ai commencé
à travailler pour M. Péladeau en 1991, la ressemblance avec M. Mulroney
m’a frappé au niveau du leadership. Lorsqu’un employé leur soumettait un
problème, il fallait aussi leur proposer des solutions. Les employés respectaient
Pierre Péladeau et Brian Mulroney et, dans les deux cas, il y avait comme
une sorte de crainte ou d’anxiété à vouloir bien faire.
Comme avocat,
Brian Mulroney avait négocié la première convention collective du Journal
de Montréal, à la fin des années 1960, dans un style qu’il conserve
encore aujourd’hui. Sa façon d’agir lui a permis de régler plusieurs conventions
collectives. Il n’accepte pas la défaite. Comme pour M. Péladeau, il lui
faut gagner. M. Mulroney fait toujours son travail de recherche avant de
commencer. Comme M. Péladeau, il veut tout connaître du dossier. L’information
est la pièce centrale de toute la stratégie.
Durant les
années 1984 à 1988, j’ai gardé un contact régulier avec Pierre Péladeau.
J’assistais à des conférences lorsque j’en avais l’occasion, et je lui
faisais parvenir des messages personnels de temps à autre. Je n’ai cependant
jamais servi d’intermédiaire officiel entre Pierre Péladeau et Brian Mulroney.
Ma relation avec chacun était privée et personnelle.
En 1988, après
un passage à la Société canadienne des postes, j’ai quitté l’environnement
politique pour devenir consultant privé en communications. C’est à ce
titre de consultant que je me suis rapproché de M. Péladeau sur le plan
professionnel. J’ai réalisé plusieurs analyses de marché dans le domaine
de l’édition de journaux et nous avons alors entretenu une correspondance
régulière et soutenue parce que Quebecor était souvent l’un des partenaires
sollicités dans mes divers projets, de façon directe ou indirecte, comme
investisseur potentiel.
L’un de mes premiers
projets fut d’analyser la situation du journal Le Droit à Ottawa et la
proposition d’une stratégie d’entreprise visant à occuper de façon résolue
le marché de la capitale nationale. Au début de 1988, Le Droit eut
des problèmes financiers importants : il sortait d’une grève. Il vivait la
même problématique que L’Évangéline, un autre journal qui, tout
comme Le Droit, fut créé initialement pour défendre le fait français
dans sa région plutôt que pour faire des profits. Il fallait toutefois
trouver de nouvelles options de restructuration. Est-il nécessaire de
mentionner que le propriétaire était Conrad Black ? On comprendra
facilement, sans qu’il faille élaborer, qu’il n’entendait pas à rire sur les
questions de rentabilité.
M. Black avait
acheté Le Droit et Le Soleil de Jacques Francœur à la fin de
1986. Peter G. White, bras droit et associé de M. Black, avait rencontré les
employés et il leur avait fait part de la nouvelle stratégie d’entreprise,
qui était de rationaliser au maximum. La réaction a été plutôt mauvaise,
car les sept syndicats ont déclenché en février 1988 une grève qui a duré
six mois.
Après le règlement
de la grève, j’ai réalisé un plan de restructuration que j’ai présenté à
la direction du Droit. Les dirigeants ont aimé mes suggestions, mais
ils préféraient un calendrier de réalisation plus long que celui que
j’avais proposé. Il était même question de vendre le journal. J’ai donc préparé
un second plan, avec la collaboration d’un autre consultant, dans lequel
je préconisais l’achat du journal Le Droit par M. Péladeau. Il y
eut des discussions entre M. Péladeau et M. Black, mais rien n’aboutit dans
le sens de l’accord préconisé.
Finalement,
les dirigeants du Droit ont apporté des changements de structure à
l’entreprise en conservant uniquement la base principale du journal. On
a d’abord vendu l’imprimerie commerciale, qui était rentable, mais qui ne
s’intégrait pas bien à la mission de l’entreprise ; on a ensuite déplacé à
Montréal la filiale Novalis, qui publie notamment Prions en Église ;
on a changé le format du journal Le Droit pour en faire un tabloïd ; et
on a aussi déménagé le bureau en vendant l’édifice, comme le fit plus tard Le
Devoir. Le Droit avait ses propres presses, mais elles n’étaient
pas rentables. La solution était de faire imprimer à contrat. C’était là
une solution plus économique et moins lourde. Le Soleil l’avait déjà
compris comme Le Droit le comprendra à la fin des années 1980.
Par la suite, j’ai
réalisé une analyse de la situation du journal Le Devoir. J’y préconisais
là aussi que le journal soit plus actif au sein de la communauté et j’avais
proposé au directeur Benoit Lauzière que Pierre Péladeau et Quebecor
jouent un rôle précis dans la relance.
J’avais suggéré
: “ Vous devriez utiliser leur technique de vente publicitaire pour être
plus présent dans la communauté. ”
J’avais contacté
M. Péladeau pour lui demander ce qu’il en pensait et il était ouvert à
l’idée dans son ensemble. J’avais aussi proposé une campagne de financement
faisant participer les autres grands quotidiens de la métropole. Malheureusement,
rien n’a abouti, sauf que, par la suite, l’édifice du Devoir a été
vendu à Quebecor…
J’ai réalisé plusieurs
autres projets pour des journaux de moindre envergure, mais je suis revenu
frapper à la porte de Pierre Péladeau avec un projet qui le concernait personnellement
: démarrer un troisième quotidien après Le Journal de Montréal et Le
Journal de Québec, soit Le Journal de Hull.
J’ai mené ce projet
de front en 1989 avec Louis M. Bergeron, un des premiers journalistes
sportifs du Journal de Montréal à voyager avec le Canadien et les
Expos. Bergeron a quitté Le Journal de Montréal peu de temps après
l’arrivée de Jacques Beauchamp. Il connaissait bien la région de
l’Outaouais, et il avait relancé les trois hebdomadaires du Droit
alors que le propriétaire était Jacques Francœur, personnalité bien connue
du monde des journaux. Il a notamment dirigé l’hebdo Dimanche Matin.
Bergeron et
moi voulions un nouveau quotidien pour remplacer Le Droit. Nous
avions conçu un plan d’affaires très précis afin que M. Péladeau y adhère,
ainsi que d’autres investisseurs de la région.
Pierre Péladeau
avait accepté de recevoir notre document et il en a accusé réception par
téléphone. Il m’a dit qu’il le regarderait avec beaucoup d’attention et
que notre projet était manifestement bien préparé. Quelques jours plus
tard, il m’a téléphoné pour me demander des précisions au sujet de certains
chiffres. Mais au bout de quelques semaines, il nous a répondu par écrit,
dans la négative, contrairement à nos attentes et à nos espoirs. Nous
étions convaincus qu’il embarquerait avec nous et que notre journal aurait
ainsi formé un trio avec ses deux autres quotidiens de Montréal et de Québec
: même format, même dynamique de vente, même présentation graphique.
Nous voulions aussi installer notre quotidien à Hull, du côté du Québec,
avec Gatineau comme territoire et un plus grand bassin de francophones,
le même genre de marché qu’à Québec. Le Droit aurait bien aimé nous imiter,
mais les syndicats ontariens empêchaient légalement un tel geste d’une
entreprise constituée dans leur province.
M. Péladeau
était l’homme de la situation selon nous, mais lui n’était pas complètement
convaincu qu’il y avait financièrement un marché pour susciter assez de
recettes publicitaires. Notons que Le Journal de Montréal distribuait
à l’époque quelque 5 000 exemplaires dans l’Outaouais. De plus, en Ontario,
les francophones lisaient davantage la presse anglophone. Il avait déjà
essuyé de graves échecs sur le marché anglophone, à Philadelphie et plus
récemment à Montréal avec The Daily News, et il n’était pas à l’aise
avec l’idée d’y toucher une autre fois.
Mais il avait
regardé le projet très attentivement et réfléchi à la situation pour finalement
rendre sa décision. Nous lui avions présenté tous les éléments essentiels
avec des tableaux comparatifs. Le travail était très soigné sur le plan de
la recherche, et je pense que Louis M. Bergeron et moi avions attiré son
attention. Bergeron est toujours en Outaouais, où il est l’éditeur d’Outaouais
Affaires, journal mensuel à Gatineau.
Bien qu’il n’ait
pas financé le projet du nouveau quotidien, Pierre Péladeau avait pu
juger ma façon personnelle de travailler, et il en prit bonne note. Il m’a
dit d’ailleurs, en 1991, m’avoir offert un poste d’adjoint au président à la
suite des efforts que j’avais mis dans mon projet de 1989.
Plus tard, j’ai
participé à une mission économique à Paris, toujours dans le domaine des
publications, pour la délégation économique de la France à Ottawa. Je
devais identifier les joueurs économiques à Paris dans le secteur des journaux
et du minitel, et tenter d’établir un rapprochement avec des entreprises
de l’Outaouais.
Fidèle à mes
habitudes, j’avais envoyé une copie de mon rapport à Péladeau en lui disant
qu’il y avait de belles occasions en Europe. Je lui envoyais mon document
par courtoisie. Il m’a remercié en disant qu’il l’avait aimé.
J’étais convaincu
que je pourrais aider Pierre Péladeau au sein de ses hebdomadaires et contribuer
par mes idées à en améliorer l’efficacité. À la suite d’une proposition
écrite de ma part à ce sujet, il a communiqué avec moi pour m’inviter à la
réunion annuelle de planification de ses hebdomadaires le 2 août 1991.
Notre correspondance écrite fut plus abondante à partir de ce moment.
Les dirigeants
qui prenaient place à la réunion m’ont bien montré qu’ils étaient motivés
par leur leader et qu’ils le respectaient. J’ai pu me rendre compte que le
succès de Quebecor était dû à ce vif esprit de motivation de la part de
Pierre Péladeau, esprit qui n’a rien de compliqué et qui repose sur le gros
bon sens dans l’usage de l’encouragement et de la critique, mais qui est
très efficace lorsqu’il est bien appliqué.
Peu de temps
après, le 16 août, ce fut la réunion avec la direction du Journal de Montréal.
M. Péladeau m’avait également convié à cette réunion annuelle d’analyse en
tant qu’observateur. Je lui ai ensuite envoyé mes remarques et mes recommandations
dans un petit rapport écrit : “ Le Journal de Montréal pourrait
encore s’améliorer : avoir une seule manchette en première page, être plus
présent dans la communauté, différent des autres, unique, urbain plutôt
que régional. ”
Le Journal
de Montréal avait tenté, à une époque, de copier Le
Soleil et d’être régional. Selon moi, il fallait qu’il soit avant tout urbain.
On avait constaté à un certain moment une tendance de la part de plusieurs
grands journaux à se régionaliser. Le Soleil, entre autres, avait
des bureaux un peu partout en région dans l’est du Québec.
Durant ces deux
réunions de réflexion, j’avais pu constater que M. Péladeau agissait comme
un gagnant. Il y avait, bien sûr, une machine derrière lui qui était puissante
et qui faisait avancer toute la structure, mais il était un personnage
très dynamique au plus profond de lui-même, et de façon naturelle. On disait
pourtant de lui qu’il n’était pas ouvert aux conseils des autres et qu’il
n’écoutait que lui-même. Au contraire, il se montrait toujours sympathique
envers les gens qui lui offraient des solutions pour les problèmes, et il
pouvait changer d’idée lorsqu’il comprenait qu’il était dans l’erreur. Certes,
il avait une philosophie bien arrêtée quant à la gestion d’une entreprise
: solution, action, résultat. “ Tu as un problème, tu dois réagir pour le
régler, tu trouves la solution, puis tu obtiens un résultat. Si ça ne marche
pas, tu essaies autre chose. Il ne faut pas rester assis à ne rien faire. ”
Pierre Péladeau
ne se laissait pas approcher par n’importe qui sur le plan professionnel.
Il pouvait jeter au panier ce qu’on lui envoyait, s’il n’aimait pas l’expéditeur
ou la façon dont le travail était présenté, mais il était toujours intéressé
à écouter et à donner de son temps lorsqu’il rencontrait quelqu’un qui
avait des idées nouvelles et dynamiques. Il a agi de cette façon
avec moi, mais également avec beaucoup d’autres personnes. Combien de
fois l’ai-je vu encourager des jeunes à se lancer en affaires et leur
offrir son aide pour les conseiller ? Une bonne centaine de personnes ont
bénéficié ainsi de son soutien. Il aimait aider des gens qui s’aidaient
eux-mêmes. L’entrepreneurship était la meilleure qualité qu’il pouvait
apprécier chez toute personne.
J’ai constaté
très tôt durant mes premières expériences avec M. Péladeau que les gens
qui travaillaient avec lui avaient tous la même appréciation du personnage.
Je n’ai jamais vu personne qui travaillait pour lui être malheureux ou le
détester. C’étaient des gens qui n’étaient pas près de lui qui le critiquaient.
J’ai rapidement compris que c’était par jalousie que les gens en parlaient
parfois en mal. Je me disais que ces derniers n’avaient tout simplement
pas réussi à le séduire et qu’ils le haïssaient un peu à cause de cet échec.
Personnellement,
j’ai découvert un homme complètement différent de ce que la légende disait
de lui. Il ne faut pas se leurrer. Pour que M. Péladeau bâtisse Le Journal
de Montréal, il a fallu qu’il y ait des gens qui l’aiment et qui le secondent.
Tous les gens qui l’ont côtoyé ont pu apprécier le personnage à sa vraie
valeur, et surtout ont été motivés par sa présence à la direction. De mon
côté, j’ai découvert ce personnage et, moi aussi, j’ai voulu me joindre à
son équipe.
J’avais eu du
plaisir à travailler avec M. Mulroney ; je me disais que j’en aurais davantage
avec un homme comme M. Péladeau, car, en plus, il était dans le domaine que
j’aimais : les journaux.
Plusieurs
années plus tard, une jeune étudiante de Chicoutimi lui demanda comment
j’avais fait pour devenir son adjoint. Il a répondu :
“ Tout ça a commencé
par une correspondance continue. ”
Toutes les personnes
qui en ont fait l’expérience pourront en témoigner : M. Péladeau aimait
recevoir des lettres. Il se faisait un devoir de lire tout son courrier et
de lui donner suite rapidement, très souvent par téléphone. Il ne fallait
pas se surprendre, en répondant à un appel, de l’entendre claironner à
l’autre bout : “ Bonjour, c’est Pierre Péladeau. ” Il fallait évidemment que
le correspondant touche ses cordes sensibles, sinon la requête aboutissait
dans la corbeille à recyclage.
Au début de
1991, je lui ai donc écrit une autre lettre personnelle dans laquelle je lui
offrais mes services au sein de Quebecor. “ Je voudrais me joindre à vous
pour une période de cinq ans afin d’acquérir une solide expérience de gestion.
Dans cinq ans, je partirai et on dira de moi que je suis un gars qui est allé
à l’école de Péladeau. ”
À la fin d’une
journée à mon bureau d’Ottawa, alors que rien d’excitant ne se produisait,
j’allais partir quand le téléphone sonna :
“ Allô ! C’est
Pierre Péladeau. J’aimerais ça que tu viennes me voir. Je ne te promets
rien, mais j’ai peut-être quelque chose pour toi. ”
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CHAPITRE 4
Pierre Péladeau
m’avait donné rendez-vous à 9 heures le 8 octobre 1991 au 13e étage
de l’édifice Quebecor, situé au 612 de la rue Saint-Jacques Ouest, à Montréal.
J’avais quitté ma résidence d’Orléans, en banlieue d’Ottawa, en Ontario,
dès 6 heures du matin au cas où j’aurais été retardé par la circulation. Je
voulais arriver au moins une demi-heure avant la rencontre avec le président
de Quebecor.
M. Péladeau
arriva à 10 h 30 au bureau, d’un pas rapide, mais calme. En me voyant assis à
la réception, il me sourit. Il s’arrêta et regarda sa montre en disant,
l’air faussement surpris :
“ Monsieur Bernard,
bonjour ! Est-ce que je suis en retard ? ”
Il continua de
marcher en direction de son bureau et me demanda d’attendre qu’il ait
enlevé son manteau. Environ cinq minutes plus tard, Micheline Bourget, sa
secrétaire, que j’avais déjà saluée plus tôt, vint me demander de la suivre.
Nous nous dirigeâmes directement vers le bureau de Pierre Péladeau. C’était
un très vaste bureau en coin, étroit mais d’au moins six mètres de longueur,
avec des meubles de style. Sur les murs étaient suspendus des tableaux
signés par de grands noms. J’en reconnus deux : Jean-Paul Lemieux et
Marc-Aurèle Fortin. La vue donnait sur la tour de la Bourse, au nord, et sur
le bureau de Paul Desmarais (Power Corporation) à l’est.
Avant de m’inviter
à m’asseoir, il me dit :
“ Est-ce que tu
veux un café ? ”
J’acceptai et
il en demanda un pour lui aussi. Nous étions à peine assis qu’il me dit :
“ Bon ! Dis-moi
ça en cinq minutes : que peux-tu faire pour moi ? ”
J’avais préparé
mes options et, à sa demande, j’avais déjà envoyé une lettre lui expliquant
ce que je ferais s’il m’embauchait. En réponse à sa question, je lui ai
répété verbalement, en quelques minutes, que je serais à l’aise pour occuper
un poste soit comme journaliste au Journal de Montréal, soit comme
éditeur dans l’un de ses hebdomadaires, soit comme responsable des relations
publiques au siège social de Quebecor.
Il était intéressé
par le dernier point.
“ Et qu’est-ce
que tu pourrais faire en relations publiques pour Quebecor ? ”
J’ai commencé
par lui décrire comment j’interprétais tous les problèmes vécus depuis
les douze derniers mois, situation amorcée par la publication d’un reportage
que le magazine L’Actualité lui avait consacré. Selon moi, il avait
manqué de rigueur dans la gestion de ses contacts avec les journalistes.
Il était possible de bâtir une stratégie de relations publiques qui le
mettrait en valeur, tout en le protégeant. Évidemment, à titre de consultant
en communication, j’avais mes théories en matière de gestion des communications
dans une grande entreprise. Je lui en avais d’ailleurs déjà fait part à plusieurs
reprises dans le passé. Je considérais qu’il était possible, et même
nécessaire, de gérer les relations publiques comme on gère tous les autres
secteurs d’activité dans l’administration, tels que les finances, les
ressources humaines ou les ventes.
* * *
Un an auparavant,
un article publié dans le magazine L’Actualité 1 secouait
la rue Saint-Jacques et, en particulier, l’entourage de Pierre Péladeau.
Le journaliste, Jean Blouin, avait tracé un portrait de Pierre Péladeau que
l’on titrait :
“ Péladeau tout
craché – Aucun homme d’affaires n’est plus connu au Québec. On l’admire ou
on le déteste. La légende a avalé la réalité. On sent le besoin de déplanter
ce décor. ”
Si cet article
voulait présenter un Pierre Péladeau aussi cru qu’il pouvait l’être quand
il se laissait aller – et il était facile de le provoquer –, on peut dire
que c’était réussi. Ses répliques étaient citées sans laisser aucune place à
l’interprétation et ses phrases étaient parfois parsemées de jurons et
carrément d’insultes. Le journaliste n’avait pas écrit un article complaisant.
Plusieurs citations et plusieurs détails voulaient peut-être donner un portrait
fidèle de Pierre Péladeau, mais c’est comme si l’on avait accentué les
aspects négatifs du personnage en éclipsant les aspects positifs. Pour une
opération de relations publiques, on peut dire que M. Péladeau avait complètement
raté son coup.
Ce sont deux passages
en particulier de ce reportage qui ont soulevé une grande colère de la
part de la quasi-totalité de la communauté juive du Québec et d’ailleurs au
Canada. Le journaliste cite M. Péladeau ainsi :
“ Je suis antipersonne,
je suis pro-Québécois. Je n’ai jamais reproché au Journal d’avoir consacré
un article à un Juif parce que c’était un Juif, mais parce qu’il n’était pas
francophone. J’ai un grand respect pour les Juifs, mais je trouve qu’ils
prennent trop de place. Je veux d’abord que l’on aide nos gens qui en ont bien
plus besoin 2 ! ”
Il dira aussi
plus loin qu’il admire Hitler pour sa volonté de fer et sa discipline de travail,
discipline que l’on retrouvait, selon M. Péladeau, chez tous les Allemands.
La communauté
juive n’avait pas apprécié ces deux commentaires. En effet, c’est une chose
pour un personnage public que de faire une déclaration, encore faut-il que
le message circule. Dans ce cas-ci, on peut dire qu’il s’était rapidement
propagé dans toute la communauté intéressée. Pourtant le magazine L’Actualité
n’est pas un outil de propagande antijuif. C’était, et c’est encore aujourd’hui,
une excellente publication qui se veut d’une certaine façon la version
française du magazine Maclean’s de Toronto. L’Actualité est
un bimensuel surtout distribué au Québec, dont le tirage atteint environ
191 000 exemplaires.
En accordant
une entrevue à ce magazine, Pierre Péladeau avait pensé s’adresser au Québec
francophone, et il avait voulu afficher encore une fois son penchant nationaliste.
Le journaliste, M. Blouin, avait probablement voulu aiguiller autrement
son sujet, et avait alors orienté son article vers les aspects les plus colorés
du personnage. Ce que rapportait le rédacteur de L’Actualité
n’était pas faux, mais mal présenté, sans la mise en contexte.
Si Pierre Péladeau
avait déjà été accusé de sensationnalisme et, parfois, de profiter des
personnalités pour faire augmenter son tirage, il en était la victime
dans ce reportage publié le 15 avril 1990, quatre jours après son 65e
anniversaire de naissance.
L’effet de ces
propos fut catastrophique pour lui et pour Quebecor. Le temps de réaction
et la réplique à l’article de la part de M. Péladeau ne firent rien non
plus pour en diminuer les répercussions. Il semble en effet que personne chez
Quebecor, et en particulier Pierre Péladeau lui-même, n’avait lu l’article
une fois publié pour vérifier si chaque citation était reproduite dans le
bon contexte.
Le tollé qui
s’ensuivit de la part de la communauté juive était semblable à une vague
de fond impossible à stopper une fois déclenchée. Les leaders de la communauté
juive s’étaient rassemblés et ils avaient décidé de contester l’ingrat personnage
qu’était Pierre Péladeau. Cette contestation se traduisait de façon précise
sur le plan des affaires par l’annulation, entre autres, de certains contrats
importants en publicité et en imprimerie. Ce fut un boycottage en règle.
M. Péladeau fut
ébranlé par la réaction, et il s’interrogea longuement sur la raison qui
l’avait fait trébucher ainsi dans la gestion de son image. Il avait toujours
voulu envoyer un message d’encouragement aux siens ; pourquoi lui
répondait-on ainsi ? Il ne haïssait pas les Juifs. Il déplorait plutôt le fait
que les Québécois ne savaient pas les imiter. Il avait voulu défendre ses
semblables comme le font les leaders juifs pour les leurs. La seule attention
particulière à l’égard de la communauté juive portait sur sa solidarité.
Ceux qui fréquentaient ou travaillaient avec M. Péladeau l’avaient souvent
entendu prendre les Juifs en exemple d’entraide, de soutien et de complémentarité.
Il leur vouait une véritable admiration pour leur sens des affaires et,
selon lui, les Québécois occuperaient un espace plus important sur la
scène financière s’ils copiaient leur mode de gestion. Il traduisit cette
pensée au journaliste en ces termes :
“ Si les Juifs
prennent trop de place dans l’économie, c’est parce que les Québécois n’en
prennent pas assez. ”
C’était son
explication, mais le journaliste avait mis en évidence une partie seulement
de sa remarque.
À cette époque,
en 1990, j’ai bien tenté, sur une base personnelle, d’aider Pierre Péladeau
à faire face à cette crise ; je l’ai même défendu publiquement. Je n’ai pas
agi à titre de consultant, mais par amitié et surtout par admiration pour
le personnage. J’ai écrit une remarque que j’ai adressée aux principaux
quotidiens du Québec, dont La Presse, ainsi qu’à L’Actualité.
C’était évidemment une goutte d’eau dans toute l’affaire, mais je me suis
levé et j’ai pris position. J’ai tenté d’expliquer comment je voyais le personnage
et pourquoi il ne fallait pas le crucifier ainsi.
L’Actualité
refusa de publier mon commentaire, mais Jean Paré, rédacteur en
chef, m’expliqua par lettre que le magazine reconnaissait son erreur et
que l’on préférait classer le dossier 3.
Extrait de mon texte
adressé aux grands quotidiens du Québec
adressé aux grands quotidiens du Québec
[…] Les critiques à l’égard de M. Pierre Péladeau
au sujet de son idéologie personnelle, telle qu’elle a été publiée dans le
magazine L’Actualité, sont fausses et on perçoit mal la vraie et la
grande valeur de cet homme d’affaires québécois.
On s’acharne sur la vision personnelle de M.
Péladeau, vision qui lui appartient, et on ne s’attarde aucunement sur les
grandes réalisations de celui-ci. M. Pierre Péladeau a réussi à créer un
géant économique québécois unique et dont le succès est un modèle pour
tous les francophones du pays. L’entreprise qu’est Quebecor atteint
aujourd’hui un chiffre d’affaires de plus de deux milliards de dollars et
emploie plus de 18 000 personnes. Pourtant, cette réalisation québécoise
a débuté d’une façon fort humble et la fortune de M. Péladeau ne date pas
des générations précédentes, car l’entrepreneur a démarré avec une
somme de 1 500 $ seulement, il y a de cela quelque vingt-six années passées.
Voilà ce sur quoi il faut s’acharner et ce à quoi il faut applaudir plutôt
que huer. – Mai 1990 –
Extrait de mon texte
adressé au magazine Le 30 4
adressé au magazine Le 30 4
[…] Le dossier spécial sur M. Pierre Péladeau
publié dans l’édition de juin 1990 du magazine Le 30 est intéressant
à plusieurs égards à propos du travail des journalistes. Toutefois, le
dossier spécial n’a pas véritablement répondu à la question principale,
à savoir : est-ce que l’affaire a été traitée correctement et d’une façon
équitable par la presse ou est-ce que la partisannerie et le sensationnalisme
ont dominé ?
La première preuve du manque d’équité accordé
à cette affaire est la façon utilisée par le magazine L’Actualité
pour publier sa correction. Plutôt que de présenter une mise au point –
rétractation – dans les pages mêmes du magazine, on a préféré utiliser la
place publique et émettre un communiqué de presse sur le réseau Telbec.
Selon moi, il eût mieux valu ne pas émettre de
communiqué de presse, mais présenter les faits véritables dans l’édition
suivante de L’Actualité. On dira que la couverture obtenue par
l’usage de Telbec est plus large, mais c’est justement ce qui a créé le manque
de professionnalisme journalistique alors que l’on a voulu produire un
débat médiatique au lieu de simplement rétablir les faits.
De plus, malgré tout le cheminement public
qu’a connu l’affaire, la publication d’une rétractation dans les pages
mêmes du magazine serait essentielle encore aujourd’hui comme l’a mentionné
Jean Pelletier, chroniqueur, pour ceux qui, plus tard, reliront L’Actualité,
historiens ou archivistes, et qui voudront alors redire l’histoire de
notre époque. Si rien ne figure dans les archives de L’Actualité, le
débat n’en sera que plus compliqué et plus faux […] – 20 juin 1990 –
* * *
Pierre Péladeau
m’avait écouté sans interruption pendant que je lui expliquais la façon
dont j’envisageais mon travail chez Quebecor. J’étais encouragé de constater
qu’il était attentif à mes propos. Mon exposé devait l’intéresser.
Ce que je recommandais
pour Quebecor était relativement simple. Il fallait, selon moi, établir
des mécanismes de surveillance vis-à-vis des médias comme il en existe
ailleurs, en particulier dans le secteur politique. Il faut s’assurer
de lire l’article de presse immédiatement après sa publication, mais surtout
choisir stratégiquement le ou les médias à qui l’on accorde des entrevues.
Également, l’attaché de presse doit toujours assister au déroulement de
l’entrevue en compagnie du président et s’assurer, après la rencontre,
que le journaliste a bien interprété et bien compris le sens des réponses
données. Il faut obtenir la date de publication de l’entrevue et faire
les démarches pour en obtenir un exemplaire rapidement. Mais, plus important
encore, il faut conserver un enregistrement de la conversation entre le président
et le journaliste. En tant qu’attaché de presse, il est essentiel de se
munir d’un magnétophone et d’enregistrer l’entretien afin de pouvoir
contester ou confirmer l’interprétation rendue par le journaliste et
le média qu’il représente. Si l’entrevue est importante et que l’on dispose
du temps nécessaire, il peut être utile de faire transcrire l’enregistrement
à titre de référence. C’était là une pratique courante lorsque j’étais au
service de Brian Mulroney.
Au bout d’environ
dix minutes, Pierre Péladeau m’a avoué qu’il ne s’était peut-être pas assez
protégé durant les dernières années ; il y avait peut-être eu un peu de
négligence de sa part et j’avais probablement raison dans mes remarques.
Quebecor était une entreprise qui avait grandi énormément et rapidement,
et il fallait se doter de mécanismes de surveillance qui étaient inutiles
auparavant.
Il m’a alors
demandé, de façon très directe :
“ Combien tu
vas me coûter pour tout ce que tu proposes ? ”
Je lui ai mentionné
un prix ni trop élevé ni trop bas, très conforme au marché.
“ C’est réglé !
Quand es-tu disponible pour commencer ?
– Mais cet
après-midi, si vous voulez… ”
Comme il pensait
à tout, il ajouta :
“ Quel titre
veux-tu écrire sur ta carte professionnelle ? ”
Il conclut la
conversation en me disant qu’il me proposait une période d’essai. Il “
nous ” donnait trois mois de part et d’autre pour savoir si la chimie fonctionnait.
Il a dit : “ Ça passe ou ça casse. ” Après ce délai, s’il était satisfait de
mon travail, et moi de l’ambiance chez Quebecor, le marché était conclu.
Sinon, notre entente ne tiendrait plus, mais nous resterions bons amis.
* * *
À la demande de
M. Péladeau, mon premier mandat fut de rédiger un mémoire qu’il voulait
présenter au nom de Quebecor à la Commission parlementaire sur les
artistes du Québec, qui devait se tenir dans les semaines suivantes. Il
considérait que Quebecor, comme plusieurs autres entreprises, faisait
beaucoup pour les artistes québécois et que nous devions mettre ce fait en
évidence auprès du gouvernement du Québec.
La première
journée, je n’avais pas de bureau. Il m’a installé dans sa salle de conférences,
un genre de petit salon, et il m’a dit que je serais dès le lendemain matin
dans le bureau qu’avait André Gourd (il avait quitté l’entreprise quelque
temps auparavant). Gourd avait occupé un poste de la haute direction et le
bureau était pratiquement plus grand en superficie que celui du grand
patron. Il était intimidant de m’y installer.
Je n’étais pas
encore assis dans la salle de conférences qu’il arriva en compagnie d’une
jeune femme.
“ Je vais te présenter
Dominique Vincent, ton adjointe. ”
Je ne savais pas
alors que j’en avais une.
Le lendemain,
à ma première journée officielle, je croisai Pierre-Karl Péladeau qui, visiblement,
ne savait pas qui j’étais.
“ Vous êtes qui,
vous ? ” me demanda-t-il, intrigué.
Je lui répondis
que j’étais l’adjoint de son père.
Il a tourné les
talons sans poser de questions, se contentant de dire simplement :
“ Ah bon ! Bonjour.
”
Quelques minutes
plus tard, j’aperçus Raymond Lemay.
“ Vous êtes qui,
vous ? ” me demanda-t-il aussi.
Je me présentai
avec empressement.
“ Ah bon ! Il a
un adjoint maintenant ! ” ronchonna-t-il en s’éloignant.
J’ai compris
alors que l’idée de m’embaucher était de Pierre Péladeau lui-même. Le président
avait décidé, et j’avais été accepté sans aucune discussion ni consultation
avec ses vice-présidents.
* * *
J’ai tout de
suite pris mon rôle très au sérieux quant à l’élaboration du mémoire. Je voulais
un document complet. La première semaine, j’ai tout d’abord entrepris de me
familiariser avec les diverses publications et filiales liées aux artistes.
J’ai visité Distribution Trans-Canada et rencontré le personnel en compagnie
de Chantale Reid, alors directrice de cette importante maison de distribution
de disques. Ensuite, j’ai rencontré les éditeurs des journaux et des magazines
artistiques.
Après quelques
jours, mon bureau fut rapidement envahi de documents et de boîtes d’archives.
Dominique Vincent, mon adjointe, m’assistait dans la préparation du
mémoire. Il y avait des dossiers et des papiers étalés partout. M. Péladeau
est venu voir comment je m’en sortais. Il est resté sur le pas de la porte et
regarda ce vaste déploiement de papiers et de boîtes.
“ Tu as l’air
très organisé mon homme ! Ça va être un beau document. ”
* * *
Afin de m’initier
à sa façon de travailler avec les gestionnaires de ses magazines de vedettes,
il m’a demandé de l’accompagner à une réunion de l’hebdomadaire Le
Lundi où il devait discuter avec le personnel de direction. Au début
de la rencontre, on lui présenta les maquettes de la prochaine édition.
Sa réaction ne fut pas longue à venir. Il a simplement empoigné les canevas
et il les a lancés en direction de la corbeille en criant :
“ Ça ne vaut
rien. Vous allez me recommencer ça et vite ! ”
Je venais d’assister
pour la première fois à l’une de ses légendaires colères. L’éditeur et le
rédacteur en chef n’en menaient pas large… À l’issue de ce baptême, M. Péladeau
a quitté la réunion pour se rendre à un rendez-vous, et c’est l’éditeur du Lundi
qui m’a ramené dans son véhicule au 612 de la rue Saint-Jacques.
“ Faut pas t’en
faire, me dit-il en regardant la circulation en coin. Tu ne vas pas nécessairement
durer longtemps. Chez Quebecor, il faut être prudent et j’ai vu d’autres
adjoints qui n’ont pas fait long feu. ”
Je ne sais pas
s’il voulait m’humilier parce que j’avais été témoin de la scène qui venait
de se passer, ou me donner un conseil, toujours est-il que, quelque temps
plus tard, le rédacteur en chef a été remercié de ses services. En ce qui
me concerne, j’ai “ duré ” jusqu’à la fin de Pierre Péladeau.
* * *
J’ai compris
très rapidement que M. Péladeau aimait la simplicité en tout. Il fallait
être clair, concis, bref. Je pouvais élaborer des plans très détaillés,
mais, lorsque j’arrivais devant lui, la plupart du temps je gardais mes
notes et je lui parlais tout simplement. Il n’avait pas à lire mes documents,
et il me donnait des réponses aussi brèves que rapides.
Le mémoire au
sujet de Quebecor et la culture était volumineux, une cinquantaine de
pages, un peu trop à son goût, et il ne se voyait pas en train de le présenter.
Mais il savait que les parlementaires voulaient ce genre de dossier. Il a
donc délégué Jacques Girard pour aller le présenter officiellement à sa
place. Girard, qui avait déjà été sous-ministre, connaissait bien les rouages
de l’administration publique et il y serait plus dans son élément que M.
Péladeau. Il serait mieux perçu et mieux compris.
Par la suite,
lorsque je préparais un dossier, j’en présentais toujours la synthèse
de façon très concise. Je m’adaptais au client. Pierre Péladeau et Quebecor,
je le constatais semaine après semaine, étaient des géants, mais il suffisait
parfois d’agir avec simplicité pour les atteindre.
* * *
D’un autre côté,
je découvrais un besoin à combler sur le plan des relations publiques,
lequel expliquait d’une certaine façon comment la crise de 1990 avait pu survenir.
Ainsi, je considérais que l’attaché de presse se devait d’encadrer étroitement
le président dans toutes ses sorties publiques, qu’il s’agisse de conférences,
d’entrevues ou de rencontres officielles. Cet encadrement n’avait pas
toujours eu lieu chez Quebecor.
Dans une entreprise
aussi grande et importante, œuvrant en plus dans le domaine de l’édition et
des communications, il fallait que le patron respecte un plan de gestion
pour son image publique. Presque toutes les entreprises, de moyenne ou de
grande taille, sont équipées d’outils de relations de presse et de communication
avec un personnel en place pour gérer et planifier le travail. Lorsqu’il
s’agit des médias, les contacts s’établissent d’abord avec le porte-parole
de l’entreprise, qui, en général, est le directeur des relations publiques
et qui se charge de filtrer et de traiter les demandes avant de les acheminer
vers le président.
Même à la fin de
1991, une année plus tard, M. Péladeau subissait encore les conséquences
du sombre épisode de L’Actualité. Je me suis lancé le défi de reconstruire
l’image du président et ce, en l’espace de deux ans. J’ai d’abord commencé
à rédiger un plan, de façon informelle, qui permettrait de faire connaître
le vrai Pierre Péladeau. Les gens le jugeaient pour de mauvaises raisons.
Sa vie personnelle prédominait aux yeux du public et on oubliait toujours
qu’il était à la barre d’un empire qui était un important créateur d’emplois,
touchant la vie de plus de 18 000 personnes (en 1991). C’était là-dessus que
l’on devait maintenant miser et éviter de mettre en évidence son caractère
ou ses mauvaises habitudes.
J’ai commencé
par établir une procédure de gestion des médias. À la différence du
milieu politique, où l’on doit gérer les crises sur une base quotidienne
un peu comme des pompiers que l’on appelle en urgence pour éteindre un feu,
dans le privé, on peut établir un plan d’action à moyen ou à long terme, prévoir
et mesurer les effets de gestes posés et, surtout, corriger le tir pour
améliorer les répercussions des actions à venir.
Ainsi, toutes
les entrevues que M. Péladeau allait accorder à la suite de mes recommandations
seraient ciblées. J’ai aussi commencé à appliquer une surveillance et une
évaluation de nos efforts. Avant mon plan de communications, lorsqu’il
donnait une entrevue à la radio, à la télévision ou dans la presse écrite,
il ne s’occupait pas d’en analyser les retombées ou les effets ultérieurs
dans l’opinion publique. Par exemple, en 1990, nombreux sont ceux qui ont
mis en doute la bonne foi de M. Péladeau lorsqu’il a fait connaître sa réaction
seulement plusieurs jours après la publication de l’article de L’Actualité.
Ce n’est pas qu’il ait commencé à s’y intéresser en raison du tollé provoqué
dans la communauté juive et le public en général, mais tout simplement
parce qu’il n’avait pas lu le magazine. C’était pratique courante. Il fallait
maintenant changer cette habitude. Si M. Péladeau rencontrait un journaliste,
il ne le faisait plus seul. Et le lendemain, je m’assurais de ce que l’article
ou l’émission avait entraîné comme réaction. Il fallait que ce soit positif,
sinon on réagissait pour renverser la vapeur.
Ce n’était pas
évident d’arriver avec un plan précis et d’encadrer un personnage comme
M. Péladeau, lui qui avait tendance à décider seul et rapidement de ses
remarques publiques. S’il consultait, il n’écoutait pas toujours les
recommandations. Je compris très vite qu’il n’adopterait pas facilement
le moule que je voulais lui proposer. C’était le plan de communication
qui devait s’adapter à lui, et non le contraire. J’ai appris à le convaincre
et au fur et à mesure, de modifier ses pratiques. Je ne pouvais pas changer
le personnage, je devais l’encadrer.
Lorsque je lui
ai présenté mon plan de communication, j’avais dans les mains une simple
feuille comportant les grandes lignes. Il l’a lue pendant que je lui précisais
mes idées verbalement. Je lui ai expliqué que je considérais qu’il fallait
dorénavant axer les communications sur les points forts de Quebecor et
de son fondateur : l’historique, le rôle d’employeur et l’engagement
dans la société. Il fallait également faire connaître tout le côté philanthropique
et les sommes considérables investies dans les arts et la culture. Je
lui expliquai que j’avais besoin de deux ans pour réaliser un pareil plan et
modifier la perception populaire envers Quebecor et Pierre Péladeau.
Il m’a écouté
très attentivement et à la fin il était emballé. Il a dit simplement :
“ C’est pour ça
que je t’ai pris avec moi. ”
J’étais assez
fier de l’avoir convaincu de mes idées. Avec lui, il ne fallait jamais avoir
peur, il fallait oser. La pire chose qui pouvait arriver est qu’il n’aime
pas le concept et qu’il passe rapidement à autre chose.
* * *
Dans les deux
années qui ont suivi, en respectant l’itinéraire tracé, Pierre Péladeau a
multiplié les conférences qu’il donnait lors d’événements spéciaux, de
congrès ou à l’occasion de rencontres de diverses chambres de commerce.
Il s’est fait connaître davantage auprès des universités. Durant cette
période, il a prononcé près d’une centaine de conférences 5 un
peu partout au Québec. Il fallait vendre Pierre Péladeau et Quebecor,
les faire apprécier et reconnaître à leur juste valeur. M. Péladeau était
spontané et il avait cette mauvaise habitude de sortir de son texte selon
l’impulsion ou l’inspiration du moment. Il s’est toutefois rendu compte,
en voyant les réactions positives qu’il suscitait, que c’était plus avantageux
de se fier au document préparé pour la conférence. C’était d’ailleurs le conseil
que lui avait donné René Lévesque quelques années plus tôt.
Le texte de ses
conférences était généralement écrit à partir d’un canevas de base que
nous adaptions à l’auditoire particulier qu’il allait rencontrer. En
général, le message était simple, direct et motivateur. Il aimait beaucoup
l’humour et il insistait pour que je lui trouve continuellement de nouvelles
blagues.
Voici quelques
extraits des conférences prononcées par Pierre Péladeau entre octobre 1991
et novembre 1997 :
[…] Qu’est-ce que je pense de la souveraineté
du Québec ? Je déteste répondre à cela, car je ne suis pas un politicien.
Je suis un homme d’affaires et je laisse ceux qui sont payés pour faire de la
politique se gargariser de ces questions de Constitution. Pour moi, le
chômage et l’économie sont pas mal plus importants.
[…] Pas de profit, pas d’entreprise. Pas
d’entreprise, pas de job. C’EST T’Y ASSEZ SIMPLE ! La preuve de ce que
j’avance est une compagnie que je connais bien : Quebecor.
[…] J’ai bien connu Robert Maxwell.
Il faut vivre au moins une semaine dans les bottes
de celui que l’on juge. Il portait des 12, moi, des 8.
[…] Il faut savoir s’entourer des bonnes personnes
et être capable de prendre un risque calculé lorsque l’occasion se présente.
La seule différence entre les perdants et les gagnants, c’est la capacité à
saisir l’occasion lorsqu’elle se présente. Il n’y a personne qui n’a pas,
tôt ou tard, une chance qui lui passe devant.
[…] À Quebecor, on est efficace car chacune
de nos quelque cent entreprises fonctionne comme si elle était encore une
petite entreprise. Il faut que chacune de nos entreprises réalise un profit
par elle-même. Sans profit, il n’y a pas d’entreprise.
[…] Vous seriez surpris de voir combien il
existe de gestionnaires philosophes, supposément chevronnés, qui ne
comprennent rien à ce principe élémentaire du profit. Lorsque l’on voit
des entreprises comme Olympia & York des frères Reichman dans une
faillite de 20 milliards, on s’interroge sur leur notion de profit.
[…] Un entrepreneur est quelqu’un qui sait
rêver et avoir de la vision, mais qui sait aussi se relever les manches et
qui n’a pas peur de travailler ; qui fait face à la réalité.
[…] Imprimer des journaux, c’est assez banal.
Il s’agit d’entrer le papier en rouleaux et de le sortir en paquets.
[…] Quelques années plus tard, dans les années
1960, mon imprimerie fonctionnait à plein et mes journaux étaient plus profitables
que jamais. Voilà que l’on m’annonce que la rue où j’étais installé allait
être expropriée pour faire place aux immeubles de Radio-Canada. J’avais
acheté la rue au complet. Toutes mes ambitions s’écroulaient. Je n’ai pas
braillé longtemps et j’ai été m’installer ailleurs dans un nouvel édifice
que j’ai construit en quatrième vitesse. Et j’ai recommencé. Dans la vie,
rien n’est éternel et il faut savoir s’adapter au changement.
[…] Si j’ai un conseil à vous donner pour
être transmis à vos enfants, c’est celui-ci : il faut absolument prendre en
main notre économie et ne pas se renfermer sur soi-même. Il ne faut pas
s’isoler et croire que le monde s’arrête à notre porte. Le monde est vaste et
il est possible d’en faire notre terrain de jeu des affaires. C’est à nous
tous et chacun de s’ouvrir les yeux et de VOIR GRAND. Ce n’est pas parce que
l’on est québécois que ça fait une différence.
[…] Je connaissais bien René Lévesque.
C’était un très bon journaliste, probablement le meilleur qui soit passé
au Journal de Montréal. On a souvent discuté ensemble et je lui disais
bien ouvertement : “ René, un pays est fort pourvu que son économie soit forte.
Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Platon. Regarde les pays africains, ils
sont politiquement indépendants, mais ils crèvent de faim. Pourquoi ?
Parce que, économiquement, ils sont à la remorque de tout le monde. ”
Le Québec est aujourd’hui fort sur le plan
politique parce qu’il en mène large sur le plan économique.
[…] Pour réussir dans les affaires, il ne
faut pas se buter dans des formules préparées à l’avance. Il ne faut pas
avoir peur de sortir des sentiers battus et d’avoir des idées nouvelles.
Il faut savoir changer son plan d’attaque si ça ne fonctionne pas à la première
tentative et essayer par une autre porte. Frapper à toutes les portes jusqu’à
ce que l’on ouvre. C’est comme ça que j’ai réagi lorsque les Anglais de
Toronto n’ont pas voulu me vendre The Toronto Sun. Si on ne veut pas de
mon argent, je vais l’investir ailleurs. D’autres vont l’accepter avec
plaisir. Et j’ai investi en France.
[…] À Quebecor, notre succès tient au fait
que nous évoluons avec notre temps et que nous sommes capables de réagir à
toute vitesse. Nos employés sont des gens qui n’ont pas peur du changement et
nous sommes tous des artistes de notre travail.
[…] Un jour le général Patton se rend au restaurant
et commande un homard. Le garçon lui apporte un homard auquel il manque une
pince. Le général demande au garçon pourquoi son homard n’a qu’une pince. “
Eh bien, vous savez, les homards se battent entre eux et ce homard s’est fait
arracher une pince. ”
Le général remet son assiette au serveur et
lui dit : “ Garçon, apportez ce homard à la cuisine et rapportez-moi le
gagnant ! ”
[…] Toujours jouer pour gagner. Dans la vie,
il y a ceux qui s’écroulent devant les difficultés et ceux qui, au contraire,
ne se laissent pas abattre et foncent encore plus. Les affaires, c’est
comme le sport. Ce n’est pas uniquement le talent qui compte, mais le désir
de réussir et d’être gagnant.
[…] Il y a un certain nombre d’attitudes
simples et pas compliquées que j’ai acquises pour mes vendeurs :
1. Il faut savoir sourire. L’humour ouvre les
portes.
2. Être positif. Ne pas perdre les pédales
quand on manque une vente. You miss a deal, you get a deal.
3. Savoir écouter et ne pas parler pour ne
rien dire. Ne pas perdre de temps à critiquer ses concurrents ou les
autres, surtout ceux qui réussissent.
4. Il faut s’occuper de son client après la
vente. Le succès d’une entreprise dépend souvent du suivi et de l’écoute
accordée à son client.
5. Le plus important : se faire payer. Une
vente n’est pas complétée tant qu’elle n’est pas payée.
[…] Si on lui en donne l’occasion, la P.M.E.
peut souvent proposer à la grande entreprise des solutions meilleures et
moins coûteuses que d’autres.
[…] Notre société au Québec a bien évolué, et
nous créons, aujourd’hui, des hommes d’affaires. Il y a quelques années,
chaque fils de notaire faisait un notaire, chaque fils d’avocat faisait un
avocat, chaque fils de médecin faisait un médecin et chaque fils de curé
faisait un curé…
[…] Pour faire un deal, il faut être imaginatif.
J’ai eu la preuve récemment que l’intelligence ne va pas nécessairement
avec le métier. Là où j’habite à Sainte-Adèle, j’ai deux voisins. Un est
gérant de banque et l’autre c’est mon jardinier. L’été dernier, le fils de
mon jardinier s’était installé à l’entrée de son garage avec une affiche :
“ Chien à vendre : 10 000 $ ”.
Vers 10 heures, le banquier sort pour aller
travailler et il passe devant la résidence du jardinier. Il arrête sa voiture
et il lance un cri au jeune garçon : “ Tu veux vendre ton chien ? Combien tu
demandes ? ”
Le jeune garçon montra l’affiche et lui dit
: “ 10 000 $. ” Le banquier lui dit qu’il était un peu optimiste et qu’il
serait difficile d’avoir son prix. Il lui souhaita quand même bonne chance
!
Le soir, vers 16 heures – les banquiers finissent
de travailler tôt –, notre gérant de banque passe devant la résidence du jardinier.
Il est tout surpris de voir que l’affiche du chien à vendre a disparu. Il
voit le garçon au fond de la cour et il lui crie : “ Puis ton chien est-il
vendu ? – Oui, monsieur. Je l’ai vendu dès votre départ ce matin. Je l’ai échangé
contre deux chats à 5 000 $ chacun. ”
* * *
Je rédigeais
toujours les discours, mais Pierre Péladeau écrivait lui-même le texte
final afin de se sentir confortable dans la livraison. Toutefois, il me
les soumettait toujours pour approbation, afin de s’assurer que le message
rejoignait nos objectifs de relations publiques.
Sans contredit,
l’objectif de modifier la perception populaire à l’égard de Pierre Péladeau
fut atteint et les sondages scientifiques l’ont clairement démontré. Du
paria que M. Péladeau était en 1990, il est passé à l’entrepreneur de l’année,
dès 1993, et ce, dans plusieurs sondages.
Mais ce n’était
pas toujours facile à gérer. M. Péladeau était un personnage explosif,
enflammé. Il ne faisait rien à moitié. Au début, il était très indépendant,
parce qu’il l’avait toujours été. Je passais mon temps à m’assurer, non pas
que M. Péladeau s’adapte à la stratégie, mais plutôt que celle-ci se fonde
en lui. C’était à différents niveaux. Avant, ses défauts dominaient continuellement
le personnage public. Après, ce sont ses bons côtés qui ressortaient. Il a
fallu changer de cap et mettre en valeur ses qualités. C’est ce que j’appelle
“ Relations publiques 101 ”.
Je me suis appliqué
à comprendre comment Pierre Péladeau réagissait au quotidien. Il avait
un côté humain méconnu du public et qui disparaissait pratiquement sous
le poids de toutes les rumeurs qui circulaient depuis toujours à son sujet.
Il avait des
défauts connus par à peu près tout le monde. M. Péladeau avait un caractère
bouillant. Lorsqu’il se fâchait, il ne passait pas inaperçu. Il pouvait
avoir des accès de rage où il perdait pratiquement la maîtrise de
lui-même. Mais avec lui, c’était noir ou c’était blanc. Il n’y avait pas d’équivoque.
Je peux dire cependant que, dans la majorité de ces moments-là, ses mots
dépassaient véritablement sa pensée pour une raison que je n’arrive toujours
pas à comprendre. Des collègues m’ont récemment expliqué que le fait
d’être un ancien alcoolique y jouait pour beaucoup. Ce n’est pas parce que
l’on est sobre que le tempérament change.
M. Péladeau
avait aussi des qualités qui étaient tout à son avantage. Il aimait les gens
et il adorait se retrouver devant le public. Il faut dire que certaines personnes
se comportaient avec lui comme si elles étaient devant une véritable
vedette de cinéma. On voulait lui serrer la main et obtenir, dans bien des cas,
un autographe. Il parlait à tout le monde. En public, il était heureux. M.
Péladeau pouvait discuter de n’importe quel sujet avec n’importe qui, à
condition que cette personne ne soit pas guindée ou snob. Il ne privait
personne de conseils si on lui en demandait.
Dire qu’il était
séduisant semble un énorme mensonge, car il était doté d’un physique qui
ne l’avantageait pas. Pourtant, il savait charmer et il savait également
séduire. On finissait par oublier son apparence. Il maniait l’art
de plaire comme pas un. Il aimait rire et il adorait les histoires et les
anecdotes. Il n’en oubliait jamais. Par contre, sa mémoire lui faisait souvent
défaut lorsqu’il fallait se souvenir de noms, de dates ou de détails précis,
mais jamais il n’oubliait une bonne histoire. Tous ces bons côtés faisaient
de lui un orateur hors pair. Il était énergique, vaillant et discipliné.
Aussi, en raison
de ce que l’on m’avait dit sur lui, particulièrement à propos de son tempérament,
je m’attendais à travailler avec une personne rigide qui ne lâchait jamais
sa proie. Au contraire, il louvoyait et il savait s’adapter à la situation
présentée devant lui. Il était tout à fait à l’opposé de cette autre rumeur
affirmant qu’il décidait très tôt dans la bataille des gestes qu’il allait
faire. Pierre Péladeau était comme un journaliste. Il attendait jusqu’à la
dernière minute avant de casser les œufs et de finaliser sa décision. Dans
un sens, il évitait de faire fausse route trop tôt dans l’exercice et d’avoir
à corriger son tir après l’évolution des négociations. En véritable prédateur,
il sautait sur la proie juste avant l’attaque. C’est une pratique journalistique
que l’on m’a apprise au début de ma carrière : attendre jusqu’à l’heure de
tombée pour fournir le plus d’informations possible dans le récit.
En vérité, le
succès de la campagne de relations publiques ne fut pas vraiment dû à mon
travail, mais plutôt au talent de communicateur naturel que possédait
Pierre Péladeau. L’événement de L’Actualité avait été un accident
de parcours. Comme il me l’avait dit au début de mon mandat, il s’était “
relâché ”. De tous les clients avec lesquels il m’a été donné de travailler,
il est celui qui avait le plus grand talent de communicateur.
Il n’acceptait
jamais de s’asseoir sur une victoire ou sur un bon coup. Il avait soif d’action
et de travail. Il n’est pas étonnant qu’il soit resté à la barre de son
empire jusqu’à sa mort. Avec Pierre Péladeau, il fallait toujours aller
plus loin et plus haut. Si les invitations à prononcer des conférences
diminuaient, il en suggérait. J’avais peine à l’imaginer à la retraite ou
inactif. Il l’avait souvent dit : sa plus grande hantise était de se retrouver
paralysé, incapable de bouger, et de dépendre des autres pour vivre son
quotidien.
J’étais toujours
impressionné de constater l’émerveillement qu’il manifestait lorsqu’il
était dans les stations de télévision. Je l’accompagnais toujours pour
répondre à des entrevues ou participer à des émissions et il avait l’air
d’un enfant dans une salle de jeu. Il arpentait les couloirs attenants aux
studios de Radio-Canada et il se sentait chez lui. Il parlait aux techniciens,
aux autres invités de l’émission, il s’intéressait à tout le monde. Il
était parfaitement à l’aise sur un plateau de tournage, comme s’il avait
toujours fait ce métier.
Il adorait
aussi les petites attentions qui étaient anodines pour d’autres. Un jour,
il était l’invité de Michel Viens, qui animait l’émission du matin à la télévision
de Radio-Canada. À la fin de l’entrevue, on lui a remis une tasse portant le
logo de l’émission. Il m’a dit alors :
“ Ça, c’est un
beau cadeau. Je vais l’utiliser pour prendre mon café chez moi le matin. ”
* * *
Une autre activité
qui n’était pas courante lorsque j’ai commencé au 13e étage de
Quebecor était la revue de presse quotidienne. J’ai commencé l’exercice à
la mort de Robert Maxwell, retrouvé en mer le 5 novembre 1991. Pour tenir
Pierre Péladeau informé de ce que les médias écrits avaient raconté sur la disparition
de Maxwell, je lui envoyais les articles publiés dans tous les grands journaux.
Il avait bien aimé ce survol de l’actualité. Comme c’était un lecteur très
vorace de tout ce qui se publiait en général, lui préparer une revue de
presse quotidiennement lui économisait du temps et le tenait à jour sur
les nouvelles qui le concernaient ou l’intéressaient.
À partir de ce
moment, et jusqu’à la fin, j’arrivais au bureau à sept heures tous les
matins, pour dépouiller les journaux et préparer le document.
Certains titres
ou sujets attiraient souvent son attention alors qu’ils m’avaient complètement
échappé, car le lien avec lui n’était pas toujours évident. Il n’hésitait
pas à me proposer d’ajouter ou d’enlever certains articles dans les éditions
à venir.
* * *
Un beau matin,
au milieu de l’année 1996, il arriva dans mon bureau avec un article du Journal
de Montréal dressant le portrait de plusieurs personnalités canadiennes
ayant reçu la Légion d’honneur. Dans ce groupe, il y avait Denise Bombardier,
qui avait reçu le titre de chevalier de la Légion d’honneur en 1993.
“ Qu’est-ce que
tu penses de ça, toi : Denise Bombardier qui a reçu la Légion d’honneur ? ”
Ce n’est pas
qu’il jugeait qu’elle ne la méritait pas, mais c’était plutôt là sa façon
indirecte de manifester son désir de la recevoir aussi. Il était un entrepreneur
québécois qui avait sauvé les imprimeries Didier 6 de la
faillite et il procurait du travail à des milliers de Français. La Légion
d’honneur aurait signifié pour lui que son succès avait dépassé les frontières,
et qu’il se retrouvait dans le même clan que Paul Desmarais. Un tel honneur
aurait prouvé à Pierre Péladeau qu’il était lui aussi un citoyen du monde.
J’ai contacté
Loïc Hennekinne, ambassadeur de France à Ottawa à l’époque, et j’ai
demandé des renseignements sur la façon d’obtenir la Légion d’honneur.
J’ai amorcé la rédaction du dossier et son fils Pierre-Karl, qui était en
poste à Paris, le termina. Le 10 avril 1997, le président de la République
française nomma Pierre Péladeau officier de la Légion d’honneur. Le communiqué
de presse officiel de l’ambassade explique :
“ Cette haute
distinction est attribuée à M. Péladeau en reconnaissance de sa participation
active à l’économie française et au développement des relations
franco-canadiennes. Cet honneur souligne également le rôle de mécène de M.
Péladeau qui a su promouvoir l’art lyrique et soutenir les artistes français.
”
Lorsqu’il a
reçu le communiqué de presse, il s’est précipité dans mon bureau pour me
montrer le texte en me remerciant de mon travail, car il savait que j’avais
lancé le processus. Il refusa de recevoir l’honneur à Ottawa, préférant
attendre et se rendre à Paris pour l’obtenir directement des mains du président
de la République. Une date avait été fixée provisoirement vers le début
de 1998. Malheureusement, Pierre Péladeau est mort avant. La Légion d’honneur
fut remise à sa famille à titre posthume.
M. Péladeau a
reçu plusieurs honneurs au Québec, au Canada et même aux États-Unis. Mais il
me confiait, peu de temps avant sa mort, que l’honneur qui le touchait le
plus était celui de la Légion d’honneur.
Il voyait dans ce
titre la preuve d’une reconnaissance internationale qui lui faisait un peu
oublier les luttes locales et parfois cruelles menées par ses semblables au
Québec. La France venait lui confirmer que, au fond, il n’était pas vraiment un
paria, et que si on le qualifiait ainsi c’est qu’on le connaissait mal.
1.
L’Actualité, 15 avril 1990.
2. L’Actualité,
15 avril 1990, p. 48.
3. Voir la
reproduction de la lettre dans le cahier photos no 1.
4. Publié
par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.
5. Voir la
liste des conférences en annexe 1.
CHAPITRE 5
Apprivoiser la bête
Il ne fallait
pas s’attendre à ce qu’un personnage du calibre de Pierre Péladeau soit
simple. C’était un prédateur. Il avait le défaut de ses qualités. Il était
passionné, mais cette passion pouvait “ brûler ” son entourage.
Pour travailler
avec un phénomène de cette taille, il faut d’abord le définir et apprendre
à le connaître. M. Péladeau lui-même agissait ainsi lorsqu’il voulait conclure
une affaire. Il laissait de côté l’aspect financier pour avoir d’abord une
évaluation humaine des intervenants dans une situation donnée. J’ai dû
faire la même chose avec Pierre Péladeau. Évaluer le personnage.
Il était à la
hauteur de ce que l’on peut attendre d’un homme comme lui. Une personne
d’une énergie supérieure, avec un très fort instinct, comme s’il était doté
d’un pouvoir magique avec une sorte de don de clairvoyance en complément.
Il sentait les gens et les situations comme une bête perçoit le danger et
flaire la nourriture.
Même s’il paraissait
brouillon à première vue, il était très structuré. Il disait d’ailleurs :
“ Si tu n’es pas
capable de faire ton travail au bureau entre 9 heures et 5 heures, c’est que
tu es mal organisé. ”
Ce fut la première
remarque qu’il me fit sur la question des horaires de travail lorsque je
commençai à son service. Lorsqu’il voyait Pierre-Karl travailler jusqu’à
23 heures, il lui répétait sans répit :
“ Pierre-Karl,
c’est de la mauvaise organisation. Tu vas t’épuiser. Il faut que tu sois
capable de travailler de façon organisée et que tu sois capable de déléguer.
”
Il comprenait
qu’il ne sert à rien de courir jusqu’à l’essoufflement pour réussir. Il
suffit d’être organisé.
Mon horaire de
travail était relativement structuré. Le matin, je lui présentais
d’abord sa revue de presse et, tout au cours de la journée, je lui envoyais
des notes sur des questions et des sujets courants.
Comme ma philosophie
en matière de relations publiques consistait à ne rien changer du personnage,
je l’encadrais. Le problème, avec Pierre Péladeau, c’est que c’était noir
ou blanc. Il était difficile de le convaincre de changer son opinion première,
mais il était possible de le faire si on lui donnait la preuve en béton de
l’argument avancé.
M. Péladeau
était un hypersensible. Il réprouvait les gens mal habillés, malpropres
ou qui avaient l’air négligés ; cela le dérangeait. Il aimait la discipline,
la classe. Il fallait le savoir et éviter de se présenter au bureau en
jeans et en t-shirt. Il préférait l’élégance. Son bureau en était la représentation
parfaite : il y avait toujours des fleurs, de la musique et de superbes toiles.
Autant il pouvait
parfois faire le clown et être grivois, autant il détestait la vulgarité
chez les autres. Il aimait les femmes. Pourtant on ne l’aurait jamais vu
dans un établissement de danseuses nues. Lors d’un spectacle à la Place
des Arts où l’artiste féminine était habillée de manière provocante, il
avait quitté la salle à l’entracte, et m’avait dit avoir trouvé la présentation
de mauvais goût.
Une femme qui se
présentait au bureau avec une jupe trop courte attirait certainement son
attention, mais parce qu’il détestait son accoutrement. Même chose chez les
hommes. Pour lui, la façon de se vêtir et le soin que l’on apportait à son
apparence reflétait l’âme de la personne. S’il voyait quelqu’un d’allure “
délabrée ”, c’était synonyme de délabrement intérieur. Sa mère, probablement,
lui avait inculqué ces valeurs et cette discipline. C’était un homme érudit
qui cherchait toujours l’excellence.
Pierre Péladeau
était véritablement une bête au sens figuré, et il inspirait souvent la
peur. J’ai abordé le personnage d’une façon presque naïve. Je respectais
Pierre Péladeau, mais, contrairement à beaucoup d’autres, je n’ai jamais
éprouvé de crainte face à lui. Je lui accordais beaucoup d’admiration et
de loyauté, mais il existe une différence fondamentale entre avoir peur de
quelqu’un et le respecter.
S’il me demandait
quoi que ce soit, je me devais toujours de répondre aux attentes que je pouvais
créer chez lui. Si je faisais une promesse qui touchait le travail, je
devais m’assurer de “ livrer la marchandise ” dans les délais, et selon ses
attentes. J’ai toujours tout mis en œuvre pour ne jamais le décevoir sur ce
point. Je ne suscitais jamais chez lui de faux espoirs.
Bien qu’intime
avec lui, j’ai tout de même conservé mes distances. Un peu comme en équitation,
je me ménageais un périmètre, un espace entre la bête et moi. C’est le
secret du succès dans un poste qui exige d’être en relation quotidienne
avec un personnage aussi important. Garder ses distances.
Ma vie privée
restait privée. Souvent, nous abordions des questions personnelles,
mais, de façon réciproque, nous avons toujours respecté notre intimité.
Je le vouvoyais,
et il m’appelait monsieur Bernard.
M. Péladeau
avait besoin de son territoire. Il n’aimait pas être seul, mais, à certains
moments, il lui fallait sa “ bulle ”. J’ai compris que le personnage réagissait
en contradiction avec lui-même. Souvent, les gens sont contrariés par des
problèmes de toutes sortes. Si, un matin, il entrait de mauvaise humeur,
il valait mieux l’ignorer et ne pas essayer de s’imposer à lui. Je le laissais
retrouver sa bonne humeur lui-même. Je n’essayais pas de vivre pour lui.
J’étais accessible et disponible, mais je n’essayais jamais de le maîtriser.
Je n’ai jamais
considéré les sautes d’humeur de M. Péladeau comme une atteinte personnelle.
Il lui arrivait souvent d’être aigri ou d’humeur susceptible. Je l’ai
déjà vu critiquer le travail de certains employés et constaté que celle
ou celui qui venait de subir ses foudres fondait en larmes en disant : “ Il
ne m’aime pas. ”
Les critiques
de M. Péladeau n’avaient généralement rien à voir avec la personne
elle-même. La clé du succès lorsque l’on veut amadouer une telle bête réside
dans le stoïcisme : “ ne rien prendre personnel ”, comme le dit ce
populaire anglicisme. Il faut réagir froidement et factuellement.
M. Péladeau
était exigeant et critiquait parfois sans retenue. Ses paroles dépassaient
très souvent sa pensée. Il n’y avait pas de filtre. Il ne mettait jamais de
gants blancs pour dire ce qu’il avait en tête. Alors, pour survivre à ce
genre de comportement en tant qu’adjoint, il faut se bâtir une armure.
Il était très
attentif aux employés. S’il voyait quelqu’un qui n’avait pas l’air d’être
dans son assiette, et pourvu qu’il ne s’agisse pas du travail, il prenait le
temps de s’informer pour essayer d’aider la personne. Mais si le travail
était en cause, il était sans pitié, et parfois rude.
Si quelqu’un
avait des problèmes de santé, M. Péladeau lui témoignait une grande attention.
Par contre, si une personne se plaignait de l’état de sa vie ou était défaitiste,
il ne l’appréciait pas et n’offrait aucun soutien. Si l’on montrait du courage,
il aidait, mais il fallait s’aider soi-même. Il n’y avait rien de gratuit
avec lui. Une mentalité de perdant l’exaspérait au plus haut point.
Il m’est arrivé
quelques fois de tourner les talons quand j’arrivais à la porte de son
bureau et que je constatais sa mauvaise humeur évidente. Je m’en retournais
et j’attendais que l’orage se dissipe. Si je le voyais maussade un matin,
je changeais de côté dans le corridor. Il faut savoir composer avec les
émotions d’un personnage de la sorte.
Pierre Péladeau
était près de ses sentiments, c’est la raison pour laquelle il pouvait sentir
les autres avec une rare acuité.
Il n’était pas
méchant. À la fin d’une journée qui avait mal commencé, il pouvait venir me
voir et m’offrir des billets pour un concert ou un événement, mais il ne
s’excusait pas souvent.
Une particularité
de Pierre Péladeau est qu’il ne s’apitoyait jamais sur lui-même, sur ses malaises,
ses problèmes, son sort. Se plaindre n’était pas une option dans son mode de
vie. Durant les mois qui ont précédé l’accident du 2 décembre 1997, jamais
Pierre Péladeau ne nous a mentionné qu’il avait des malaises. Il ne voulait
surtout pas qu’on lui manifeste de la pitié.
* * *
Son sixième sens
ne le trompait pas souvent. En 1994, lorsque Pierre Bourque s’est présenté
contre Jean Doré à la mairie de Montréal, peu de gens avaient misé sur lui.
Dès le départ, M. Péladeau avait acquis la conviction que M. Bourque serait
élu avec une forte majorité. Il le connaissait un peu. Il trouvait que
c’était un homme simple avec de bonnes idées. Dès le départ, il remplissait
les critères de base qui plaisaient à M. Péladeau.
Pierre Péladeau
fut l’un des rares hommes d’affaires importants à appuyer Pierre Bourque.
Il m’avait demandé de trouver un attaché de presse pour son candidat. Les
grandes agences de relations publiques étaient déjà engagées auprès d’autres
candidats, ou ne voulaient tout simplement pas s’associer à celui que
l’on voyait perdant à l’avance. Pierre Bourque a finalement remporté les
élections du 6 novembre 1994 en raflant 39 des 51 sièges
de conseillers. C’était un balayage totalement imprévu, sauf par M. Péladeau.
M. Bourque avait cependant gagné sans attaché de presse…
Le nouveau
maire invita M. Péladeau à siéger au Comité des sages, mis sur pied en 1995,
mais ce dernier refusa l’invitation. Selon lui, ce genre de regroupement
serait inefficace. Je fus délégué pour assister aux rencontres à sa
place. M. Péladeau avait eu, cette fois encore, un flair particulier, car,
quelques mois plus tard, le comité en question fut dissous. Le maire Bourque
avait été critiqué pour la création du comité ; on disait qu’il y avait conflit
d’intérêts entre la communauté des affaires et l’Hôtel de Ville.
* * *
M. Péladeau
détestait la défaite. C’était vrai aussi dans ses loisirs.
Lors des Internationaux
de tennis masculin du Canada tenus à Montréal le 30 juillet 1995, nous
étions invités dans une loge V.I.P. donnant directement sur le court central,
à proximité des joueurs. Je l’accompagnais avec Carole Gagné, de la Banque
nationale. Il avait également invité une de ses amies pour l’occasion. Il
faisait un soleil de plomb. Le match opposait André Agassi et Pete Sampras.
M. Péladeau adorait
le tennis. Il avait été un bon joueur jadis. Il disait avoir déjà occupé le
premier rang dans des championnats provinciaux. Je l’ai cru, mais je n’ai
jamais vu le trophée…
M. Agassi se présenta
avec son bermuda multicolore, ses bas noirs, ses cheveux descendant jusqu’aux
épaules, son chandail bariolé. Il était tout à fait fidèle à l’image de bum
qui avait fait parler de lui autant que de ses victoires. La réaction de M.
Péladeau ne se fit pas attendre. Il s’est mis à déblatérer contre André
Agassi :
“ As-tu vu s’il
est mal peigné, mal habillé ? Il est même pas rasé. Si ça a du bon sens de se
présenter à un tournoi attriqué comme ça. En plus, il joue comme un pied.
Il ne gagnera jamais. N’essayez pas de me convaincre du contraire. Si je le
dis, je le sais. Le tennis, je connais ça ! ”
Il faut dire que
l’amie qui l’escortait ce jour-là avait mentionné naïvement qu’elle avait
un faible pour M. Agassi. Les femmes en général le trouvaient d’ailleurs
beau garçon et séduisant. Elle y est allée d’une remarque en ce sens qui n’a
fait que jeter de l’huile sur le feu.
M. Péladeau vantait
Pete Sampras, et il disait qu’à l’opposé de son rival il avait “ ben
de l’allure ”. C’était un gagnant. M. Péladeau l’avait décidé : Sampras
l’emporterait haut la main et en deux sets. Malheureusement, non seulement
le bum était très en forme lors de ce match, mais, au bout du premier
set, il était nettement en avance. M. Péladeau était de plus en plus contrarié.
J’ai essayé de le calmer un peu, de lui changer les idées pour qu’il puisse
apprécier le tournoi et oublier qu’Agassi avait les cheveux longs.
M. Péladeau commençait
à être de mauvaise humeur et il tentait d’expliquer la performance de son
poulain.
“ C’est parce
qu’il n’est pas en forme aujourd’hui. Il fait très chaud aussi. Il est sûrement
malade. Il ne lance que des balounes ”, répétait-il.
Brooke Shields,
alors la fiancée d’André Agassi, était dans les gradins, à quelques rangées
de notre loge.
“ Avez-vous vu,
monsieur Péladeau, que la belle Brooke Shields est ici ? Nous pourrions
prendre une photo tout à l’heure, après le match. Ce serait publié dans Le
Journal de Montréal. ”
Lui qui avait
toujours l’œil pour regarder une belle femme ne tourna même pas la tête.
“ Non, non !
Laisse faire ”, trancha-t-il sans appel.
Au début du
deuxième set, Pete Sampras était pratiquement battu. Plus le match avançait,
plus c’était évident.
À la pause suivante,
M. Péladeau s’est levé et a dit à son amie :
“ On s’en va ! ”
Carole Gagné et
moi les avons raccompagnés jusqu’à sa voiture. Nous n’avons pas pu faire
la photo avec Brooke Shields…
* * *
Il est de notoriété
publique que si Le Journal de Montréal alloue une place importante
aux artistes, le cahier des sports en est un autre pilier. L’arrivée de Jacques
Beauchamp, par exemple, fut un des éléments marquants dans l’ascension du
quotidien ; sa contribution a amené un grand nombre de lecteurs, fidélisant
une clientèle importante pour les années à venir. Si M. Péladeau avait bien
compris que les sports étaient importants pour son journal, il n’en était
pas un adepte pour autant, à l’exception du tennis.
Lors d’un Grand
Prix de formule 1 organisé à Montréal le 11 juin 1995 par Normand Legault,
j’avais obtenu quatre bons billets, très rares, pour le week-end de la course.
J’ai décidé d’inviter M. Péladeau à m’y accompagner, mais il n’avait aucun
intérêt pour la course automobile. J’ai bien tenté de lui décrire l’événement,
l’ambiance, l’énergie, combien il était particulier de s’y trouver.
Malgré tous mes arguments, il préférait laisser sa place à d’autres qui
apprécieraient. Il ne comprenait pas non plus que je m’intéresse à une
telle activité.
Il détestait
aussi le hockey et il assistait très rarement à un match, ce qui ne l’empêchait
pas d’admirer Maurice Richard. Il allait parfois au Forum, mais pour y
accompagner des clients plutôt que pour voir la partie de hockey. Je n’oublierai
jamais l’inauguration du Centre Molson (maintenant le Centre Bell), le
16 mars 1996, alors que quand nous avons été invités dans une loge d’entreprise.
Paul Martin était parmi les personnalités présentes, de même qu’André
Bérard, ainsi que d’autres d’invités de même calibre. Tout le monde était
captivé par le match de hockey. M. Péladeau est arrivé en retard, vers la
fin de la première période. En entrant dans la loge, il n’a même pas jeté un
coup d’œil en direction de la patinoire ni des gradins où avaient pris place
les invités de marque. Il s’est précipité vers le buffet pour admirer les
plats et féliciter l’hôtesse pour la présentation.
À la fin de la
partie, on lui a offert un superbe livre sur l’ancien Forum et le nouveau
temple du hockey. C’est à peine s’il l’a feuilleté. Il s’est contenté d’un :
“ Ah ! c’est bien beau ! ” et, devant la personne qui venait de le lui offrir,
il s’est tourné vers une adjointe de Quebecor présente pour la soirée, en
disant :
“ Tiens, tu le
donneras à ton fils ! ”
* * *
Pierre Péladeau
prétendait n’avoir peur de rien. J’ignore s’il disait la vérité ou s’il
bluffait, mais je dois avouer qu’il a très rarement admis qu’il avait eu peur
dans une situation donnée. Il mentionnait souvent son séjour à Philadelphie
à l’époque du Philadelphia Journal. Les bureaux du quotidien
étaient situés dans un des quartiers de la ville réputés dangereux. On le
déconseillait aux touristes. Même des habitants des secteurs voisins ne
s’y aventuraient jamais.
M. Péladeau
devait le traverser à pied pour se rendre au journal et il croisait régulièrement
des “ armoires à glace ”. Il ne s’est jamais fait attaquer. Il disait que si
l’on regarde un agresseur potentiel droit dans les yeux en le défiant, il
n’osera jamais nous toucher ; qu’il ne fallait jamais laisser paraître un
signe de faiblesse, même si on était inférieur en nombre ou en gabarit.
Pierre-Karl a dû
mettre en pratique ce principe bien malgré lui. M. Péladeau racontait
que, à l’issue d’une soirée en compagnie de camarades de classe,
Pierre-Karl était rentré avec un œil au beurre noir. Une bagarre avait éclaté
et un groupe avait décidé de s’en prendre à lui. Non seulement il était amoché,
mais il avait peur de se faire tabasser à nouveau par les membres de la
bande. M. Péladeau lui aurait alors rétorqué :
“ Tu vas y
retourner, tu vas choisir le plus gros de la bande et tu vas lui taper dessus.
Autrement, ils ne te respecteront jamais, et ils vont continuer de s’en
prendre à toi. Si tu suis ce conseil, on va t’admirer, et le reste du
groupe va se sauver en peur ! ”
L’histoire ne
dit pas comment s’est déroulée la suite.
* * *
M. Péladeau
aimait les armes à feu. Il en possédait quelques-unes. Il avait déjà participé
à trois safaris et il avait chassé à de nombreuses reprises. Mais, avec
l’âge, il avait abandonné ce genre d’activité.
Pour sa sécurité
personnelle, il gardait toujours une arme à feu à portée de la main, dans
sa chambre à coucher. Au bureau, nous avions discuté des mesures supplémentaires
à prendre pour le protéger dans toute éventualité. La société changeait
et les criminels étaient de plus en plus audacieux et voraces. Je lui avais
parlé des risques de kidnapping, par exemple, pour quelqu’un comme lui. Il
y avait une alarme chez lui, mais était-ce suffisant ? Comme il gardait toujours
son revolver à portée de la main, un ancien Lugger 45, il disait qu’il n’y
avait rien à craindre. Son entourage y pensait plus que lui-même. Il ne
voyait pas qui pourrait s’en prendre à lui.
Un beau jour, à
l’automne 1996, il s’aperçut que le Lugger avait disparu. Il l’a cherché
dans toutes les parties de sa maison. Nous n’avons jamais su ce qu’il en
était advenu. Il recevait continuellement, et sa maison était pratiquement
une auberge où régnait un va-et-vient constant d’invités. Il aurait été difficile
de trouver le coupable.
Il a donc décidé
de s’acheter une autre arme à feu. Pour se faire conseiller et guider, il a
communiqué avec le chef de police Jacques Duchesneau, son ami, pendant
qu’il était en service à la direction du SPCUM. Ils se parlaient très souvent.
D’ailleurs, plus tard, les deux hommes ont discuté d’une possibilité d’emploi
chez Quebecor pour le policier, mais rien ne s’est jamais concrétisé. J’ai
eu l’occasion d’être l’invité du chef Duchesneau sur le mont Royal à quelques
reprises pour monter les chevaux de la cavalerie. Raynald Corbeil était
l’agent de police qui nous accompagnait dans ces balades du samedi matin :
une expérience unique et très agréable.
Après quelques
semaines de conversations et d’échanges sur le choix de l’arme qu’il voulait,
nous nous sommes rendus au centre de tir de la police avec M. Duchesneau
afin de s’assurer que tout était conforme, et que tout fonctionnait.
M. Duchesneau
était un véritable tireur d’élite. En tout cas, il nous impressionnait. Il
pouvait tirer avec n’importe quel calibre. L’avocate Claire Brassard, qui
négociait pour un emploi chez Quebecor, avait été invitée par Pierre Péladeau
à nous accompagner à la séance de tir. Lorsque M. Péladeau a sorti son
pistolet, un modèle Backup DA de calibre 380, le chef de police l’a trouvé
plutôt inoffensif. L’objet était assez petit pour tenir dans une poche de
veston.
“ Votre revolver
va faire mal, mais en dedans de dix pieds, lui expliqua Duchesneau. Plus loin
que ça, le bandit ne sentira pas grand-chose. ”
En outre, M.
Péladeau était de plus en plus frêle vers la fin de sa vie, et il avait de la
difficulté à armer le revolver. Même en position, je ne suis pas certain
qu’il ait pu le tenir assez solidement pour avoir le temps de viser et de
tirer de façon précise.
M. Duchesneau
lui conseilla :
“ Si vous surprenez
un voleur chez vous, essayez de discuter avec lui en premier avant de tirer
! ”
* * *
En octobre
1995, Pierre Péladeau a été invité à prononcer une conférence au lac Mégantic.
Comme il avait promis d’y être, il aurait fallu un tremblement de terre
pour l’empêcher de s’y rendre. Et encore ! Même s’il se déplaçait presque
toujours en hélicoptère depuis qu’il avait fait l’acquisition d’un tel
véhicule, l’orage qui s’abattait sur la province cette journée-là ne pouvait
l’en dissuader. Il ne voulait pas manquer à sa promesse. Le pilote de
l’époque, François Desgagnés, avait parlé au pilote du jet de Quebecor à
l’aéroport de Dorval, et on lui avait fortement déconseillé de piloter
par ce temps. Plusieurs avions privés qui étaient sur le terrain de l’aéroport
n’avaient pas eu la permission de décoller.
Mais M. Péladeau
avait décidé que nous irions au lac Mégantic. Il a convaincu Desgagnés de
décoller et de nous y conduire. Il faut dire que ce pilote n’avait pas froid
aux yeux, s’il faut en croire les aventures qu’il racontait au sujet de ses
acrobaties.
Le premier hélicoptère
de Quebecor était un modèle de brousse, un BELL IV modèle 206-B. On l’avait
acquis en juillet 1992 de Donohue. Le personnel de direction s’en servait
pour aller vérifier l’évolution des coupes de bois. Ce n’était pas un
modèle tout confort. Il avait été modifié afin de transporter des passagers,
mais à l’origine il avait été construit pour une tout autre vocation.
C’était comme un tracteur volant converti en limousine. Il était même arrivé
qu’une portière s’ouvre en plein vol. Il fallait vraiment s’assurer
d’avoir sa ceinture de sécurité attachée en tout temps.
Le soir de la
tempête, la robustesse de l’appareil se fit valoir. J’étais du périple
avec M. Péladeau et deux adjointes de Quebecor, division des hebdomadaires.
Ce fut mémorable. Nous n’y voyions rien. À un certain moment, M. Desgagné
a même dû se poser pour réviser son plan de vol et contourner les secteurs
les plus mouvementés. À aucun moment, tout au long du voyage, M. Péladeau
n’a manifesté de peur ou de panique. Les autres membres du groupe étaient
littéralement figés sur leur siège. Je n’avais jamais été ballotté de la
sorte en plein vol de toute ma vie. Il n’y avait pas de répit. Pour nous rassurer,
M. Péladeau n’arrêtait pas de parler, nous racontant des histoires drôles
qui ne nous faisaient pas rire. Il a épuisé son répertoire, et nous, nous
étions toujours crispés, accrochés à nos bancs comme à une bouée de sauvetage.
Je n’ai pas de
mots pour décrire notre soulagement lorsque nous avons finalement atterri
à Mégantic. Je pense que le pilote aussi était content.
M. Péladeau est
allé prononcer sa conférence heureux d’avoir respecté son engagement.
Nous avons passé la nuit sur place. Il n’était pas question de revivre l’expérience
de la tempête une autre fois. Le lendemain, il faisait un soleil radieux.
Aucun vent, aucun nuage. Le retour fut d’un calme angélique et M. Péladeau
n’a pas prononcé un seul mot de tout le voyage.
* * *
Le tracteur
volant devenait vraiment trop inconfortable, trop bruyant et trop vieux.
Lorsque, en décembre 1994, Denis Lacroix, de Bell Helicopter Textron, a communiqué
avec M. Péladeau pour lui présenter un tout nouveau modèle, un Longranger
IV 206-L4, il s’est laissé tenter. Cette fois, il avait une limousine
volante. Aucune comparaison possible avec l’appareil de Donohue. Il n’y
avait pas de danger que les portes s’ouvrent en plein vol. L’intérieur
était même aménagé pour que l’on puisse y travailler. La mécanique était un
produit des plus récentes technologies aéronautiques, avec des moteurs
plus puissants et, surtout, plus silencieux. Les voyages s’effectuaient en
moins de temps et plus agréablement. J’ai d’ailleurs participé à la négociation
de l’achat de cet appareil. La transaction a bien failli avorter, car M.
Péladeau refusait de payer un supplément de 10 000 $ pour un instrument
de vol de nuit. Ce montant était pourtant peu significatif, car l’hélicoptère
valait plus d’un million de dollars.
M. Péladeau disait
que c’était vraiment le seul luxe qu’il se permettait, la seule excentricité.
Il adorait voyager en hélicoptère. C’était son dada, qui le rendait presque
euphorique. Chaque fois, il était émerveillé comme un enfant de pouvoir
survoler ainsi la province. Il regardait toujours attentivement le
tracé et il voulait savoir quel était le village, la ville, la route, la
rivière ou encore le parc que nous apercevions au-dessous de nous.
Comme de raison,
il voulait aussi partager cette passion avec son entourage. Chaque fois
qu’il recevait des gens chez lui, les invités avaient droit à une randonnée
au-dessus de sa résidence dans les Laurentides, histoire d’apprécier son
nouveau jouet. Il offrait régulièrement l’hélicoptère à ses amis lors de
déplacements à l’extérieur pour des événements spéciaux ou des rencontres
ponctuelles.
Le 29 janvier
1996, il fut invité à l’assermentation de Lucien Bouchard comme Premier
ministre. Il décida de se rendre à Québec par son moyen transport habituel.
Sachant que le maire Pierre Bourque devait s’y rendre aussi, il lui téléphona
pour lui proposer de profiter du vol avec lui.
Pierre Bourque
se laissa presque convaincre, mais finalement il insista pour y aller par
ses propres moyens. Il avait déjà une limousine et un chauffeur prévus à
cet fin, et il avait aussi des documents dont il voulait prendre connaissance
dans la tranquillité de l’autoroute 20. M. Péladeau répéta qu’il
devait venir avec lui. “ La limousine, ce n’est plus à la mode, c’est fatigant,
c’est trop long. ” Mais M. Bourque s’en tint à son plan.
Tout le monde
fut à l’heure à Québec et l’assermentation eut lieu de même que la réception
prévue. Entre-temps, la température changea subitement et il commença à
neiger. Le pilote de l’hélicoptère vint nous aviser qu’il n’avait pas
obtenu l’autorisation de décoller, à cause des mauvaises conditions
atmosphériques. M. Péladeau se mit en colère. Surtout qu’il avait donné
rendez-vous à 20 heures le soir même à une amie qu’il avait promis d’accompagner
à un concert, au Centre Pierre-Péladeau. Comme c’était une promesse, je
savais qu’il était impensable de tenter de le convaincre de demeurer à Québec
pour la nuit.
Je lui proposai
de demander aux autres invités provenant de Montréal s’il ne s’en trouvait
pas un qui retournait en voiture dans la métropole. Je lui proposai Pierre
Bourque.
Il réfléchit un
instant et, un peu gêné, me dit :
“ Va lui demander.
”
M. Bourque
accepta d’emblée avec un grand sourire satisfait. Il en a aussi profité
pour le narguer tout le long du retour avec des remarques du genre : “ Comment
vous trouvez ma limousine, monsieur Péladeau ? ”
Nous sommes
arrivés au concert à l’heure, mais tout juste. M. Bourque a poussé la plaisanterie
jusqu’à descendre du véhicule en premier, devant le Centre, pour lui
ouvrir la portière et l’aider à sortir.
Le pauvre
pilote d’hélicoptère a dû attendre au lendemain pour obtenir le feu vert
et rapatrier son véhicule à Montréal.
Plusieurs pilotes
ont été à son service à tour de rôle. Ce n’était pas toujours une sinécure
d’être le pilote de Pierre Péladeau. Il attendait d’eux qu’ils soient aussi
chauffeurs de voiture et qu’ils puissent également effectuer quelques courses.
Mais il s’en trouvait qui acceptaient d’assumer les deux rôles. Les pilotes
ont souvent une assez haute opinion d’eux-mêmes. Il leur est impensable
d’être un “ chauffeur ” sur la route, peu importe pour qui. Mais M. Péladeau,
qui savait séduire et charmer lorsqu’il voulait un service, avait réussi à
amadouer ceux qui sont restés à son service.
* * *
M. Péladeau
aimait se comparer à ses homologues en affaires et il en citait plusieurs
en exemple lors de ses conférences. La liste comportait surtout des
nationalistes comme lui, pour ne pas dire uniquement. Toutefois, il mentionnait
les gens avant tout parce qu’il considérait qu’il existait une ressemblance
entre eux et lui. Pierre Péladeau n’en était cependant pas à une contradiction
près. Il pouvait changer d’idée envers quelqu’un pour des raisons parfois
très anodines.
Ainsi, il avait
pendant longtemps critiqué Laurent Beaudoin parce qu’il était fédéraliste.
Il n’éprouvait aucune admiration pour lui, et il ne se gênait pas pour le
dire.
Un jour, il est
arrivé avec l’idée d’avoir son jet privé. D’autres entreprises en avaient,
alors pourquoi pas Quebecor ? Le modèle qui l’intéressait était fabriqué
par Bombardier. En bon nationaliste, lui qui avait toujours insisté sur
le fait “ qu’au Québec, il faut acheter québécois ”, choisir la compagnie
Bombardier allait pratiquement de soi, malgré Laurent Beaudoin.
Avant d’acquérir
un tel appareil, il faut cependant s’assurer qu’il possède bien toutes
les qualités désirées, et que sa performance est à la hauteur des attentes
et des besoins. Des vols d’essai sont donc programmés selon un horaire et un
itinéraire précis pour un même appareil que l’on montre à différentes
personnes. Le jet convoité par M. Péladeau se rendait en Floride,
ensuite en Georgie, au Texas et au Mexique avant de revenir à son point de
départ.
Un délai d’une
semaine s’écoulerait entre le vol de départ et le retour, mais M. Péladeau
y avait vu une occasion de passer une semaine en Floride. Entre-temps, un
problème l’obligea à rentrer d’urgence à Montréal. Il n’avait pas d’autre
solution que de trouver un vol régulier. Quelqu’un téléphona à Laurent
Beaudoin pour l’informer de ce changement.
Spontanément
Beaudoin lui dit que c’était inutile de se donner tout ce mal.
“ J’envoie mon
jet personnel pour vous ramener. ”
M. Péladeau
fut profondément touché par un geste aussi généreux. Il accepta ce service,
mais les effets de ce geste dépassèrent ce qu’aurait pu attendre M. Beaudoin
en retour. En effet, par la suite, et ce jusqu’à sa mort, M. Péladeau vanta
les mérites du bâtisseur de Bombardier dans ses conférences, ou chaque
fois que l’occasion se présentait. Cette anecdote reflète bien les paradoxes
de M. Péladeau. Autant il avait été irrité par les convictions politiques
de M. Beaudoin, autant le geste spontané que celui-ci avait fait pour le
dépanner l’avait séduit. Ils ont travaillé ensemble par la suite pour la
création de la Chaire de l’entrepreneurship. Quant à leurs divergences
idéologiques, ils évitaient tout simplement de parler de politique.
Dans ses discours,
Pierre Péladeau mentionnait également Jean Coutu, le plus célèbre pharmacien
du Québec. M. Péladeau utilisait l’exemple des débuts de Jean Coutu
pour montrer à son auditoire qu’il est possible de réussir en affaires “
même si on démarre avec une claque et une bottine ”. Pour M. Péladeau,
il était important d’élever en modèle des gens comme Coutu pour que les jeunes
puissent s’en inspirer et pour les pousser à travailler sans répit afin de
réussir. Il y avait aussi André Chagnon et André Bérard qui figuraient parmi
ses favoris.
De M. Chagnon,
il disait que c’était un bâtisseur important. Chagnon avait réussi à devenir
le plus important cablôdistributeur sur tout le territoire du Québec,
et il avait également réussi à acquérir des parts de marché et un
savoir-faire à l’étranger. “ Et, au départ, c’était un électricien, mais il
avait des rêves et des idées. ” Ni M. Chagnon ni M. Péladeau n’ont songé à un
seul moment que l’un finirait par acquérir l’autre.
Il est impossible
d’oublier André Bérard dans la liste de ses préférés. M. Péladeau disait
souvent qu’ils étaient tous les deux des frères de tempérament tellement
ils agissaient, pensaient et vivaient de la même façon. Ils n’avaient pas du
tout la même stature, mais M. Péladeau se plaisait à dire qu’ils avaient
été fabriqués dans le même moule.
Un autre homme
d’affaires qu’admirait M. Péladeau était Jean-Marc Brunet. Il considérait
ce dernier comme un fils spirituel et il ne manquait jamais une occasion
de vanter ses mérites. Brunet est le fondateur de la chaîne JMB Le Naturiste,
un réseau de plus de 165 centres de santé et de produits naturels, fondé en
1968.
* * *
S’il était
fidèle en amitié, M. Péladeau s’attendait à la réciprocité. Si l’un de
ses amis se trouvait être également un employé et qu’il acceptait une offre
d’emploi ailleurs, M. Péladeau était littéralement déchiré comme si on
l’avait trahi. Il ne parvenait pas à surmonter cette perte, car pour lui
c’était une véritable séparation.
Gérard Cellier,
maintenant décédé, avait travaillé plusieurs années à Quebecor et comptait
parmi les amis intimes de Pierre Péladeau. Un jour, il vint lui annoncer
qu’il avait accepté l’offre de la Délégation du Québec à New York. C’était
le genre d’offre que l’on ne pouvait refuser, et Cellier avait longuement
hésité, sachant la peine qu’il ferait à son ami, mais il avait opté pour ce nouveau
défi.
M. Péladeau
parla souvent de la blessure que ce départ lui avait causé.
“ Il m’a trahi !
” disait-il.
Quelques années
plus tard, Gérard Cellier revint au Québec. Il resta sans travail pendant
quelque temps, jusqu’à ce que la situation devienne intenable.
M. Péladeau l’appela alors et il lui offrit de revenir dans le giron de
Quebecor. Il lui trouva rapidement un poste dans la division de la distribution.
Mais la chimie ne s’effectua pas. Cellier n’était pas à l’aise ou n’arriva
pas à se sentir à la hauteur des attentes. Il quitta encore une fois Quebecor
pour se retirer modestement dans le Sud, où il possédait un voilier. Malheureusement,
il était atteint d’une maladie incurable à laquelle il succomba quelque
temps plus tard. M. Péladeau s’est occupé de faire rapatrier à ses frais
la dépouille dans son jet privé. Ce geste m’a touché, car il démontrait sa
grande générosité humaine.
Celui qui fut
son ami le plus proche, le plus intime et le plus précieux fut incontestablement
Tony Calandrini. Italien d’origine, il avait émigré au Québec dans l’espoir
de démarrer une entreprise et de mieux gagner sa vie que dans son pays natal.
Le Québec était une terre promise pour ces immigrants qui avaient presque
tout perdu pendant la Seconde Guerre mondiale.
Calandrini s’intéressait
aux journaux et il créa une société de distribution qui s’associa ensuite
au réseau des Messageries Dynamiques. M. Péladeau lui vouait une confiance
aveugle. Il écoutait toujours religieusement ses conseils. Ses opinions,
son point de vue, ses impressions et son intuition lui étaient précieux.
Lorsque Tony Calandrini se présentait dans une réunion au nom de Pierre
Péladeau, on l’écoutait comme si le grand patron était là.
Il s’était
écoulé deux semaines après que j’eus commencé mon travail d’adjoint au président
de Quebecor lorsque M. Péladeau m’invita à venir passer une soirée à sa
résidence de Sainte-Adèle. Il me présenta Tony Calandrini comme son ancien
chauffeur.
Immédiatement
après le souper, M. Péladeau se leva en disant qu’il allait se retirer dans
sa chambre pour se relaxer, qu’il était en retard dans ses lectures.
“ Restez ici et
regardez le hockey. ”
Il est allé dans
sa chambre en laissant sa porte entrebâillée. J’ai regardé le hockey avec M.
Calandrini qui, tout au long du match, me posait des questions à propos de
tout et rien, de sujets personnels et moins personnels ; il me parlait de
M. Péladeau, de mes sentiments à son égard et de ma perception de Quebecor.
C’était comme si un père passait une entrevue à un prétendant de sa fille.
Je me suis finalement rendu compte qu’il me jaugeait afin de savoir si
j’étais vraiment à la hauteur et si je possédais les qualités essentielles
pour être accepté par Quebecor et par les Péladeau.
À la fin de la
troisième période de hockey, Tony s’est levé en ouvrant les bras et m’a dit :
“ Monsieur Bernard,
bienvenue dans la famille. ”
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CHAPITRE 6
Comment s’intégrer
à la famille ?
Se joindre à
une grande entreprise et travailler aux côtés du président est au départ un
défi difficile. Imaginez la tâche lorsque l’entreprise est familiale,
que les enfants y travaillent activement, que chacun a son ego et son caractère,
et qu’en plus les enfants sont de trois mères différentes.
Peu avant sa
mort, Pierre Péladeau a accordé une entrevue au journaliste Pierre Maisonneuve,
en août 1997. Vers la fin de l’entretien au cours duquel “ Monsieur P. ” se
livrait sans détour, et dans le style direct qu’on lui connaissait alors, M.
Maisonneuve lui demanda ce qu’il souhaitait pour ses enfants dans une
société comme la nôtre.
“ Je leur souhaite
ce qu’ils voudront faire de leur vie. Ils auront les outils pour le réaliser,
s’ils le veulent. Mais s’ils s’installent à se regarder le nombril et à
dépenser leur argent ici et là pour des caprices, c’est leur choix, et ils en
assumeront les conséquences. ”
Longtemps avant
son décès, plusieurs sommités du milieu des affaires s’inquiétaient déjà
de la succession de Pierre Péladeau. Le Québec et d’autres provinces
avaient déjà été témoins de l’effritement de plusieurs fortunes et entreprises
familiales, par exemple les Steinberg et les Eaton, pour ne nommer que
ceux-là. Une fois l’ancêtre disparu, il peut se révéler ardu pour les
enfants de perpétuer le succès de leurs parents.
Dès mon arrivée
au sein de Quebecor, je n’ai jamais voulu prendre une place qui n’était pas
la mienne, et j’ai toujours essayé de ne pas m’immiscer dans les affaires
de la famille. Mais comme il s’agissait d’une entreprise familiale, je
devais aussi parfois considérer la présence des enfants dans la gestion
de l’image de Pierre Péladeau. J’ai toujours eu de très bons rapports avec
les enfants, qui étaient très respectueux envers tous les employés.
Cependant, leur père se servait parfois des employés pour passer des messages
à ses enfants, et c’est là que les choses se compliquaient.
La famille de
Pierre Péladeau est composée de sept enfants issus de trois unions différentes.
Érik est l’aîné de la famille ; il est né le 24 mars 1955. Isabelle est
née le 12 septembre 1958, Pierre-Karl, le 16 octobre 1961 et
Anne-Marie, le 29 avril 1965. Ces quatre enfants sont du premier mariage avec
Raymonde Chopin. Esther est né le 13 juin 1977 et Simon-Pierre le
24 décembre 1978 (soit la même date que celle de la mort de son père).
Ces deux enfants sont issus du deuxième mariage, avec Line Parisien. Enfin,
Jean est né le 22 janvier 1991, soit quelques mois avant mon entrée en
fonction chez Quebecor. Sa mère est Manon Blanchette.
Dès le début en
1991, j’avais établi une relation très amicale avec Érik, et nous avons même
assisté à quelques événements ensemble, dont un concert rock de Brian Adam
au Vieux-Port de Montréal. Le concert était organisé par mon ami Nick Carbone,
producteur bien connu.
Isabelle
n’était pas très souvent présente aux bureaux de la rue Saint-Jacques à mes
débuts chez Quebecor, mais elle s’est occupée plus tard de la section des
magazines Publicor, sur la rue Bates.
Pierre-Karl
avait 30 ans à mon arrivée dans l’entreprise. Nous n’étions pas particulièrement
proches, mais nous avions un intérêt en commun dont nous discutions devant
la machine à café : The Wall Street Journal.
Je m’entendais
très bien avec les trois aînés en poste chez Quebecor, mais je n’avais de contacts
quotidiens qu’avec Érik.
Les enfants
aînés de Pierre Péladeau ont dû composer avec un père qui n’était pas très
présent pour eux. Il l’avoua lui-même en entrevue à quelques reprises vers
la fin de sa vie. Il se prêtait cependant à toutes sortes de jeux avec son
dernier-né, surnommé “ Petit Jean ”. Il allait même jusqu’à s’asseoir par
terre, chose qu’il n’avait jamais faite avec les plus âgés. Il faut dire qu’à
l’époque de ses premiers mariages, il était continuellement plongé dans
le travail, et il souffrait d’alcoolisme.
À la grande
déception de son père, Isabelle ne manifestait pas beaucoup d’intérêt
pour Quebecor. Il était fier de sa fille, et il aurait voulu qu’une femme
prenne une place importante dans la gestion de l’entreprise. Elle ne s’intéressait
pas non plus à la musique classique. Érik et Pierre-Karl étaient donc les
deux seuls enfants présents et actifs aux bureaux de Quebecor situés au 612
de la rue Saint-Jacques Ouest.
À l’image de son
père, Érik se faisait un devoir d’aller saluer les employés tous les jours et
de s’informer de leur travail, de leur santé et de leur famille. Il essayait
de les motiver et d’être à leur écoute. Pierre-Karl était plus à l’écart, plus
réservé avec les employés.
Érik n’avait pas
le côté frondeur de son père, il était plus posé. On retrouvait chez
Pierre-Karl une énergie et une ambition qu’il tenait sûrement de son père.
On aurait dit que Pierre Péladeau se retrouvait dans ses deux fils aînés,
mais d’une façon différente, comme si chacun avait hérité d’une moitié du “
patriarche ”.
J’ai remarqué
très tôt chez Pierre-Karl la vivacité de son intelligence, son énergie et
le charisme hérité de son père. Lorsqu’il entrait dans une pièce, il en
imposait. Il possédait un magnétisme remarquable. Érik était moins
impressionnant, mais il était par contre plus généreux et plus cordial.
Mes premières
années en compagnie des enfants furent plutôt calmes et agréables. Il n’y
a jamais eu de confrontation ni de discorde entre eux et moi. Mais, au fur
et à mesure que l’entreprise grandissait et que Pierre Péladeau vieillissait,
les héritiers devenaient plus aguerris en affaires, plus sûrs d’eux-mêmes.
Pierre-Karl s’imposait de plus en plus. Graduellement, il affrontait son
père à propos des techniques de gestion apprises à l’université et qu’il
voulait appliquer à Quebecor. C’était la nouvelle mentalité opposée à
l’ancienne.
J’ai alors commencé
à me trouver très souvent en situation de conflit. J’avais promis à Pierre
Péladeau d’être loyal et je considérais qu’il était mon mentor au sein de
l’entreprise. Je ne me sentais pas à l’aise dans cette lutte de pouvoir et
je tentais de gérer la situation de la meilleure façon possible.
Lorsque j’avais
conçu le plan de communication, les enfants n’en faisaient pas vraiment
partie. Il fallait bien sûr être conscient qu’ils dirigeraient l’entreprise
très bientôt, mais Pierre-Karl voulait être moins exposé, moins médiatisé
que son père. Érik se prêtait volontiers aux exercices de relations publiques,
mais l’empire Quebecor demeurait l’œuvre de Pierre Péladeau, son fondateur.
* * *
Érik Péladeau
avait un projet bien à lui qu’il voulait implanter dans l’entreprise de
son père : Quebecor Multimédia. Si Pierre Péladeau utilisait volontiers
le papier dans ses communications, Érik était plus moderne ; il s’intéressait
aux nouvelles technologies et suivait leur évolution de très près. En
1993, les nouveaux médias, Internet en tête, en étaient à leurs balbutiements.
Si Internet était une découverte pour la majorité des utilisateurs lorsqu’il
fut rendu accessible à tous, c’était déjà un outil usuel pour les chercheurs
et les universitaires. Une fois démocratisé, le réseau et ses produits
inhérents connurent un taux de croissance spectaculaire, jusqu’à 300 %
par année. C’était un incontournable pour les visionnaires. Mais les entreprises
privées tardaient à emboîter le pas. Beaucoup venaient à peine de s’habituer
à communiquer par télécopieur. Le réseau Internet était donc loin de les
intéresser, à ce moment du moins.
Bien avant d’autres
chez Quebecor, Érik avait anticipé le potentiel, non seulement du réseau,
mais également de ce qu’il pouvait susciter quant au développement.
Déjà, des géants de l’industrie des télécommunications investissaient
des sommes colossales pour exploiter ce nouveau jouet d’une utilisation
simple, mais d’une intégration complexe.
Si Internet semblait
une bonne affaire pour Érik Péladeau, son père n’en était pas pour autant convaincu.
En entrevue pour le magazine Le 30 1, il l’avait exprimé en
peu de mots :
“ Internet,
Internet. Tout le monde me parle d’Internet, mais personne n’est capable
de m’expliquer ce que ça fait au juste. ”
Pierre Péladeau
n’était pas non plus très porté sur les gadgets, à l’opposé d’Érik, qui était
à l’affût de toutes les nouveautés électroniques. Voulant faire une surprise
à son père, Érik avait équipé la maison de Sainte-Adèle d’une chaîne stéréo
dernier cri, avec commande à distance, programmation multiple, etc. M.
Péladeau, après plusieurs tentatives, arrivait à peine à repérer l’interrupteur.
Finalement, il continua d’utiliser l’ancienne chaîne avec laquelle il
était familiarisé.
Érik avait élaboré
un plan pour créer une division multimédia chez Quebecor. Comme c’était
le cas pour de nombreuses autres entreprises, le produit multimédia se
révélait pratique, mais coûteux à implanter. De plus, on ne voyait toujours
pas comment le rentabiliser. M. Péladeau savait faire des profits avec
un magazine, un journal ou une imprimerie, mais il ne voyait pas Quebecor
réaliser des profits avec ce nouveau média. Il n’était pas très favorable
à l’idée d’investir du capital de risque.
Selon
M. Péladeau, une entreprise devait s’en tenir aux domaines qu’elle
connaissait le mieux ; il donnait en exemple que Quebecor ne se lancerait
pas dans la vente d’automobiles, car l’entreprise n’y connaissait rien.
On peut se poser cette question : Si le grand patron avait été vivant et en
poste, aurait-il favorisé l’acquisition de Vidéotron ? Il avait pourtant
acheté Télévision Quatre-Saisons, mais pour lui, une chaîne de télévision
était un journal électronique.
Pierre Péladeau
avait répondu à Érik qu’il préférait attendre un peu, observer les mouvements
du marché du multimédia encore en développement, pour ensuite mieux calculer
son investissement dans ce domaine, et ce, même si les coûts devaient
s’avérer plus élevés. Érik savait que le prix de développement serait moindre
si l’on investissait immédiatement, mais son père restait prudent.
Quebecor prit
finalement la décision d’investir et finit par créer la filiale Quebecor
Multimédia, en octobre 1994.
Érik venait souvent
me voir pour l’aider à convaincre son père de s’intéresser aux hautes
technologies. Qu’il s’agisse du rapport annuel ou des communications de
presse, Érik voulait me sensibiliser à l’utilisation des nouveaux
médias pour faire de Quebecor un acteur de premier plan dans ce domaine. Ce
n’était pas facile pour moi, car d’une part mon patron préconisait l’ancienne
économie, alors que d’autre part Érik voulait que Quebecor se tourne vers
la nouvelle.
Longtemps, le
seul terminal branché à Internet dans l’édifice du 612 de la rue
Saint-Jacques Ouest se trouva dans le bureau d’Érik. Les choses ont bien
changé depuis.
Ce n’est jamais
facile de convaincre le président d’une grande entreprise d’adopter de
nouvelles pratiques, qu’il soit votre père ou non. Prenons par exemple,
le téléphone cellulaire. Il y eut une époque, pas si lointaine, où certains
dirigeants d’entreprise en interdisaient l’utilisation par les
employés. Aujourd’hui, même le personnel de soutien en possède un.
Quebecor a dû
faire face comme toutes les autres entreprises aux difficultés de s’ouvrir
aux nouveaux médias, mais, d’une certaine façon, Érik était un visionnaire.
M. Péladeau
se laissa finalement convaincre. Durant la dernière année de sa vie, il
commença à utiliser le réseau Internet. Il prit même des leçons particulières
pour apprendre à naviguer. Le jour même de son décès, un cours de formation
figurait à son agenda.
* * *
Isabelle Péladeau
et moi avons toujours eu de bons rapports. Elle disait qu’il y avait dans la
vie des choses plus importantes que de faire des affaires. Elle n’avait pas
vraiment une vocation de femme d’affaires, de prédatrice, comme son père
l’aurait espéré. J’ai eu peu de contact avec elle au sujet de la gestion.
Elle s’occupait des magazines de la division Publicor. Elle me téléphonait
parfois pour transmettre des messages à son père, mais comme le bureau
était situé sur la rue Bates, à Outremont, elle était un peu à l’écart. Elle
n’était pas aussi près des employés de Quebecor au siège social que l’étaient
Érik et Pierre-Karl, ses deux frères. Si son bureau avait été situé sur la rue
Saint-Jacques, elle aurait peut-être pris une part plus active à l’action.
Elle n’a jamais vraiment réussi à prendre sa place dans le giron de la direction
de Quebecor.
Ses projets de
magazines faisaient l’objet de discussions entre elle et son père. Elle
avait une ligne téléphonique directe avec M. Péladeau pour la gestion de
ses magazines. Si Isabelle avait eu le désir de s’imposer au sein de la
direction, elle aurait pu être présidente. Très intelligente, très humaine
et enjouée, elle préférait un mode de vie moins mouvementé, moins envahi
par le travail. Elle savait déléguer, et elle faisait confiance à son
monde.
Nous nous sommes
rencontrés à quelques reprises pour assister à des spectacles, pour partager
un repas en compagnie de son père ou pour collaborer à différents projets
ponctuels. Le dernier projet fut la préparation d’un album-souvenir
publié après le décès de M. Péladeau 2. Elle m’avait demandé de
l’aider pour certains détails. Ce cahier spécial fut publié une semaine
après les funérailles de son père, et ce fut un exploit d’édition que de pouvoir
l’amener aussi rapidement en kiosque, soit dès le début de janvier 1998.
* * *
Durant mon passage
chez Quebecor, le travail de Pierre-Karl Péladeau portait surtout sur les
imprimeries. Nous avons collaboré à quelques reprises lorsqu’il donnait
des conférences lors de divers événements où il remplaçait son père. Les
gens étaient contents lorsque Pierre-Karl y allait, parce qu’il était charismatique.
Je lui préparais une ébauche de texte, comme je le faisais pour son père,
et il y ajoutait sa touche personnelle. Ses discours étaient très différents
de ceux de son père. Autant M. Péladeau aimait les anecdotes et les citations
humoristiques, autant Pierre-Karl préférait un style méthodique contenant
des descriptions techniques et complexes.
Pierre-Karl
était brillant et très compétent en finances. S’il n’avait pas été chez Quebecor,
il serait probablement aujourd’hui haut placé dans une maison de courtage.
Dès 1990, il
avait commencé à se faire remarquer avec l’acquisition de l’imprimerie
américaine Maxwell Graphic payée 510 millions de dollars. Pierre-Karl
avait mené les négociations de main de maître. Son père avait beaucoup
apprécié sa performance dans ce dossier. En 1993, il amorçait la modernisation
des techniques d’impression du Journal de Montréal. À la même époque,
il déclenchait un lock-out dès le début des négociations pour le
renouvellement de la convention collective des pressiers, le 19
septembre 1993 plus précisément. Il n’y avait jamais eu de grève depuis la fondation
du quotidien. Le journal fut imprimé à Cornwall, en Ontario, durant tout
le temps du conflit. Pierre-Karl avait imposé ses idées, mais celles-ci
étaient peut-être un peu trop radicales au goût de son père.
Par la suite, il
fut nommé à la présidence d’Imprimerie Quebecor Europe, division créée
spécialement pour renforcer la présence de l’entreprise de l’autre
côté de l’Atlantique. C’est à partir de ce moment que Pierre-Karl fit sa
marque dans la gestion et les négociations. Pendant son séjour en France,
il a conclu des ententes d’envergure, ajoutant des acquisitions importantes
à l’empire Quebecor. En voici une liste sommaire :
– décembre 1993 : acquisition
d’une participation majoritaire dans le Groupe Fécomme ;
– février 1995 : acquisition
du groupe Jean Didier, en France, et de Hunter Print, en Angleterre ;
– janvier 1996 : acquisition
de l’actif du groupe Jacques Lopès, deuxième imprimeur offset en importance
en France, et acquisition d’une participation de soixante pour cent dans
Inter-Routage, société française spécialisée en reliure et en distribution.
Pierre-Karl fit
des Imprimeries Quebecor le premier imprimeur commercial en France. Son
plus gros coup fut celui de l’acquisition du groupe Jean Didier. Pierre-Karl
demeura en France jusqu’au décès de son père en 1997.
En ce qui concerne
les autres enfants, Anne-Marie, Esther, Simon-Pierre, je n’ai pas eu de rapports
étroits avec eux. Ils étaient plus jeunes, encore aux études ou ne travaillaient
pas dans l’entreprise familiale ; du moins pas encore.
Jean, le cadet,
est né en 1991, année où j’ai commencé à Quebecor. “ Petit Jean ” était pratiquement
le fils de Quebecor et de tout l’entourage immédiat de Pierre Péladeau.
Il venait très souvent nous visiter au 13e étage lorsqu’il passait
les vendredis après-midi en compagnie de son père, avant de regagner le
domicile de Sainte-Adèle pour le week-end. Germaine Miron, réceptionniste
et sœur du poète Gaston Miron, jouait à la gardienne plus souvent qu’à son
tour, comme d’autres membres du personnel. Il fallait voir “ Petit Jean ”
courir partout sur l’étage et amuser tout le monde : un véritable rayon de
soleil. Il parlait aux secrétaires, leur racontait des histoires.
Nous avons pour
ainsi dire vu grandir “ Petit Jean ”. Son père fut très présent dans la vie
de l’enfant, et il jouait souvent avec lui. On aurait dit qu’il rajeunissait
de vingt ans dans ces moments-là.
Même si, parfois,
on aurait cru voir un grand-père qui gâte son petit-fils 3,
M. Péladeau considérait pour la première fois de sa vie qu’il agissait
en père. Il fallait le voir tenir “ Petit Jean ” par la main et se faire appeler
papa.
Enfant, “ Petit
Jean ” affichait déjà une intelligente très vive. Il fallait l’entendre
raconter ses blagues et ses devinettes. Un jour, par exemple, à une secrétaire
qui lui relatait une anecdote pour le distraire, Jean demanda :
“ Est-ce que tu
as vu ça à la télé ou si tu l’as lu dans Le Journal de Montréal ? ”
Il avait une présence
d’esprit incroyable, et il était imprévisible et imaginatif. Un jour, à
l’occasion d’un pow-wow à Sainte-Adèle 4, M. Péladeau avait
eu l’idée d’organiser des jeux amicaux dans le but d’amasser des dons pour
l’une de ses activités caritatives. Il y avait, entre autres, une course de
canards jaunes, en plastique bien sûr. L’idée était de miser sur un des
canards participants. Une fois la course terminée, les jouets ont été déposés
dans un baril à l’écart, et les invités se sont occupés à autre chose.
Quelle ne fut
pas notre surprise d’apercevoir “ Petit Jean ” se promener dans la foule
en train de revendre les canards à deux dollars pièce. Non seulement il en
avait eu l’idée, mais il avait en plus entraîné le petit Maxime, fils de Daniel
Pilon, acteur bien connu. Ce dernier rougit presque de gêne de voir son fils
à l’œuvre avec le fils de son hôte. Pour sa part. M. Péladeau n’était pas
peu fier de voir son fils, encore si jeune, avoir l’esprit d’entrepreneurship.
Lorsque nous nous sommes rendu compte du stratagème, il avait déjà vendu
une quinzaine de canards. M. Péladeau n’avait cesse de dire : “ Il suit les
traces du père ! ”
Le 2 décembre
1994, M. Péladeau termina son mandat à titre de chancelier de l’université
Sainte-Anne à Pointe-de-L’Église, en Nouvelle-Écosse. Durant la période des
fêtes, il devait assister à la cérémonie de passation des pouvoirs. Comme
il avait l’habitude d’amener “ Petit Jean ” avec lui à l’occasion d’événements
de toutes sortes ou même de concerts de musique classique, il décida que
son fils serait du voyage.
M. Péladeau
devait prononcer un discours de fin de mandat avec tout le protocole
qu’une telle allocution impose. Mais “ Petit Jean ” en avait décidé autrement.
Pas du tout familiarisé avec le protocole, il ne cessait de courir devant
l’estrade comme s’il était à un spectacle pour enfants et poussa l’audace
jusqu’à prendre le photographe officiel pour cible dans un jeu de cape et
d’épée. Le pauvre photographe ne pouvait pas trop se plaindre et il dut
manœuvrer avec dextérité et diplomatie pour accomplir son travail. Pour
empirer la chose, Pierre Péladeau décida de lancer une blague pour dérider
les dignitaires et, s’adressant au recteur, il dit :
“ Monsieur le
recteur, vous avez un ben beau casse ! ” en voulant parler du chapeau
officiel.
Après l’événement,
et avant de rentrer à Montréal avec le jet privé, M. Péladeau nous
demanda d’arrêter chez un pêcheur de qui il acheta du homard vivant pour chacun
des membres du petit groupe qui revenait avec lui, dont Luc Saint-Arnaud,
alors directeur de la Banque Nationale Westminster du Canada. C’était une
façon de se faire pardonner son indiscipline de l’après-midi.
Tout le monde
aimait “ Petit Jean ”. Il était irrésistible. Il a hérité des talents de
séducteur de son père. Je suis convaincu que Jean Péladeau occupera un jour
une place importante dans l’empire Quebecor, s’il le désire, bien entendu.
En conclusion,
après avoir rencontré et côtoyé les enfants du clan Péladeau pendant près
de sept ans, je dirais qu’ils forment une famille comme les autres, mis à part
leur colossal héritage à gérer.
* * *
Si les relations
avec les membres de la famille Péladeau étaient faciles, celles avec l’autre
famille, c’est-à-dire avec les cadres de Quebecor, exigeaient une autre
forme de diplomatie et une autre manière d’aborder les choses. Il est évident
que dans une entreprise, qu’elle soit familiale ou non, il y a des luttes de
pouvoir. Il existe toujours des ambitieux comme dans une course, et que le
meilleur gagne !
La même situation
existait chez Quebecor et à mon arrivée, en 1991, j’ai pu me rendre compte
que j’aurais beaucoup de travail à faire sur ce plan. Dans les premiers
mois, lors de la rédaction du rapport annuel, le vice-président aux finances
me confia :
“ Tu sais, Bernard,
ici il faut savoir juger et parfois il sera peut-être préférable de contester
les recommandations de Pierre Péladeau. Les décisions du grand patron sur
le plan financier ne seront peut-être pas toujours adéquates et il vaudrait
mieux que tu me fasses alors confiance plutôt qu’à lui. ”
Provenant d’un
collègue de travail, cette remarque m’inquiétait. Je me demandais comment
une telle compétition pouvait exister chez une personne en qui M. Péladeau
avait confiance. Il est évident que lorsqu’un président prend une décision
et que les faits montrent qu’il ne le devrait pas, il faut bien sûr l’en prévenir.
Mais la loyauté est essentielle.
Dès que j’ai commencé
à travailler avec M. Péladeau, j’avais établi dans mon esprit que je
lui devais une loyauté sans faille. C’était essentiel si je voulais respecter
une éthique professionnelle et établir un lien de confiance solide avec
mon patron. Pierre Péladeau m’avait ouvert les portes de son entreprise en
plus de m’accueillir dans sa maison, il était sûr et certain que je serais
loyal à son égard.
J’ai répondu au
vice-président des finances qu’il se trompait sur ma description de tâches,
que mon travail consistait avant toute chose à protéger Pierre Péladeau
au chapitre des relations publiques et qu’il n’y avait aucune place pour
l’hypocrisie sous quelque forme que ce soit. Inutile de dire que par la
suite mes rapports ont été plutôt tièdes avec mon collègue des finances.
Je n’ai jamais remis en question mon choix, mais il m’a ensuite occasionné
quelques accrochages.
Pierre Péladeau
avait une stratégie particulière lorsqu’il embauchait des cadres à la
direction de son entreprise. Il se faisait toujours un devoir de trouver
deux experts dans le secteur de la filiale à gérer, mais deux personnes de
tempérament opposé avec un style de gestion différent. Nécessairement,
ces deux personnes s’entendaient plus ou moins et essayaient de se surpasser
l’une et l’autre. M. Péladeau s’assurait ainsi de conserver une forme de
prise sur la filiale ; il était assuré qu’aucun des deux directeurs ne pourrait
être paresseux ni lui jouer dans le dos. Cette stratégie astucieuse, qui
n‘apparaissait pas dans les guides de ressources humaines, en valait néanmoins
bien d’autres, croyait-il.
Aux imprimeries
Quebecor, j’ai pu constater que cette forme de rivalité existait entre
Charles Cavell et Jean Neveu. Il ne faut pas se méprendre ou interpréter
ces propos au premier degré. Les dirigeants des filiales ne s’aimaient pas
nécessairement sur le plan personnel ou ne partageaient pas toujours
les mêmes endroits de vacances, mais ils travaillaient toujours pour le succès
de l’entreprise.
La personnalité
de M. Cavell et celle de M. Neveu étaient diamétralement opposées.
M. Cavell
est arrivé chez Quebecor avec l’acquisition des Imprimeries Ronalds Printing
de Bell en 1988. Il avait une vision très américaine des affaires où priment
efficacité et rentabilité. J’aimais beaucoup travailler avec lui. Notre
première collaboration fut la publication du rapport annuel de 1991. À
l’époque, les Imprimeries Quebecor n’étaient pas cotées en Bourse, les
activités étaient donc intégrées dans le rapport de la société de portefeuille.
Cavell m’expliquait dans un style direct comment devrait se rédiger la section
concernant les imprimeries. Il savait ensuite se retirer et déléguer. Sa
façon de travailler me rappelait mon expérience avec des gens comme Brian
Mulroney. Ils expliquent ce qu’ils veulent, délèguent le travail et ne
jugent que sur le produit final. Pas sur son mode de réalisation.
Jean Neveu était
toujours poli, gentil, mais nous n’avions pas “ d’atomes crochus ”, comme
le dit l’expression.
En 1992, la
société Imprimeries Quebecor a été officiellement inscrite en Bourse et
cette filiale a commencé à prendre une place très importante dans l’empire
Quebecor. On a alors élaboré une stratégie particulière à cette division,
à tous les paliers, y compris les communications.
Charles Cavell
était un visionnaire capable d’imposer ses idées et de mener une acquisition
d’une façon admirable et surtout efficace. Il était exigeant envers les
autres, mais encore plus envers lui-même. Il a beaucoup développé le marché
anglophone, et M. Péladeau disait que si Quebecor y avait fait une
percée importante c’était grâce à l’apport de l’anglophone Charles
Cavell. Ce dernier était celui qui, à la direction, comprenait le mieux le
marché américain et canadien-anglais. Selon moi, Charles Cavell est le
grand responsable du succès de Quebecor World en Amérique du Nord.
D’autres gens
de haut calibre sont passés chez Quebecor, dont Daniel Paillé qui fut probablement
l’un des cadres les plus dynamiques que j’aie côtoyés. Il agissait à titre de
vice-président au développement et il relevait directement de Pierre Péladeau.
Entre lui et moi les choses ont “ cliqué ” dès le début et nous sommes devenus
de bons amis. Cette amitié a duré jusqu’à son départ ; il avait décidé de
faire le saut en politique au grand désappointement de M. Péladeau
qui l’adorait. Mais il a respecté son choix et l’a toujours appuyé.
Nommé ministre
de l’Industrie et du Commerce dans le gouvernement du Parti québécois,
Daniel Paillé s’est fait remarquer par la création du plan Paillé dont l’objectif
était d’aider les entrepreneurs à démarrer leur projet. Le gouvernement
garantissait un prêt pouvant atteindre 50 000 $. Avec le recul, je me
demande si Daniel Paillé ne s’est pas inspiré de son expérience chez Quebecor
pour mettre en place un tel plan.
Du côté des journaux
hebdomadaires, j’ai beaucoup aimé travailler avec Michel Saint-Louis qui
avait déjà été un collaborateur de Conrad Black, magnat de la presse. M.
Saint-Louis avait le mandat de donner un nouvel élan aux hebdomadaires
de Pierre Péladeau. J’aimais bien son style et il aurait très certainement
obtenu beaucoup de succès chez Quebecor. Malheureusement, il n’a pas eu
l’occasion de mettre de l’avant ses plans de redressement ; à cause de problèmes
de santé, il a dû se retirer prématurément. Michel Saint-Louis avait connu
M. Péladeau en 1973 lors de la grève de La Voix de l’Est à Granby. Il
avait demandé l’appui du fondateur du Journal de Montréal pour lancer
un nouveau quotidien dans la région de Granby. M. Péladeau avait refusé en
disant que jamais plus il ne lancerait un journal pour en remplacer un
autre en grève. Il avait vécu l’expérience avec Le Journal de Montréal
et il avait presque dû abandonner la partie au retour de La Presse
tellement le tirage avait baissé. Seul son acharnement avait sauvé Le
Journal de Montréal de la fermeture, car même ses principaux conseillers
l’avaient incité à tourner la page et à investir son profit ailleurs.
Après s’être
rétabli, Michel Saint-Louis est allé dans la région de Gatineau où il dirige
aujourd’hui l’hippodrome d’Aylmer. J’ai eu le plaisir de le revoir lors
d’événements équestres tenus à Montréal, car nous avons en commun une passion
pour les chevaux.
La période que
M. Saint-Louis a passée chez Quebecor a tout de même été suffisante pour
qu’il m’apprenne plusieurs détails au sujet de la personnalité de Conrad
Black. J’étais ainsi plus en mesure de comparer M. Black et M. Péladeau.
M. Saint-Louis
avait côtoyé Conrad Black au journal The Record de Sherbrooke, pendant
que ce dernier en était le propriétaire, avec Peter G. White et David Radler.
Le trio mené par
M. Black avait acheté The Record pour la somme de 18 000 $ à l’été
de 1968. Il exploita l’hebdomadaire et il s’en servit pour acquérir plusieurs
autres hebdomadaires, notamment sur la Côte-Nord du Québec. C’est
d’ailleurs Michel Saint-Louis qui avait eu la responsabilité de diriger
les activités des hebdomadaires de la Côte-Nord. L’intention de Black
était de démarrer un quotidien distribué de Baie-Saint-Paul à
Blanc-Sablon. Pour ce faire, il voulait transformer le journal L’Avenir
de Sept-Îles, lequel avait trois éditions hebdomadaires gratuites et une
édition vendue, ainsi que le journal Côte-Nord de Baie-Comeau avec
une édition hebdomadaire, et en faire un seul et même quotidien. Ce nouveau
quotidien aurait été imprimé à Sept-Îles. Tout semblait prometteur, sauf
qu’avec l’élection de René Lévesque en 1976 le trio de Conrad Black plia
bagage pour Toronto. M. Black vendit The Record à Georges MacLaren
pour la somme de 865 000 $, soit quarante-huit fois le prix payé. Black s’est
souvent vanté de cette bonne affaire.
Assez étrangement,
c’est Pierre Péladeau qui acheta, le 19 décembre 1975, le journal L’Avenir
et son imprimerie à Sept-Îles, ainsi que les Éditions nordiques de
Baie-Comeau. Plus tard, le 1er décembre 1987, il acquit également
le journal The Record de Sherbrooke qu’il paya deux millions de dollars.
Pour conclure
une affaire et réussir à obtenir ce qu’il voulait d’une acquisition, M.
Black mettait en pratique les mêmes stratagèmes ou tactiques que Pierre
Péladeau. Il pouvait être tout aussi créatif dans ses méthodes de séduction.
Même si les deux hommes se ressemblaient, il existait une grande rivalité
entre eux et surtout une grande différence dans leur façon de voir les
choses. Ainsi, pour Pierre Péladeau, l’objectif était de couvrir tout le Québec
avec ses publications. Conrad Black avait une tout autre aspiration : d’un
océan à l’autre. Pour Black, l’empire qu’il bâtissait devait s’étendre de
Terre-Neuve à Vancouver.
J’ai toujours
eu beaucoup d’admiration pour Conrad Black, presque autant que j’en ai eu
pour Pierre Péladeau. J’avais rencontré M. Black à quelques reprises
à Ottawa et à Montréal. J’ai également eu à travailler avec son associé
Peter G. White au moment où il était au cabinet de Brian Mulroney. M. White
avait communiqué avec moi pour m’offrir un emploi à Ottawa en 1984. J’ai
toujours eu beaucoup de respect pour le groupe Hollinger. M. Péladeau connaissait
mon admiration pour ces deux hommes d’affaires anglophones et, même s’il
ne me l’a jamais reproché, je savais que la chose le dérangeait.
Conrad Black et
Pierre Péladeau ont bien tenté de s’associer et de réaliser quelques projets
ensemble, mais ils n’ont jamais réussi à s’entendre 5.
* * *
La vie nous
réserve toujours des surprises et avec Pierre Péladeau, il y en eut souvent.
Très intuitif, il s’était intéressé à un hebdomadaire de Laval, propriété
de Pierre Francœur. M. Péladeau, qui cherchait de nouvelles publications
pour son réseau d’hebdomadaires, avait entendu parler du travail de
Francœur et il s’était intéressé à lui et à son journal. Il voulait acheter
le journal et embaucher Pierre Francœur pour le diriger. Les deux hommes
décidèrent de se rencontrer pour discuter. M. Francœur dit à M. Péladeau
qu’il viendrait au rendez-vous en compagnie de Sylvie Sauriol, sa conjointe,
qui était alors propriétaire d’un magasin de location de vidéocassettes.
Lorsque M. Péladeau rencontra le couple, il se rendit compte immédiatement
du potentiel de Mme Sauriol qui négociait alors pour son conjoint.
Elle possédait les qualités qu’il admirait et recherchait chez ses partenaires.
M. Péladeau n’a jamais acheté le journal, mais il a invité Sylvie Sauriol à
se joindre au personnel de direction de Quebecor, division des hebdomadaires.
Pierre Francœur
ne fut tout de même pas laissé pour compte. Un peu plus tard, il devint éditeur
du Journal de Montréal, puis président et chef de la direction de
Corporation Sun Media 6.
M. Francœur
était réputé pour sa diplomatie. Sous la présidence de Pierre Péladeau qui
lisait et commentait quotidiennement son journal, M. Francœur réussissait
à composer avec les critiques bien souvent empesées du grand patron, qui
suivait à la ligne sa publication. Y manquait-il une annonce ? Y avait-il
plus d’avis de décès chez le concurrent La Presse ? Avait-on laissé
passer une exclusivité ? M. Péladeau empoignait le téléphone et s’empressait
de faire ses remarques au responsable. M. Francœur avait beaucoup de
patience et d’aptitude pour gérer les excès de langage de son patron.
Il n’était pas
toujours facile de satisfaire les désirs de Pierre Péladeau, car il y avait
parfois un large fossé entre ses désirs et leur réalisation. S’il exista
une personne qui dut relever ce défi plus souvent qu’à son tour, ce fut bien
Marie Rémillard, directrice de l’Orchestre métropolitain jusqu’en avril
1998. D’un côté, elle devait composer avec un groupe de musiciens, des artistes
avec leur personnalité propre et leur sensibilité, et de l’autre, avec
le grand mécène, chez qui le tempérament d’homme d’affaires prédominait.
L’Orchestre métropolitain était “ la cause ” que chérissait M. Péladeau.
Mais il avait ses compositeurs et ses musiciens préférés. Comme il finançait
l’orchestre, en retour, il avait ses “ demandes spéciales ”. Marie
Rémillard avait le grand talent de répondre aux attentes de M. Péladeau tout
en tenant compte des impératifs d’un grand orchestre.
Un autre dirigeant
qui se fit remarquer est André Gourd, avocat de formation. Il avait quitté
Quebecor lorsque j’y ai fait mon entrée. Son départ m’a permis de profiter
de son magnifique et vaste bureau, mais il est revenu par la suite à titre de
vice-président aux acquisitions. Il a quitté définitivement au cours de
l’année qui a précédé le décès de M. Péladeau pour accepter un poste chez
Arthur & Andersen. Il fut l’artisan de l’acquisition du groupe Archambault.
André Gourd et
sa femme Martine Saint-Louis, fille du juge Jean-Paul Saint-Louis, furent des
amis intimes de Pierre Péladeau. Martine, avocate de formation, a été l’adjointe
de direction de Pierre Péladeau et le juge Saint-Louis son exécuteur testamentaire.
André Gourd a
réalisé beaucoup de projets ponctuels. C’était un type difficile à cerner.
Il était sympathique, mais il pouvait être celui qui devait vous assener
le coup de grâce. Il n’avait donc pas beaucoup d’amis au sein de Quebecor.
M. Péladeau le respectait et c’est ce qui importait. Personnellement,
je l’aimais bien.
André Gourd
m’avait prévenu que ma loyauté sans équivoque était sûrement très utile à
mon patron, mais qu’elle deviendrait dangereuse pour moi à long terme. Je
savais que si M. Péladeau disparaissait subitement, je n’aurais probablement
plus de travail chez Quebecor. M. Gourd m’avait fortement conseillé
de préparer ma sortie. Mais je ne pouvais me résigner à quitter Pierre
Péladeau. On ne quitte pas le bateau pendant la tempête !
D’autres cadres
de haut niveau et ne provenant pas nécessairement du milieu des affaires
sont également passés chez Quebecor. Jacques Girard fut l’un de ceux-là.
Ancien sous-ministre de l’Éducation, il quitta Télé-Québec pour se joindre à
Quebecor. Ce genre d’embauche au niveau de la haute direction devait équilibrer
l’entreprise en raffinant davantage son style de gestion. À la base, il
est difficile d’associer deux personnages aussi différents : l’un
coloré et bouillant, l’autre patient et d’une politesse parfois digne d’un
diplomate. Certains amis de M. Girard ne comprenaient pas sa décision
de se joindre à Quebecor, car les deux hommes “ détonnaient ”, tant ils
étaient de styles différents. Contre toute attente, les deux hommes ont travaillé
ensemble pendant plusieurs années et ont réalisé conjointement de nombreux
projets. Jacques Girard est aujourd’hui président de Montréal international.
Pierre Péladeau
était très bien secondé par son secrétariat, composé de Micheline Bourget
et de Nicole Germain. Mme Bourget était à son service
depuis plusieurs années déjà lorsque j’ai commencé à travailler chez Quebecor.
M. Péladeau avait également une adjointe, Sylvie Laplante, avocate,
qui s’occupait de ses affaires personnelles : la maison, l’ensemble du
personnel privé comme les pilotes d’hélicoptères, les chauffeurs, les
jardiniers, les bonnes, etc. Elle voyait à ce que M. Péladeau ne manque de
rien à sa résidence et elle coordonnait les horaires du personnel à cette
fin. Sylvie a quitté l’entreprise pour occuper un autre poste dans une
filiale de Quebecor quelque temps avant la mort de M. Péladeau, mais elle
est toujours demeurée très proche de celui-ci.
À l’aide de son
personnel de secrétariat, Pierre Péladeau s’était créé un écran protecteur,
tout en s’assurant que sa vie privée comme sa vie professionnelle soient
bien organisées et réglées comme du papier à musique. Ses secrétaires surveillaient
son horaire, l’assistaient dans toutes ses tâches, coordonnaient sa correspondance
et ses dossiers. Elles avaient un rôle primordial. Même sur le plan des communications,
il fallait que je collabore quotidiennement avec ses assistantes.
Elles étaient toutes fidèles à M. Péladeau et elles éprouvaient beaucoup
d’affection et d’amitié pour lui, en dépit de ses sautes d’humeur. Elles
savaient qu’elles devaient mettre de côté leurs émotions et ne réagir que sur
le plan professionnel.
M. Péladeau
avait le même respect et la même attitude avec tout le monde, qu’il s’agisse
des employés de soutien ou des cadres de la haute direction. Tous étaient
traités de la même manière.
La seule chose
que M. Péladeau coordonnait seul et pour laquelle il préférait ne pas donner
beaucoup de détails était ses fréquentions amoureuses, mais, encore là, il
avait parfois besoin de notre collaboration pour s’en tirer à bon compte
et éviter de blesser inutilement la favorite du moment.
1.
“ Pourquoi j’aime Internet ”, Liz Morency, Magazine Le 30, octobre
1996.
2. Hommage
à un grand bâtisseur, Pierre Péladeau, Éditions Publicor, 1998.
3. M. Péladeau
avait 65 ans à la naissance de Jean.
4. Chaque
été, M. Pierre Péladeau organisait une fête gigantesque où il recevait
plusieurs centaines de personnes en plein air. Le pow-wow fait partie des
annales de Quebecor.
5. Conrad
Black est aujourd’hui propriétaire, entre autres, du quotidien Le
Soleil de Québec. En octobre 2001, il a été nommé à la Chambre des
lords, à Londres, il porte le titre de The Lord Black of Crossharbour.
6. M.
Francœur est toujours en poste au moment d’imprimer.
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CHAPITRE 7
L’art de faire
des affaires
La philosophie
de Pierre Péladeau en affaires reposait sur un principe fondamental
qu’il expliquait en quelques mots : “ You miss a deal, you get a deal.
” En français, on dirait : “ Un projet de perdu, dix de retrouvés. ” Il disait
qu’il ne fallait jamais s’attacher émotivement à une affaire et que dès
que l’on voyait les négociations aller dans la mauvaise direction ou que le
prix à payer dépassait les objectifs fixés au départ, il fallait laisser tomber,
tourner les talons et concentrer ses efforts ailleurs. Il était inutile de
perdre du temps et de l’argent pour tenter d’obtenir une affaire qui ne
vous rapporterait pas de profits.
Selon Pierre
Péladeau, le profit était l’élément sur lequel beaucoup d’entrepreneurs
ne savaient pas cibler leurs efforts, contrairement à toute logique. Il
expliquait sa théorie du profit en utilisant les comparaisons que lui
avait apprises un frère dominicain, professeur de métaphysique, durant
ses années à l’université, au sujet du sac de pommes qui devait être vendu
plus cher qu’il n’avait été payé si l’on voulait s’assurer un profit.
Il racontait
aussi cette autre anecdote vécue, celle d’une jeune femme venue lui demander
conseil au sujet de son atelier d’artisanat. Les ventes avaient augmenté,
mais elle continuait d’essuyer des pertes. M. Péladeau nota rapidement
que la dame payait ses fournisseurs en deçà de trente jours, tandis
qu’elle permettait à ses clients d’attendre jusqu’à quarante-cinq jours
avant de la payer. Elle pensait qu’en se montrant conciliante, elle favoriserait
la croissance de son commerce et augmenterait le volume de sa clientèle.
Son problème était là. Puisque la marge de profit était mince au départ,
elle ne pouvait pas récolter de profit final en raison de frais d’intérêts
attribuables au délai entre le paiement des comptes fournisseurs et la
perception des comptes clients. Il lui avait proposé de se faire payer à la
livraison.
Lorsque M. Péladeau
prononçait des conférences ou qu’il accordait des entrevues, il mentionnait
toujours des exemples précis, comme les pommes ou la boutique d’artisanat.
* * *
L’entrepreneurship
de Pierre Péladeau a pris racine dès son adolescence. À 14 ans, il acceptait
la gérance d’un club de tennis pour 6 $ par semaine. Il s’occupait également
de la concession du restaurant attenant. Il vendait des boissons gazeuses,
des cigarettes et des grignotines. “ J’ai vite appris que si je vendais
de la bière, ce serait beaucoup plus payant. ”
Presque tous
ceux qui ont assisté à ses discours ont également entendu parler de l’époque
des sapins de Noël. Au collège, on avait offert aux étudiants des emplois au
bureau de poste pendant le congé des fêtes. On offrait 75 $ pour 10 jours de
travail. M. Péladeau trouvait que ce n’était pas suffisant, il voulait un
emploi plus rémunérateur.
C’est alors
qu’il eut l’idée de vendre des sapins de Noël. Mais il n’avait aucun capital
pour acheter les arbres. Il mit en pratique un truc relativement simple
: il allait commander les sapins le vendredi matin au marché et il demandait
aux fournisseurs de les lui livrer autour de 8 heures le soir même. Le fournisseur
en question se présentait à l’heure, déchargeait la marchandise et demandait
ensuite son dû. M. Péladeau le payait avec un chèque, tout en étant parfaitement
conscient que les banques seraient fermées jusqu’au lundi matin. Si le vendeur
rouspétait trop, M. Péladeau lui disait de reprendre sa marchandise et
de s’en aller. Lorsqu’un cultivateur avait passé toute une journée à se
promener d’un marché public à l’autre, tout ce qu’il voulait, c’était rentrer
chez lui. Remettre la cargaison dans le camion n’était pas très tentant.
Aucun des fournisseurs de sapins n’a repris la marchandise.
M. Péladeau
disposait de toute la fin de semaine pour écouler sa marchandise et aller
couvrir le chèque à la banque dès le lundi matin. Plutôt que les 75 $ proposés
pour l’emploi au bureau de poste, il encaissa 1 000 $ pour ses sapins.
À l’âge de 16
ans, il a aussi vendu des billets pour des spectacles qu’il organisait. C’est
à ce moment qu’il a acquis sa passion et son amour pour les arts et les artistes.
Il rêvait de
devenir imprésario. Son premier investissement fut un montant de 35 $
pour l’achat d’une voiture, un vieux modèle Chrysler. Il comptait faire le
tour de la province avec une troupe de théâtre qu’il venait de fonder, mais
il ne se rendit pas très loin. La seule représentation de sa tournée se solda
par une soirée à Sainte-Scholastique, près de Mirabel ; une bonne partie de
l’assistance a sauté la clôture et a vu le spectacle gratuitement. En
plus, la Chrysler rendit l’âme en chemin, et la troupe revint piteuse en autobus.
Le théâtre n’était définitivement pas rentable.
L’été suivant,
Pierre Péladeau décida de faire une autre tournée, mais cette fois-ci avec un
seul artiste, le pianiste André Mathieu. Ils partirent en direction de l’Abitibi.
Le premier soir, à Amos, ce fut le triomphe. Le lendemain, le pianiste,
en proie à des états d’âmes, décida de ne pas jouer. M. Péladeau, qui
n’avait jamais été patient, plia bagages sur le champ et revint à Montréal en
laissant le pianiste sur place.
À l’université,
grâce à un ami plus fortuné qui l’invitait chez lui pour écouter des disques,
il découvrit la musique classique. Il s’en gava littéralement. En une
nuit, il pouvait écouter jusqu’à cinq concertos de Beethoven, autant de
Mozart et les grands lieder de Schubert. Quelques fois pendant la
semaine, il assistait à de grands concerts au théâtre Her Majesty à Montréal,
en entrant par l’escalier de secours, car il n’avait pas d’argent pour acheter
une place.
À la même époque,
les étudiants de l’université McGill présentaient des débats
publics à la salle Le Plateau, place des arts de l’époque. Il se lança donc
dans l’organisation de débats. Il reprit la formule qui consistait à
opposer deux groupes de deux étudiants chacun sur un sujet donné. Mais comme il
voulait réveiller l’audience, M. Péladeau déterminait des sujets plus
légers qu’à l’ordinaire, pas du tout guindés, comme “ moustache ou rasé ”,
“ blonde ou brune ”, “ Sugar Daddy ou étudiant ”. L’assistance grimpa
rapidement de deux cents à sept cents personnes.
Pendant les
trois années de ses études de droit, il présenta plus de vingt-cinq débats
tous aussi débridés les uns que les autres. Il décida aussi de rendre l’événement
encore plus intéressant en invitant des gens connus comme animateurs :
Jeannette Bertrand, Jean-Pierre Masson, Roger Baulu, Émile Genest et Monique
Mercure. À la fin, M. Péladeau remplissait la salle de 1 200 places avec
ses débats aux sujets futiles. Le recours à des personnalités pour attirer
les spectateurs se répéta avec le Pavillon des Arts de Sainte-Adèle. Lorsque
je lui proposai l’idée en 1992, il l’accepta d’emblée en me disant qu’il
avait lui-même appliqué ce truc pendant ses études universitaires.
Ce succès l’incita
fortement à reprendre le collier de l’imprésario laissé à Val-d’Or quelques
années plus tôt. Au Québec, le marché n’était occupé que par un seul imprésario
reconnu : un dénommé Nicolas de Koudriasef. À la fin de ses études, vers
1950, Pierre Péladeau entreprit de monter des concerts hauts de gamme.
Grand admirateur de Beniamino Gigli, ténor italien, il décida de communiquer
avec lui, à Rome, pour l’inviter à se produire au Québec.
Mais la réponse
se fit attendre. L’artiste italien n’était pas certain de vouloir se produire
au Québec. Durant ce temps, M. Péladeau n’avait pas vraiment de travail précis
et il détestait attendre. De plus, il lui fallait gagner sa vie. Un ami lui
offrit alors de vendre un petit journal de quartier, Le Journal de Rosemont.
Il accepta.
Six mois plus
tard, il reçut la réponse de M. Gigli qui, finalement, avait décidé de
ne pas venir en Amérique. Ce refus vint définitivement tourner la page
sur la vocation d’imprésario de Pierre Péladeau. Je crois cependant qu’il
n’a jamais vraiment perdu l’intérêt qu’il avait pour les artistes, et qu’au
fond de lui même, il aurait aimé devenir un gérant d’artistes comme René
Angélil ou Guy Cloutier. Sur le plan professionnel, il ne fréquenta
jamais vraiment ces deux hommes, mais il aurait sûrement aimé arriver aux
sommets atteints par le gérant de Céline Dion. Le Blues du businessman,
chanson de Claude Dubois, s’applique parfaitement à Pierre Péladeau.
S’il a
finalement opté pour l’édition, ce ne fut pas une passion au départ. Il
devait gagner sa vie, et la vente de publicité lui semblait une façon facile
de le faire. Il me confia, vers la fin de sa vie, qu’au départ il ne connaissait
rien à l’imprimerie. Pour lui, c’était une façon de gagner de l’argent,
sans plus. Sa passion pour ce secteur industriel s’est développée plus
tard, mais elle n’a jamais atteint l’intensité de celle qu’il avait éprouvée
à l’égard des artistes.
L’attitude de
Pierre Péladeau à ses débuts en tant qu’entrepreneur est demeurée la même
jusqu’à la fin de sa vie, peu importe le montant en jeu. Il surprenait tout
le monde par sa rapidité de réaction, par son imprévisibilité, par son
courage et, parfois, par l’audace des gestes qu’il posait. S’il n’obtenait
pas les résultats ou l’entente escomptés, il pouvait tourner les talons et
il était inutile d’essayer de le convaincre de revenir sur sa décision.
Un fait intéressant
à constater est la façon dont il se protégeait contre l’ivresse. L’alcool
était le “ relaxant ” qu’il recherchait après le travail, mais jamais il n’aurait
signé une transaction financière en état d’ébriété. Lorsque sa dépendance à
l’alcool fut connue, il est arrivé à maintes reprises que des gens essaient
de le saouler afin de lui faire signer un “ deal ”. Il acceptait de
rencontrer ses clients et se prêtait à des discussions, généralement
autour d’un repas bien arrosé au restaurant. Mais il ne signait jamais quoi
que ce soit s’il avait bu. Lorsqu’il concluait une affaire, il était sobre.
Il attribua souvent
le crédit de son succès en affaires à une leçon que lui avait prodiguée
l’un de ses oncles très tôt au début de sa carrière, vers le milieu des années
1950. Ce dernier était prétendument riche et M. Péladeau voulait lui
emprunter de l’argent. Elmire, mère de M. Péladeau, le mit cependant en
garde contre la rigueur de l’oncle en question, réputé pour être dur en affaires.
Convaincu de ses qualités de vendeur, Pierre Péladeau prépara son baratin
et se pointa chez son oncle qui le reçut avec beaucoup de civilité. Une fois
son exposé terminé, son oncle se leva, étendit ses deux bras sur son bureau
et lui dit d’un air solennel :
“ Écoute-moi
bien mon jeune, à ma droite, j’ai ici tous les comptes clients et, à ma gauche,
tous mes comptes fournisseurs. Voici toute ma business, 90 millions
de dollars par année dans deux dossiers de chaque côté de mon pupitre.
C’est pas compliqué. Fais la même chose. ”
Toute une leçon
sur la simplicité de la gestion : “ les clients et les fournisseurs ”.
Pierre Péladeau venait d’apprendre à gérer l’argent qu’il n’avait pas
encore. M. Péladeau s’en retourna sans les 5 000 $ qu’il voulait, mais il
avait compris une chose : en affaires, il faut parfois faire financer ses
projets avec l’argent des autres et avec le crédit des fournisseurs.
C’est à partir
de ce moment-là qu’il commença à s’entourer d’experts et cessa de tout
faire seul. Il choisit d’abord un comptable qui savait parler à un banquier,
puis un avocat qui veillait à ce que toutes les opérations financières
soient conformes aux règlements, tout en bénéficiant des largesses de la
loi. Un seul mot guidait toutes ses acquisitions : “ profit ”.
M. Péladeau disait
toujours qu’il fallait voir grand et oser. Il a appliqué ce principe toute
sa vie, mais il a également toujours su s’arrêter lorsque la situation
risquait de se solder par un échec. Il fallait savoir maîtriser son attachement
par rapport à une opération. Selon M. Péladeau, si l’on devenait sentimental
envers un projet, on risquait de ne pas voir les embûches et de se faire rouler.
Il citait en
exemple son expérience aux États-Unis et sa tentative d’implanter un quotidien
sur le marché américain. Il avait lancé le Philadelphia Journal
le 5 décembre 1977. Contrairement à la rumeur, il n’avait pas investi dans
ce projet sur un coup de tête. Une occasion s’était présentée, et il avait
étudié l’affaire à fond. Il s’était rendu à Philadelphie à plusieurs
reprises et il avait même demandé à Jacques Beauchamp, journaliste sportif
du Journal de Montréal, de l’y accompagner. De prime abord, il trouvait
des ressemblances entre Philadelphie et Montréal. Comme on le sait,
Pierre Péladeau mit au monde The Philadelphia Journal dont le
tirage atteignit les 100 000 exemplaires. Dès 1981, le journal était sur la
bonne voie et son avenir s’annonçait prometteur, jusqu’à ce que les syndicats,
Teamsters en tête, lui mettent des bâtons dans les roues. Non pas que le propriétaire
s’opposait à la syndicalisation des employés, mais le dialogue s’établissait
dans un rapport de force à sens unique et sans ouverture aucune.
M. Péladeau
négocia pendant un certain temps, puis il se fatigua et leur fit savoir que si
le syndicat persistait dans son refus, il fermerait tout simplement les
portes. Le syndicat crut que M. Péladeau bluffait et les employés votèrent
contre la proposition. Tel que promis, il plia bagage et il partit en fermant
le journal. Les représentants syndicaux communiquèrent avec lui peu de
temps après, mais c’était trop tard. C’était mal connaître le petit French
Canadian. Il avait investi près de 15 millions de dollars dans ce projet,
mais il ne s’y accrocha pas. Il n’avait plus confiance.
L’histoire se
répéta en quelque sorte avec le Montreal Daily News lancé le 15 mars
1988, lequel a paru moins d’une année. M. Péladeau avait accepté de démarrer
ce quotidien selon un plan de développement bien établi et surtout selon
un budget déterminé qu’il ne voulait dépasser à aucun prix. Il s’était
laissé convaincre qu’il y avait de la place sur le territoire de The
Gazette pour un autre quotidien. Vraisemblablement, il n’y en avait
pas. Publié en format tabloïd, le journal n’arrivait pas à atteindre sa
vitesse de croisière et à susciter des profits lui assurant une place permanente
au sein du marché. L’échéancier de rendement n’était pas respecté et les revenus
publicitaires tardaient à se manifester.
Le journal battait
de l’aile lorsque les comptables du nouveau quotidien, ainsi que ceux de
Quebecor, demandèrent à M. Péladeau d’étirer le financement. Ils y
allaient prudemment en lui proposant : “ Si on mettait deux autres
millions, on aurait du temps. ” Mais Pierre Péladeau, fidèle à son instinct
et surtout à sa règle de base de ne jamais s’accrocher à une affaire, décida
de fermer le Montreal Daily News. Ce fut une fermeture difficile
parce que des employés y perdirent leur travail et que l’on avait mis beaucoup
d’espoir dans le quotidien. La perte s’élevait à 10 millions de dollars,
mais, comme il ne faisait pas dans la sentimentalité, M. Péladeau resta
sur sa position. Pas de profit, pas d’entreprise.
* * *
Pierre Péladeau
l’a répété jusqu’à sa dernière conférence.
“ Je vais à l’essentiel,
expliquait-il un jour devant la Chambre de commerce de Rimouski en novembre
1997. J’écoute beaucoup et je m’assure que l’on ne traîne pas avec le “ puck
”. Les plans d’action quinquennaux n’ont jamais occupé une grande place sur
mon bureau. On gère la compagnie, projet par projet, division par division,
et, tous ensemble, on s’assure de faire progresser Quebecor. Dans mon
livre à moi, cette façon d’agir s’appelle une planification stratégique
et jusqu’à présent, cela n’a pas trop mal fonctionné. Il faut avoir à cœur
son travail et bien le faire, c’est simple, mais c’est efficace. Pour réussir
en affaires, il faut simplement faire preuve de gros bon sens et savoir trouver
les possibilités de profits. Le profit est l’élément fondamental qui
détermine si une entreprise peut continuer à fonctionner ou non. Ça me
fait sourire quand j’entends les théoriciens, les consultants et les philosophes
des affaires qui font de grandes démonstrations sur la façon de faire des
affaires, quand ils n’ont jamais fait des affaires eux-mêmes, sauf dans les livres.
Si j’achète un sac de pommes à un dollar, il me faut le revendre plus cher
sinon je jouerais au Père Noël. Il faut que je vende mes pommes un dollar
cinquante et ce sont les cinquante cents de profit qui permettront à mon
entreprise de progresser. Le principe peut paraître simple, mais en affaires
ce n’est pas plus compliqué que ça, que l’on parle de 100 dollars ou de 100
millions de dollars. ”
M. Péladeau est
un devenu un expert dans l’art de faire des affaires. L’empire qu’il a mis au
monde en est la preuve. Le point tournant dans sa carrière fut assurément
la fondation du Journal de Montréal le 15 juin 1964. Il songeait
depuis quelque temps à créer un quotidien, notamment pour tenir occupées
au maximum ses presses du Journal de Rosemont. C’est alors que survint
la grève du journal La Presse qui créa un vide important dans le marché.
Il vit une occasion se présenter, et il sauta dessus à pieds joints. Il
prit la décision en quelques heures seulement.
Ce fut une
course contre la montre : il n’avait pas de journalistes, ni de fil de
presse, bref, pas de salle de rédaction. Il est allé chercher des journalistes
de la radio pour former son équipe et lui fournir l’accès aux agences de presse.
En deux jours, Le Journal de Montréal se trouvait en kiosque. Il
tirait à 80 000 exemplaires en janvier 1965.
Lorsque la
grève du journal La Presse prit fin, M. Péladeau, qui espérait avoir
trouvé un créneau durable pour son nouveau-né, dut essuyer une baisse fulgurante
du tirage. La publication était passée à 12 000 exemplaires le temps de le
dire, mais il avait accumulé un profit de 100 000 $. C’était une somme considérable
à cette époque.
À ce moment, il
fallut prendre un décision fatidique : fermer ou continuer. S’il
décidait de continuer, il lui fallait investir près de 800 000 $.
Pierre Péladeau
a toujours dit que les décisions d’affaires étaient des décisions rationnelles,
terre-à-terre. Pourtant, allant à l’encontre de l’avis de son comptable et
de son avocat qui lui conseillèrent fortement de ne pas poursuivre cette
aventure, il écouta son instinct et s’accrocha à ce qui allait devenir son
plus “ grand quotidien français d’Amérique ”.
L’opération ne
se fit pas sans quelques difficultés, il va s’en dire, ne serait-ce qu’au
chapitre de la distribution. Le distributeur avec lequel il était sous
contrat décida de ne pas respecter l’entente. Toujours convaincu de son
choix, M. Péladeau résolut de fonder sa propre maison de distribution.
Il acheta 50 camions en 24 heures. Il ne restait plus une seule camionnette
disponible sur le territoire de l’île de Montréal, mais les Messageries
Dynamiques étaient nées.
* * *
Le Journal
de Québec vit le jour dans des circonstances aussi
invraisemblables.
“ Lorsqu’on a
lancé Le Journal de Québec, racontait Péladeau, on s’est pas garoché
avec des tonnes d’argent. On n’en avait pas. Tout ce que l’on avait, c’était
un désir effréné de lancer un journal à Québec. ”
L’idée de lancer
un nouveau quotidien avait d’abord germé dans la tête de Serge Roy, ancien
journaliste du Journal de Montréal. Ce dernier avait emménagé à
Québec et il téléphonait à son ancien patron deux à trois fois par semaine
pour essayer de le convaincre de lancer un nouveau quotidien à Québec.
Il tentait de lui prouver que les journaux locaux étaient ennuyants. Mais il
fallut plus que ces simples arguments.
À l’époque, en
1967, il existait trois journaux à Québec : L’Événement, L’Action
catholique et Le Soleil. Selon M. Roy, une ou peut-être même deux
de ces publications allaient bientôt disparaître. Ayant lancé Le Journal
de Montréal trois ans auparavant, M. Péladeau était plutôt tiède à
l’idée de démarrer une nouvelle affaire aussi rapidement. Il voulait établir
des assises solides pour son quotidien à Montréal avant de se risquer dans
une autre aventure. Mais la prédiction de Serge Roy se révéla exacte et,
comme si le destin l’avait commandé, le journal L’Événement ferma
ses portes. Le 6 mars 1967, le premier numéro du Journal de Québec
sortait des presses de Montréal.
“ L’expérience
du lancement de ce nouveau quotidien à Québec tient du miracle, relata
par la suite Pierre Péladeau lors d’une conférence. Le moins que l’on puisse
dire est que la mise en marché n’a pas suivi les règles traditionnelles
des autres quotidiens. Tous les spécialistes des communications ne
nous donnaient pas longtemps à vivre. Le Journal de Québec aura été
le seul quotidien à être imprimé pendant des années à 340 kilomètres de
son point de vente. Un éditorialiste fort connu et fort respecté avait pontifié
que le journal tomberait avec les feuilles d’automne, et peut-être même
avant. Vous devinez sans doute qu’il a ravalé ses paroles… ”
Au dire même du
grand patron de Quebecor, il fallait être complètement fou pour se lancer
dans une pareille aventure qui n’offrait pratiquement aucune chance de
réussite. Les journalistes effectuaient leur travail de collecte de nouvelles
à Québec et expédiaient le fruit de leur travail par fil de presse à Montréal,
ou les nouvelles par téléphone, directement à l’imprimerie. On y dessinait
alors la maquette avant de l’imprimer sur les presses rotatives de Montréal.
Ensuite, les choses se compliquaient ; une fois le journal imprimé, vers 2
heures du matin, il fallait le livrer à Québec.
Il faut imaginer
la scène : 40 000 exemplaires à ramasser à Montréal et à acheminer vers
Québec pour 7 heures du matin. M. Péladeau raconta à de nombreuses reprises
ces débuts difficiles :
“ Deux cents
milles tous les jours pour rendre Le Journal de Québec. C’était un
contrat. Et ça, quand les tempêtes n’immobilisaient pas notre camion
dans les bancs de neige. Ou quand ce n’était pas un pneu qui crevait ou un
camionneur qui avait eu un peu trop besoin de se réchauffer avant de partir…
”
Malgré tout,
ils persévérèrent et Le Journal de Québec devint le plus important
quotidien de la ville de Québec. “ Que ça fasse plaisir à Conrad Black ou
pas ”, s’empressa de rajouter M. Péladeau.
Aujourd’hui, Le
Journal de Québec est imprimé sur ses propres presses qui ont nécessité
un investissement de 11 millions et demi de dollars en 1989.
Quand il a
acheté Donohue le 7 juillet 1987, au coût de 356 millions de dollars, il
avait besoin d’un partenaire, car il s’agissait d’une très grosse somme d’argent.
Il n’avait pas les moyens de l’assumer tout seul. Il a laissé courir la
rumeur qu’il cherchait un associé disposant de liquidités à investir.
André Bisson, vice-président de la Banque de Nouvelle-Écosse au Québec, que
M. Péladeau connaissait bien, lui a téléphoné un jour pour l’entretenir
de Robert Maxwell. M. Péladeau n’en avait jamais entendu parler, mais il connaissait
ses publications dont le London Mirror.
Robert Maxwell
avait la réputation d’être un “ name dropper ”. Ses conversations
étaient continuellement truffées de noms tels George Bush (père), Margaret
Thatcher, sans oublier quelques têtes couronnées de la monarchie britannique.
Tous les banquiers de la planète, ou presque, lui avaient ouvert un compte,
ce qu’ils allaient regretter amèrement par la suite. En Angleterre, il était
le baron de la presse.
Ce n’est pas
tant le personnage ni son carnet d’adresses qui suscitèrent l’intérêt
de Pierre Péladeau, mais le tirage de 4 000 000 d’exemplaires par jour du London
Mirror. Comme il s’apprêtait à acheter une usine de papier, il allait
avoir besoin de bons clients. Son ami de la Banque de Nouvelle-Écosse le mit
en contact avec M. Maxwell qui se présenta à l’hôtel Ritz Carlton de Montréal,
dès le lendemain.
Entre-temps,
Pierre Péladeau avait recueilli quelques renseignements sur le personnage
et sur ses activités. Il apprit que Robert Maxwell avait justement des problèmes
d’alimentation en papier en Angleterre en raison de la concurrence
féroce de Murdock, son vis-à-vis dans ce marché.
En arrivant au
rendez-vous fixé dans une suite du Ritz, M. Péladeau lui présenta son “ deal
” de façon expéditive :
“ Monsieur Maxwell,
ma proposition est la suivante : 51 % pour Quebecor, 49 % pour vous, et
je veux 156 millions de dollars. That’s it ! ”
M. Maxwell
réagit avec vigueur à cette proposition tout à fait inacceptable. Il
éleva le ton et la discussion se prolongea ainsi pendant quelques heures ;
il voulait une association moitié-moitié et n’en démordait pas. M. Péladeau
non plus.
“ Ma proposition
est 51/49, pas 50/50. Est-ce assez clair ? C’est à prendre ou à laisser ”,
dit Péladeau.
Ils discutèrent
encore un peu, puis, exaspéré, Pierre Péladeau se leva et sortit. Ce fut
fini. Robert Maxwell eut beau lui dire : “ Non, non, reste, on va discuter
”, M. Péladeau était déjà devant l’ascenseur. You miss a deal, you get a
deal !
Finalement
Robert Maxwell courut derrière M. Péladeau dans le corridor et le ramena
dans la suite. Il finit par accepter l’offre initiale du patron de Quebecor,
et il investit 156 millions de dollars.
Par la suite, Robert
Maxwell lui téléphona deux fois par jour de Londres. Quelques semaines
plus tard, M. Maxwell l’appela en catastrophe parce que l’usine Donohue
n’avait plus de président, et que M. Péladeau avait décidé de nommer
Charles-Albert Poissant. M. Maxwell n’était pas d’accord parce qu’à son avis
M. Poissant ne connaissait rien au papier. Il s’opposait à cette nomination,
et il s’énerva un peu au téléphone. M. Péladeau coupa court à ses hauts cris
en lui rappelant que lui non plus ne connaissait rien au papier lorsqu’il
avait accepté d’investir son argent dans cette usine. Il lui mit aussi les
points sur les “ i ” :
“ En passant,
j’aimerais qu’une fois pour toutes tu n’oublies pas que je possède 51, et
toi 49 %. Prends-en bonne note. C’est moi qui suis le patron. Poissant sera le
prochain président de Donohue ! ”
* * *
J’ai personnellement
rencontré M. Maxwell à trois reprises. Le personnage était hors du commun.
D’une corpulence imposante, intriguant, presque mythique, il dégageait
un magnétisme très intense.
M. Péladeau
s’entendait bien avec M. Maxwell, si ce n’est qu’il dut lui rappeler, à
quelques reprises, que Quebecor était un partenaire majoritaire. Il considérait
également que M. Maxwell était un allié précieux, un passeport lui facilitant
un accès assuré au marché mondial. M. Maxwell était en quelque sorte
une vedette, une attraction en soi, que M. Péladeau avait accueilli, à quelques
reprises, à sa résidence de Sainte-Adèle et à Montréal. M. Péladeau
aimait frayer avec l’élite et M. Maxwell en faisait partie.
Lorsque que
Robert Maxwell est mort, en novembre 1991 à l’âge de 68 ans, j’ai annoncé la
nouvelle à M. Péladeau. Il était convaincu que son associé dans Donohue
avait été assassiné. Pour lui, la thèse du suicide n’était absolument pas
envisageable ; il avait toujours perçu M. Maxwell comme un bon
vivant, un optimiste, un être courageux qui aimait la vie et qui savait en
profiter. Rappelons que Robert Maxwell avait été porté disparu à la suite
d’une sortie en mer sur son yacht, Lady Ghislaine, dans la région des
Açores. Son corps fut repêché quelque temps après sa disparition. L’enquête
qui suivit révéla sa situation financière. À peu près tout le monde s’était
laissé duper par Robert Maxwell. Les circonstances entourant son décès ne
furent jamais élucidées. Pierre Péladeau s’en sortit bien : comme actionnaire
majoritaire, il ne perdit aucun pouvoir et, en plus, il fut en mesure de
racheter la part de son défunt associé.
* * *
Un autre exemple
du détachement que Pierre Péladeau éprouvait dans un processus de négociation
est celui qu’il afficha à l’égard du Toronto Sun en juin 1996. Il avait
déjà vécu deux échecs dans l’exploitation de quotidiens de langue
anglaise, mais l’achat du Toronto Sun reposait sur des éléments complètement
différents. Dans les cas du Philadelphia Journal et du Montreal
Daily News, il fallait créer les journaux à partir de rien.
Ces deux échecs
lui avaient prouvé qu’il était préférable d’acheter une entreprise déjà
opérationnelle, même si elle était en déficit, avec des employés, de l’équipement,
un roulement et, surtout, une liste de clients. Il pouvait réorganiser
les finances et la gestion pour la rendre rentable. Dans cette perspective,
le Toronto Sun était une occasion intéressante et, qui plus est,
incluait le MacLean Hunter, déjà imprimé chez Quebecor, ainsi que le
magazine L’Actualité avec lequel il avait eu un différend.
Ted Rogers voulait
se départir du Toronto Sun parce qu’il avait besoin de liquidités
pour développer d’autres secteurs. Il cherchait un acheteur et un bon
prix. Pierre Péladeau, comme toujours, avait fait ses devoirs en vue de cette
transaction. Avec ses experts en finance, il avait calculé le prix maximum
qu’il voulait payer, compte tenu des coûts de restructuration, soit 12,75
$ l’action. Dès l’acquisition, il devait abolir environ 500 postes pour
mettre en œuvre le plan de relance.
M. Péladeau voulait
acquérir le Toronto Sun, car cette entreprise devait lui permettre une
percée rapide dans le marché canadien-anglais, mais il n’était pas seul dans
la course. Les employés de l’entreprise ontarienne avaient également fait
une offre s’élevant à 16 $ pour protéger leur emploi et éviter les licenciements
préconisés par Quebecor.
C’est à ce
moment que la journaliste Diane Francis, née à Chicago et vivant à Toronto,
entra en scène. Elle publia un article haineux sur Quebecor en général et
sur M. Péladeau en particulier, dénonçant l’achat d’une institution
comme le Toronto Sun par un French Canadian, nationaliste de
surcroît. Elle qualifia ce projet d’acquisition de tragédie ! Elle lui
consacra aussi la première page du Financial Post. Elle venait
d’ajouter un aspect politique au geste financier. Il était inacceptable
de céder un fleuron de l’édition canadienne à un Québécois.
Cette campagne
de salissage en règle n’était pas sans rappeler le cas de Robert Campeau
qui avait voulu, quelques années auparavant, acquérir la majorité des
actions d’une banque de longue tradition anglaise. Il avait également
subi les foudres d’opposants férocement francophobes. Campeau n’était
pas Québécois, il était né en Ontario, mais il était de langue maternelle
française.
À un certain
moment, l’aspect politique a nettement pris le dessus dans le traitement
de cette affaire du Toronto Sun. Pierre Péladeau était prêt à se battre
pour le principe et aurait pu présenter une offre supérieure pour montrer
qu’il pouvait gagner. Il en avait largement les moyens. En dépit de la provocation
et malgré la tentation, il refusa de dépasser le montant maximum qu’il
s’était fixé. Il renonça au projet.
Au-delà du prix
offert initialement à Rogers, M. Péladeau considérait que l’acquisition
n’était plus viable. L’avenir lui donna raison, car les employés durent
vendre en octobre 1998. Curieusement, ce fut Pierre-Karl Péladeau qui
acheta l’entreprise. Lui aussi dut faire face aux foudres de Diane Francis,
mais il réussit à s’imposer et à remporter la victoire. Il affirma, un
peu pour narguer Mme Francis après la signature : “ C’est un
grand jour pour le Canada. ”
Mais en 1996, ce
n’était plus une bonne affaire pour Pierre Péladeau et il recula. Voilà comment
réagissait M. Péladeau dans ses deals : aucune émotion, aucun attachement
n’influençait son jugement. C’était une différence majeure entre lui et
Robert Campeau, par exemple. Ce dernier connut une descente aux enfers en
se laissant guider par l’orgueil : une décision qu’il paya très cher lors
de l’acquisition de Federated Stores.
Pierre Péladeau
sut gérer ses ambitions selon ses moyens.
* * *
Un autre projet
d’acquisition que je vécus aux côtés de Pierre Péladeau fut celui du réseau
de Télévision Quatre-Saisons, en avril 1997.
Ce fut Jean-Luc
Mongrain, animateur et producteur bien connu, qui aborda Pierre Péladeau
pour l’intéresser à l’achat de Télévision Quatre-Saisons. M. Mongrain voulait
faire une offre d’achat, mais il n’avait pas tout le financement requis. Il
cherchait un partenaire. M. Péladeau avait déjà refusé d’acheter
Télé-Métropole parce qu’il avait trouvé le prix trop élevé à l’époque. En comparaison,
le prix demandé pour TQS était une aubaine à ses yeux. Il accepta donc de prendre
part au processus d’acquisition en compagnie, au départ, de Jean-Luc Mongrain,
qu’il aimait bien. Mais ce dernier dut se retirer du projet en cours de
route. Il avait une entreprise de production privée qui le plaçait dans
une situation délicate, et il préférait demeurer producteur plutôt que
de devenir propriétaire.
Pierre Péladeau
décida de continuer les démarches sans M. Mongrain. Pour la première fois,
il dut convaincre non seulement le vendeur de lui céder TQS au prix offert,
mais il lui fallut aussi obtenir la permission du Conseil de la radiodiffusion
et des télécommunications canadiennes (CRTC) pour entériner cette acquisition.
Ce fut une nouvelle expérience pour lui, car il négociait habituellement
avec le secteur privé. Il a toujours dit qu’il n’aimait pas les contrats
gouvernementaux parce qu’il y avait trop de paperasserie. De plus, il a
toujours voulu garder ses distances face à la politique.
Mais pour réussir
cette acquisition, il mit de l’eau dans son vin et, surtout, il modéra ses
ardeurs et ses déclarations publiques, contrairement à ce qu’il avait
fait dans le cas du Toronto Sun.
Pierre Péladeau
s’entoura dès le départ de personnes clés pour le conseiller et l’appuyer
dans ses démarches, dont Franklin Delaney. Cet ancien propriétaire de stations
de radio, originaire des Îles-de-la-Madeleine, avait l’expérience des agences
gouvernementales en plus d’une solide connaissance de la radio et de la
télévision. En 1973, lorsque le CRTC avait offert un permis pour une
seconde station de télévision à Montréal, c’était Delaney qui en était
devenu le propriétaire.
En 1997, Franklin
Delaney prit la direction du consortium formé de partenaires de calibre
pour composer le consortium TQS. Le partage des actions était le suivant
: Quebecor 58,5 %, Cancom 19,5 %, Cogeco 20 %, Radio-Nord 1 %,
Radio-Saguenay et Télévision MBS 0,5 % chacun. Le président et chef de la
direction de Quebecor s’engagea toutefois devant le CRTC à ne pas siéger au
conseil d’administration du consortium.
L’offre d’achat
fut officiellement acceptée par Vidéotron le 11 avril 1997, jour du 72e
anniversaire de naissance de Pierre Péladeau. Le prix payé fut de 24
millions de dollars plus une somme du fonds de roulement évaluée à 9
millions de dollars, pour un total de 34 millions de dollars. Le réseau
Quatre-Saisons fut un cadeau personnel que s’offrait Pierre Péladeau pour se
rapprocher encore plus des artistes et de la culture. Après son journal,
il avait maintenant sa télévision. Cette acquisition constitua une sorte
de second début et un retour vers ses passions des premiers jours. Il voulut
participer aux activités de la station, mais il se montra toutefois
prudent. Il suggéra, notamment, l’embauche de Michel Jasmin qu’il qualifiait
de “ Larry King ”, ainsi que celle d’Andrée Boucher. Le directeur de la programmation
ne fut cependant pas d’accord… La télévision n’était pas le domaine de compétence
de M. Péladeau, et la convergence avec ses autres médias ne l’inspirait
pas. Il a acheté TQS pour se faire plaisir tout en calculant le risque.
C’était son cadeau de fête disait-il, mais il fallait aussi qu’il soit rentable.
Ceux qui, comme
moi, ont participé au processus de négociation avec M. Péladeau
étaient aussi excités que lui par ce nouveau défi. Il fallait maintenant
obtenir l’autorisation du CRTC, et ces audiences ont été préparées avec
grand soin. Par mesure de précaution, Pierre Péladeau refusa toute entrevue
avec les médias jusqu’au moment où le CRTC rendit sa décision, soit le 22
août 1997. L. Yves Fortier, avocat et président de la firme Ogilvy, représenta
Quebecor et eut pour défi de prouver qu’il n’existerait aucun monopole de
l’information, même si Quebecor était également propriétaire de journaux
à Québec et à Montréal. Me Fortier est le plus grand plaideur
que j’ai eu le plaisir de regarder travailler. Un véritable virtuose. Le
consortium nomma P. Wilbrod Gauthier à titre de président du conseil
et Franklin Delaney à titre de président-directeur général de l’entreprise.
TQS fut la dernière
acquisition de Pierre Péladeau avant sa mort.
* * *
L’intérêt de
Pierre Péladeau pour les médias électroniques ne se tournait pas uniquement
vers la télévision. Quelque temps auparavant, en septembre 1995,
Jean-Pierre Coallier, animateur bien connu et homme d’affaires, avait aussi
abordé Pierre Péladeau pour inviter Quebecor à devenir partenaire dans
son projet de créer, à Montréal, une station radiophonique diffusant
uniquement de la musique classique.
“ Monsieur P.
” et ce genre de station allaient naturellement de pair. L’Orchestre
métropolitain et le Pavillon des Arts auraient aussi pu profiter directement
des retombées. Je pilotais le dossier du côté de Quebecor et j’ai bien
tenté de convaincre Pierre Péladeau. Mais il fallait bâtir l’entreprise à
partir de rien. M. Péladeau aurait préféré une station de musique classique
déjà existante. C’est avec regret et avec une certaine tristesse que j’ai dû
décliner cette offre, au nom de mon patron. M. Péladeau trouvait que le
rendement était étalé à trop long terme selon ses critères, mais il aimait
le projet. Encore une fois, il laissait ses émotions de côté, pour prendre
une décision réfléchie.
Dans ce cas-ci,
Pierre Péladeau s’est toutefois trompé. Jean-Pierre Coallier a inauguré sa
station le 25 juin 1998, et le succès a été immédiat. La station
CJPX-FM diffuse principalement de l’île Sainte-Hélène à Montréal, mais
dispose d’un deuxième studio installé à la Place des Arts. Selon les sondages
de décembre 2002, la station compte plus de 468 000 auditeurs et diffuse 24
heures sur 24. Même Pierre-Karl Péladeau dit écouter cette station…
* * *
Pierre Péladeau
fut un entrepreneur dans l’âme et il le resta jusqu’à sa mort. Si ses projets
pouvaient être de grande envergure, certains étaient de la taille d’une PME.
Il s’y appliquait cependant avec la même ardeur, qu’ils soient petits ou
grands.
En octobre 1994,
je vécus avec M. Péladeau la création d’un journal, littéralement à partir
du coin de son bureau.
Il avait toujours
considéré Rémi Marcoux comme une sorte de concurrent, surtout que ce dernier
avait fait ses classes chez Quebecor. M. Péladeau avait décidé de lancer
un journal pour s’attaquer de front au journal Les Affaires. Pour y
arriver, il a redonné vie à une ancienne publication qui ne paraît plus
depuis quelque temps.
La publication
Parlons affaires fut conçue sous forme d’encart et distribuée dans
le réseau des hebdomadaires de la région des Laurentides. Ce journal
présentait des reportages sur des entreprises locales selon la méthode des
publireportages. M. Péladeau voulut changer légèrement la formule :
les articles seraient payés par les fournisseurs de l’entreprise, et non
par l’entreprise elle-même. Ainsi, lorsque l’on faisait un reportage sur
Bombardier, on demandait à cette entreprise de fournir une liste des fournisseurs
auxquels on vendait des annonces. Formule simple, mais qui se révéla drôlement
efficace.
M. Péladeau
aimait bien l’idée de son nouveau projet. Il considérait qu’il posait
ainsi un geste concret pour promouvoir l’entrepreneurship régional.
Il entreprit
donc de publier un format de 32 pages sur papier journal. Il ne voulait pas
trop dépenser pour ce projet et il envisageait de le gérer prudemment à
partir de son bureau. Pour les premières éditions, il décida lui-même des
titres des reportages et il m’avait demandé, très gentiment, d’écrire des
articles dans mes temps libres. Ce n’était rien de bien compliqué, et il
était tellement content de “ se faire la main ” sur sa nouvelle invention
que j’y ai participé de bon cœur. Diane Bougie, ancienne directrice aux hebdomadaires,
s’occupait quant à elle de recruter les clients.
Il avait aussi
demandé la collaboration ponctuelle de quelques secrétaires. On aurait
dit qu’il ne pouvait jamais résister à la tentation de tester ses capacités,
de voir s’il allait encore réussir.
Il fallait me
voir recevoir les annonceurs dans mon bureau, les écouter, prendre leur
matériel publicitaire et les rediriger rapidement vers la sortie, car
je n’avais que deux minutes à leur consacrer. Entre deux coups de fil et
l’accomplissement de mes tâches quotidiennes, j’essayais de rassembler
des articles à partir des dépliants d’entreprises que me remettaient les
annonceurs que Diane Bougie avait réussi à convaincre. M. Péladeau
venait à mon bureau, tout heureux, et il écrivait les titres avec un crayon
rouge entre deux rendez-vous. Parlons affaires était ensuite distribué
gratuitement dans la région des Laurentides et de Laval. La seule dépense
était le papier. Les locaux ne coûtaient pas cher ; il se servait du coin de
son bureau et du coin du mien. S’il avait affirmé que Le Journal de Montréal
avait été fait à partir d’une table de cuisine, son Parlons affaires
était une affaire de coins de bureaux.
Nous avions
l’air d’un groupe d’étudiants s’adonnant à une activité parascolaire entre
les cours. Je prenais l’expérience avec un grain de sel et je me disais que
Parlons affaires s’éteindrait tout seul au bout de quelques mois,
et, qu’enfin, je pourrais consacrer tout mon temps à mes tâches
habituelles.
C’était bien mal
connaître Pierre Péladeau. J’ai vraiment pu voir à l’œuvre cet artiste du
monde des affaires avec cette fantaisie du Parlons affaires. Évidemment,
il n’avait pas à soutenir les dépenses d’exploitation ordinaires, mais
les ventes donnaient des résultats étonnants. Après le troisième numéro,
les ambitions de M. Péladeau ne ralentissaient pas ; au contraire, il
décida d’embaucher un premier vendeur pour la publicité. Marc Saint-Louis,
jeune avocat, fils du juge Saint-Louis, et frère jumeau de Martine, fut l’heureux
élu et le premier vendeur officiel en titre de Parlons affaires.
M. Péladeau
n’avait jamais besoin d’aller très loin lorsqu’il avait besoin de
personnes-ressources ; il se trouvait toujours quelqu’un qui connaissait
quelqu’un dans son entourage.
“ Monsieur P.
” continua d’écrire les titres et, de mon côté, en plus d’abouter le contenu
des articles, je fus promu éditorialiste !
Le journal se
vendait de mieux en mieux Au sixième mois, les ventes avaient atteint une
telle stabilité que nous pouvions dès lors embaucher un journaliste à la
pige, ainsi qu’un deuxième vendeur. Quant à moi, je demeurais l’éditorialiste
et le journaliste de remplacement.
Graduellement,
le personnel habituel du 11e étage du 612 de la rue Saint-Jacques
a vu les bureaux envahis par des gens jusqu’alors inconnus qui venaient travailler
pour cette publication inusitée qu’était Parlons affaires. Personne
n’en croyait ses yeux. Ce petit projet, parti de rien, était devenu un
employeur de plus en plus important. M. Péladeau recevait régulièrement
des coups de fil d’amis qui lui envoyaient des candidats qui se cherchaient
du travail, et qui s’intéressaient à Quebecor.
Il les envoyait
à Parlons affaires et en faisait des vendeurs. Il était infatigable.
Il citait très souvent l’adage : “ Si tu veux aider quelqu’un qui a faim, ne
lui donne pas un poisson, apprends-lui plutôt à pêcher ! ”
Non seulement
son ambition grandissait en voyant fructifier son passe-temps, mais en
plus il nous communiquait son enthousiasme. À un point tel que les employés
de Parlons affaires sont devenus si nombreux qu’il fallut les loger
dans un espace aménagé dans un autre édifice situé au 801 de la rue Sherbrooke.
Vous l’aurez
deviné, l’objectif était maintenant que le projet vole de ses propres
ailes. Il fallait que Parlons affaires absorbe tous ses frais d’exploitation.
La plupart des
vendeurs embauchés ne connaissaient rien à la vente. Ils venaient de secteurs
complètement différents ou étaient diplômés dans un autre domaine. Pierre
Péladeau les encadrait et leur inculquait son savoir. Il les payait à
commission. En appliquant les leçons de M. Péladeau, certains ont
récolté plus de 60 000 $ par année.
L’équipe de
représentants publicitaires dirigée par Diane Bougie a vu défiler des
gens très dynamiques. Je me souviens de quelques noms : Rita Fortin,
Daniel Blanchette, frère de Manon Blanchette, Martin Leduc, Carole Leblanc
qui est aujourd’hui directrice chez Auto Classic de Laval (Mercedes),
Ginette Brault, Richard Marcil, Marie-Chantale Dion et un jeune homme que M.
Péladeau aimait beaucoup et qui avait grandi près de chez lui à Sainte-Adèle,
Stéphane Mastreo Polo.
Parlons
affaires était devenu une petite PME au sein d’un
empire.
À la mort de
Pierre Péladeau, dans la foulée de la restructuration qui s’ensuivit, Parlons
affaires devait malheureusement disparaître. Le grand mentor
n’était plus là pour veiller sur sa création.
Mais ceux qui
sont passés par l’école de Parlons affaires ont bien tiré parti de l’expérience.
L’un de ceux-là, Stéphane Maestro, a décidé de relancer le journal abandonné
par Quebecor et il a créé son mensuel, La Réussite, inspiré de la
formule de Pierre Péladeau.
La Réussite a débuté ses
activités à l’été de 1998 et est publié mensuellement depuis. Il est distribué
à Montréal et à Québec, et tire à plus de 35 000 exemplaires. On peut
l’obtenir en kiosque ou par abonnement. Comme une bonne habitude ne se
perd pas facilement, j’en signe, depuis les débuts, à la page quatre, la
chronique des bonnes nouvelles et des activités mondaines se déroulant
à Montréal.
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CHAPITRE 8
Pierre Péladeau
et ses femmes
Il est pratiquement
incontournable, pour arriver à tracer un portrait intime de Pierre Péladeau,
de parler des relations qu’il entretenait avec les femmes. Il s’agit, bien
évidemment, d’un sujet délicat parce qu’il touche de plus près la vie privée
de mon ancien patron. Sa vie amoureuse faisait partie de la zone d’autoprotection
que j’avais déterminée dès le départ et que j’évitais de franchir. C’était
une question d’échange de bons procédés entre patron et adjoint. Mais il fallait
être aveugle pour ne pas voir qu’il avait une vie amoureuse bien remplie.
À l’occasion
d’un petit déjeuner que je prenais en sa compagnie, chez lui à
Sainte-Adèle, il s’était laissé aller à me parler de sa vision de l’amour.
Il croyait qu’il
était impossible de passer sa vie avec une seule et unique personne.
Il avait commencé
par me dire : “ Tu as certaines choses à donner à l’autre, mais tu dois en
recevoir aussi. Lorsque tu n’as plus rien à donner ou que tu ne reçois plus
rien, il devient inutile de poursuivre la relation. ”
Il disait que
deux êtres qui s’aiment doivent inévitablement échanger des quantités
égales d’amour.
“ Tant que ton
conjoint te donne ce dont tu as besoin et qu’en retour tu donnes à l’autre
ce dont il a besoin, on est amoureux. Autrement, c’est fini. C’est mieux d’aller
voir ailleurs, parce qu’il y en a un des deux qui sera malheureux. ”
Il était persuadé
que les couples qui sont ensemble depuis longtemps ne s’aiment plus
d’amour. Pour lui, l’amour était comme un feu qui finit par s’éteindre, un sentiment
qui se consume. Il faut alors aller vers quelqu’un d’autre qui ravive la
flamme, jusqu’à la prochaine fois.
Pierre Péladeau
a connu beaucoup de femmes dans sa vie, et d’après ce que j’ai pu constater,
il avait une admiration pour les femmes en général. Sa vision de la femme
était universelle. On dit que chaque être humain a toujours un peu du sexe
opposé en lui. Il est certain que Pierre possédait un côté féminin, ne
serait-ce que pour son instinct, son goût pour le raffinement et la beauté.
M. Péladeau
était très possessif envers ses femmes. Il y avait toujours beaucoup de
femmes autour de lui. Il ne pouvait vivre sans une présence féminine.
Parmi le personnel
de Quebecor, M. Péladeau réussissait plus facilement à établir une
relation amicale avec une femme qu’avec un homme. Je dirais que les relations
qu’il entretenait avec certains cadres de sexe féminin tenaient presque de
la relation père-fille. Il devenait ami avec elles, et c’était comme si elles
devenaient ses filles. La compagnie des femmes le mettait à l’aise. À l’opposé,
il tenait généralement à distance les hommes. Il montrait une sorte de
pudeur au chapitre des sentiments. Il pouvait entretenir des relations
d’affaires très intenses avec des hommes, mais elles n’étaient jamais teintées
de l’intimité qu’il aurait partagée avec les femmes pour les mêmes dossiers.
Il gardait ses rapports avec les hommes, ses cadres par exemple, sur un
plan plus professionnel que personnel. Ils travaillaient ensemble, remportaient
des succès dans leur spécialité respective, mais il était très rare qu’il
soit vraiment intime avec eux. Par contre, il pouvait facilement ouvrir
son âme à son personnel féminin.
Contrairement
à ce que l’on a véhiculé à son sujet, il ne considérait pas la femme comme
un objet. Il la voyait plutôt comme une force de la nature et une richesse
dans l’univers. La sexualité de Pierre Péladeau n’était pas animale, elle était
intellectuelle. Il cherchait toujours une forme de spiritualité dans ses
relations amoureuses.
M. Péladeau
avait sa propre philosophie en ce qui concerne le genre de relation qu’il
entretenait avec les femmes. Il croyait qu’il cherchait sa mère Elmire chez
toutes les femmes. Il en parlait très souvent. Elmire avait une forte personnalité
et elle était autoritaire. Comme il était le cadet de la famille, il a grandi
presque seul avec elle. Ses frères et sœurs aînés ont quitté la maison alors
qu’il était encore très jeune. Elmire s’est consacrée à son fils Pierre, mais
elle était froide et peu démonstrative selon les dires de M. Péladeau. Il
racontait qu’elle ne l’avait jamais pris dans ses bras ni embrassé, sauf cinq
fois sur le front, et il les avait comptées. Il avait manqué d’affection
maternelle, toujours selon lui. Mais, au début du siècle, ce n’était pas non
plus très courant dans une famille bourgeoise de montrer ouvertement de
l’affection pour les enfants. Les relations parents-enfants étaient très austères.
La plupart du temps, les enfants étaient plus près de leur nourrice ou de
leur tuteur que de leurs parents. On pensait que les enfants allaient ainsi
développer une plus grande force de caractère.
Comme Henri, le
père, était déjà ruiné à la naissance de Pierre, la famille Péladeau n’avait
plus de bonnes, de chauffeurs ni de majordomes. L’éducation bourgeoise
était cependant bien présente. Lorsque son père mourut, Pierre n’avait que
10 ans. Elmire hérita seule de la charge de la famille et de l’éducation de
ses sept enfants. Elle sortait peu, mais elle était très cultivée. Elle
aimait jouer aux cartes avec ses amies, à condition de gagner. M. Péladeau
racontait dans ses discours, car il aimait la citer, que la mise de leurs
parties de cartes ne dépassait pas les 10 cents. Mais si elle perdait, elle
pouvait être de mauvaise humeur toute la semaine, jusqu’à la partie suivante
où elle comptait bien se rattraper. Elle était indépendante pour son époque
; elle fumait, prenait religieusement son petit verre de gin quotidien et
adorait le chocolat.
Elmire était une
ancienne maîtresse d’école. Elle avait l’habitude de taper sur son pupitre
pour se faire écouter. Elle n’acceptait pas qu’on la contredise. Elle
était très sévère ; au point de traumatiser le jeune Pierre. Il l’a longtemps
détestée. Elle ne pliait jamais. Orgueilleuse, elle n’acceptait pas la
défaite ; elle jouait pour gagner. Pierre Péladeau en a fait sa devise.
À l’âge adulte,
alors qu’il débutait en affaires et réussissait plutôt bien, sa mère l’idolâtrait.
Elle s’intéressait à tout ce qu’il entreprenait et lui donnait des conseils.
Elmire a toujours reproché à son mari de ne pas l’avoir écoutée lorsque ce
dernier s’est lancé dans un projet qui allait le ruiner en quelques années.
Même après son mariage, M. Péladeau rendait visite à sa mère tous les soirs,
ce qui était très rare chez les hommes des années 1950. M. Péladeau a souvent
répété qu’à maintes reprises, lorsqu’il était dans l’incertitude ou qu’il
était désemparé, il allait voir Elmire.
En entrevue, un
journaliste lui avait demandé si sa mère était la femme qu’il avait aimée le
plus dans sa vie, et il avait répondu :
“ Sans aucun
doute. Et c’est pourquoi j’ai toujours eu beaucoup de difficulté à répondre
à l’amour. J’ai cherché ma mère très longtemps, pour ne pas dire que je la
cherche encore ! Enfin, je la cherche un peu moins, mais je ne l’ai jamais
trouvée. Ma mère était vraiment extraordinaire. Je m’assoyais devant elle
et elle m’admirait. Je le voyais dans ses yeux, et j’adorais ça ! J’aurais
pu lui dire n’importe quoi, elle m’aurait cru ! ”
De là, peut-on
dire que la nature de ses relations avec les femmes s’est fondée sur celle
qu’il entretenait avec Elmire ? Il l’avançait lui-même. Il ne s’est jamais
caché non plus de l’admiration sans bornes qu’il lui vouait. Il confiait
également que la seule fois de sa vie où il pleura, ce fut à la mort de sa
mère.
Il recherchait
la femme idéale. Sa décision d’épouser Raymonde Chopin, sa première femme, fut
prise rapidement. Il connaissait très bien son père qui lui avait par
ailleurs prêté l’argent pour acheter sa première imprimerie avec Paul
Desormiers et Jean-Jacques Mercier, deux autres partenaires. M. Chopin
décida d’aller vivre en Europe, mais il était inquiet à l’idée de laisser sa
fille seule.
Pierre Péladeau
s’entendait bien avec Raymonde Chopin. Pour rassurer M. Chopin, Pierre
proposa à Raymonde, à trois jours d’avis, de l’épouser la veille du départ de
son père. Elle accepta sa demande. Le matin de la cérémonie, M. Péladeau se
rendit à l’imprimerie et se plongea dans le travail. Il en oublia le
temps qui filait. Le prêtre qui bénissait l’union lui téléphona et l’enguirlanda.
Pierre Péladeau fonça en direction de l’église et arriva avec 45 minutes de
retard. Mme Chopin lui en voulut longtemps. Plusieurs années
plus tard, M. Péladeau apprit que son père aussi était arrivé 45 minutes
en retard à son mariage. De la façon dont Pierre Péladeau nous a décrit le
caractère de sa mère, on peut supposer qu’il dut y avoir quelques étincelles.
Dans l’une de
ses entrevues, Pierre Péladeau confia qu’il n’était pas vraiment amoureux
de sa première femme. Il se sentait bien avec elle, mais à cette époque il
n’avait qu’une chose en tête : faire de l’argent, beaucoup d’argent. Le
mariage était secondaire. Mme Chopin, elle, l’aimait. Elle a toujours
eu beaucoup d’affection pour lui. Elle voyait un peu de son père en lui. M.
Chopin était médecin à l’hôpital Sainte-Justine. Il avait un horaire de travail
stable ; tous les soirs, il était à la maison à 5 heures. Elle a cru que la
vie avec son nouvel époux serait identique. Malheureusement, Pierre Péladeau
était complètement absorbé par son travail. Il partait très tôt le matin
et ne rentrait que très tard le soir… lorsqu’il rentrait. C’était l’époque
où il consommait de plus en plus d’alcool. Il perdait la notion du temps et
de la réalité. Il lui arrivait souvent de rester coucher au bureau dans le
but de terminer un travail.
Lorsqu’il a
cessé de boire, en 1974, il a compris combien Mme Chopin avait dû
être malheureuse et se sentir seule. Elle est tombée malade au début des
années 1960, atteinte d’un glaucome. Les médecins ne trouvèrent aucun
traitement pour la guérir ni même la soulager.
Croulant toujours
sous le poids du travail, Pierre Péladeau décida de faire traiter son épouse
dans l’une des meilleures cliniques du monde, en Suisse. Il était convaincu
qu’elle y recevrait des soins adéquats et qu’elle y serait mieux traitée.
Elle succomba à l’âge de 47 ans, en l’absence des siens.
Ce fut un déchirement
profond qui marqua M. Péladeau le reste de sa vie.
Il répondit une
fois à un journaliste : “ Je regrette beaucoup de choses. Il y a des choses
dans la vie que je ne referais pas : l’alcool en premier, avec tout ce que
ça implique. ”
Dans les années
qui suivirent la disparition de sa première épouse, Pierre Péladeau ne
changea pas ses habitudes de travail, mais il devint sobre. Il ne reprit
plus une goutte d’alcool jusqu’à la fin de sa vie.
* * *
Dans la vie de
Pierre Péladeau, il y eut quatre catégories de femmes : ses “ femmes-sœurs
” ; ses “ femmes-filles ”, ses “ femmes-amoureuses ” et ses “ femmes
ex-amoureuses ”.
Les “
femmes-sœurs ” étaient pour ainsi dire de véritables sœurs pour lui. Il n’y
avait aucun volet sexuel ou amoureux dans leur relation. Il éprouvait un
grand respect pour elles et beaucoup d’affection. Il se confiait à elles
sur tous les sujets, personnels ou professionnels. Il avait avec elles une
exceptionnelle complicité. Ils ne se rencontraient qu’en privé, rarement
au bureau.
Je peux en nommer
quelques-unes que j’ai connues comme Gisèle Ducap, voisine qu’il aimait énormément.
Lorsqu’il était souffrant, elle lui apportait des soupes. Il lui a confié
la direction du Pavillon des Arts de Sainte-Adèle dès l’ouverture et durant
plusieurs années ensuite.
Solange Harvey,
chroniqueuse au Journal de Montréal, maintenant à la retraite,
était une autre de ces précieuses amies. Ils se connaissaient depuis longtemps.
Il l’avait rencontrée lorsqu’elle traversait une période difficile et ils
s’étaient entraidés. Ce qui avait commencé par un simple voisinage s’est
transformé en grande amitié. Ils échangeaient à propos des relations
homme-femme. Mme Harvey, qui a tenu pendant des années un courrier
du cœur sur le sujet, pouvait donner de judicieux conseils à son ami. M.
Péladeau n’était pas toujours d’accord avec elle, mais une fois le débat
clos, ils redevenaient de bons amis.
Pierre Péladeau
croyait à l’astrologie et aux sciences ésotériques en général. Il
s’était ainsi lié d’amitié avec quelques astrologues dont Jacqueline Aubry
et Andrée d’Amour. Il les appelait régulièrement pour leur demander si
c’était une journée propice ou non pour les décisions importantes. Il
était très superstitieux. Pour lui, le chiffre 13 était signe de chance. Il
avait établi son bureau au 13e étage, et les vendredis 13 étaient
des jours favorables.
Il y avait aussi
Jacqueline Vézina que Pierre Péladeau aimait bien et avec laquelle il échangeait
des confidences. Mme Vézina avait connu M. Péladeau à ses
débuts en affaires, et leur amitié s’est poursuivie jusqu’à la mort de ce
dernier.
Dans le deuxième
groupe, il y avait les femmes qu’il considérait comme ses “ femmes-filles
”, généralement des employées à son service. Il se comportait avec elles
comme s’il voulait les protéger de la vie ; il s’inquiétait pour elles, il
voulait leur bien, être leur mentor. Avec celles-ci également, il n’y avait
aucun volet sexuel ou amoureux. C’était plutôt comme s’il voulait les prendre
sous son aile pour leur apprendre à voler. Souvent, ces femmes faisaient
partie de son personnel cadre. Quelques-unes travaillaient dans d’autres
entreprises. Il prenait à cœur leur réussite. Leur âge respectif variait
entre 25 et 50 ans. Il les voyait comme des entrepreneuses et les poussait
toujours vers le sommet. Martine Saint-Louis est très certainement la “
femme-fille ” en qui il avait le plus confiance.
Il accordait
parfois d’importantes responsabilités à ses “ femmes-filles ” dans
l’entreprise. Pour donner un exemple de l’attachement qui pouvait se
nouer entre elles et lui, Antoinette Noviello, jeune avocate et adjointe du
personnel juridique de Quebecor, apporta une rose sur son bureau, tous
les jours, du 2 au 24 décembre 1997.
Dans un autre
groupe, bien à part, Pierre Péladeau gardait jalousement ses “
femmes-amoureuses ”. Il entretenait simultanément plusieurs liaisons,
car l’amour n’existait pas selon sa philosophie. Il existait des “ moments
d’amour ”.
Il était beaucoup
sollicité et il choisissait les femmes avec lesquelles il voulait partager
un peu de sa vie. Assez étrangement, même si chacune d’elles savait qu’elle
n’avait pas l’exclusivité, aucune n’aurait cédé sa place.
Inévitablement,
le personnel immédiat était au courant de ses différentes liaisons. Les
femmes venaient rejoindre le grand patron au bureau, ou encore elles l’accompagnaient
à des concerts ou à des événements spéciaux. Avec le temps, nous avons fini
par les connaître toutes, mais nous essayions toujours d’être très discrets.
Il pouvait
entretenir une relation intime avec sept femmes simultanément, fréquentant
chacune selon les événements ou selon son humeur. Chacune des “
femmes-amoureuses ” avait une personnalité différente et il les aimait
pour ce qui les différenciait. Ces liaisons n’étaient pas éphémères ; certaines
ont duré tout au long des sept années que j’ai passées à son service.
Il y avait une
continuité dans son réseau d’amoureuses. Lorsque l’une d’entre elles le
quittait ou qu’il se lassait, il en trouvait une autre pour prendre la
place. Ce n’était pas de la compétition. Les liens s’établissaient naturellement
après une rencontre. Si la dame lui plaisait et s’ils s’entendaient bien,
ils se revoyaient, et elle faisait alors partie de son réseau. Par contre,
s’il revenait déçu d’une sortie, elle n’entendait plus parler de lui.
Lorsqu’une de
ses conquêtes voulait mettre un terme à leur liaison et qu’il n’était pas
d’accord, il s’accrochait, exerçant ses dons de séducteur. Parfois, la “
femme-amoureuse ” cédait et la relation reprenait pour un autre bout de chemin.
Lorsqu’il était
en compagnie d’une “ femme-amoureuse ”, il n’était qu’avec elle, lui consacrant
tout son temps, laissant de côté les affaires et les préoccupations. Elle
devenait le centre de l’univers pour le temps de leur rencontre. Le lendemain,
il retournait à son travail ou à une autre femme.
La plupart du
temps, ils se retiraient dans l’intimité de sa maison à Sainte-Adèle, mais
il n’hésitait pas à s’afficher publiquement avec les femmes qu’il
aimait. Parfois, il poussait l’audace jusqu’à inviter deux d’entre elles
à la même réception, et à les présenter l’une à l’autre, sans les identifier
comme ses amoureuses. Mais elles n’étaient pas dupes. Cette audace donna lieu
à quelques flammèches. Le lendemain, il essayait de réparer les dégâts.
Était-il actif
sexuellement avec toutes ? Elles seules pourraient vous répondre. En bon
mâle chauvin, il prétendait qu’il était d’une forte constitution
sexuelle. On peut présumer qu’à un âge avancé, même s’il conserva son pouvoir
de séduction jusqu’à la fin, il était plus calme sur le plan physique,
mais, en toute franchise, je ne connais pas la réponse.
Pierre Péladeau
disait souvent :
“ Un homme beau,
comme une belle femme, est parfois paresseux, alors qu’un homme moins gâté
par la nature va travailler deux fois plus fort pour séduire une femme. La
beauté physique n’est pas le critère principal pour plaire aux femmes. ”
M. Péladeau
n’était d’ailleurs pas attiré par la beauté plastique chez une femme, mais
par son charme, sa classe et son intelligence. Il racontait l’histoire d’un
de ses amis du même âge que lui, qui sortait avec une jeune fille, une top
modèle.
Il lui avait
lancé au cours d’une conversation : “ Tu sais bien qu’elle est avec toi pour
ton argent. ”
Son ami lui
avait alors répondu tout aussi spontanément :
“ Bien, elle est
peut-être avec moi pour mon argent, mais j’ai ce que je veux aussi de cette
relation : sa jeunesse, sa personne, sa vivacité. Je dépense de l’argent
avec elle, mais elle me donne sa présence et son affection. Qu’y a-t-il de
mal à ça ? Nous en profitons tous les deux. ”
On a souvent
dit que si M. Péladeau n’avait pas été riche, il n’y aurait jamais eu autant
de femmes attirées par lui. Personnellement, je crois que Pierre Péladeau
était avant tout un séducteur. Il savait plaire, riche ou pas. Si une femme le
courtisait pour son argent ou pour obtenir des cadeaux et des faveurs, elle
était rapidement déçue. Il s’en apercevait tout de suite et il était plutôt
parcimonieux avec les cadeaux luxueux. Mais il ne négligeait en rien la qualité
du temps qu’il passait avec une amoureuse.
J’ai connu la
plupart des “ femmes-amoureuses ” de Pierre Péladeau et elles étaient en général
des femmes formidables. Pour respecter la vie privée de ces femmes, je
ne mentionnerai aucun nom.
Parmi les “
femmes-amoureuses ”, il y eut deux sœurs ; l’une habitait Québec, et l’autre
Montréal. Chacune connaissait l’existence de la relation de l’autre.
L’une d’elles avait un fils handicapé qu’elle élevait seule. M. Péladeau
retrouvait chez elle une générosité et un courage face à la vie qui le
réconfortaient, lui apportaient du bonheur. C’était une très belle femme et
il n’en revenait pas de voir comment elle pouvait arriver à conjuguer la
dévotion qu’exigeait les soins de son enfant avec l’accomplissement de sa
vie personnelle.
L’autre sœur
était une célibataire d’une grande élégance. Elle avait la classe de sa première
femme. Elle avait les mêmes goûts. Il partageait avec elle son amour de la
beauté, de la musique et des arts. Au bout de quelques années, l’une des deux
sœurs, celle qui avait un enfant, fit la connaissance d’un autre homme
qu’elle épousa, mettant un terme à leur relation.
Chacune de ses
“ femmes-amoureuses ” avait un trait de caractère particulier qui l’attirait
spécialement. C’était le cas de celle que je surnommerai la “ réalisatrice
de télévision ”, dont il appréciait le bien-être et la chaleur humaine.
Elle lui apportait beaucoup de réconfort.
M. Péladeau ne
parlait jamais de ses péripéties amoureuses, mais il lui arrivait de
faire appel à nos services, notamment pour le transport.
Un jour de
semaine, il me téléphona à 8 heures du matin au bureau :
“ Monsieur Bernard,
ça va bien ? J’ai renvoyé le chauffeur hier soir. Est-ce que tu viendrais me
chercher ?
– Pas de problème,
Monsieur Péladeau. Vous êtes à quel endroit ?
– Au
Quatre-Saisons. ”
S’il passait la
nuit en ville, il lui arrivait de louer une chambre dans un grand hôtel, mais
il ne prenait jamais de taxi ; il trouvait malpropres les voitures des
chauffeurs de taxi. Il préférait monter dans la voiture du messager de
Quebecor.
Sans poser plus
de questions, je sautai dans mon auto et me précipitai à l’hôtel Quatre
Saisons, aujourd’hui appelé Hôtel Omni, situé rue Sherbrooke.
J’arrivai à
l’hôtel et je le cherchai à la réception. Il n’y était pas. Je me rendis
chez le concierge et je demandai M. Péladeau. Il me répondit qu’il n’y avait
pas d’invité inscrit à ce nom. Je vérifiai alors avec le nom de l’amoureuse
présumée, car je la connaissais. Personne non plus sous cette inscription.
Confus, je décidai d’aller au bureau pensant qu’il s’y était peut-être rendu
entre-temps. Il n’y était pas.
Peu après 9 h
15, il me téléphona de nouveau à mon bureau.
“ Qu’est-ce que
tu fais ? Est-ce que ça va être encore long ?
– Mais Monsieur
Péladeau, j’arrive de l’hôtel. Vous n’y étiez pas. ”
Il ne s’agissait
pas de l’hôtel Quatre Saisons, mais de la station Télévision
Quatre-Saisons, située rue Ogilvy à l’époque. Quand je suis finalement
arrivé à la porte de la station de télévision, il était dans l’entrée et il
m’attendait depuis tout ce temps : une heure et demie. Il avait l’air démuni,
tout seul dans ce vaste hall déserté, par un mardi matin glacial.
La réalisatrice
a fait partie de sa vie jusqu’à la toute fin. Elle fut d’ailleurs à son chevet
pour veiller sur lui pendant qu’il reposait dans un coma profond à l’hôpital
Hôtel-Dieu.
Pierre Péladeau
fréquentait aussi celle qui est surnommée ici “ l’éditrice ”. Elle travaillait
pour une maison d’édition qu’il convoitait. Il l’avait rencontré au cours
d’une de ses conférences qu’elle avait organisée. Sa joie de vivre et sa
bonne humeur l’avaient séduit. Elle était pétillante et avait le don de voir le
bon côté des choses. Elle était d’un optimisme contagieux. Lorsque Monsieur
“ P. ” faisait le bouffon ou qu’il gaffait, elle gardait le sourire. Elle
trouvait toujours un aspect positif à toute situation, même les plus difficiles.
Il y avait aussi
“ le docteur ” dont il aimait la prestance, le dévouement. Elle fut également
avec lui jusqu’à la fin.
“ La Française
” était beaucoup plus grande que lui. Il admirait sa classe, son raffinement.
Elle l’accompagnait souvent lors de soirées mondaines où le protocole
était de mise. Elle était la seule à croire qu’elle avait l’exclusivité. Elle
a toujours ignoré l’existence des autres. M. Péladeau n’était pas certain
qu’elle accepterait sa règle de conduite. Mais il avait été franc avec toutes
les autres.
Une autre était
“ la comptable ” qui habitait Québec. Une très belle femme, d’un abord simple,
très terre-à-terre. Elle cultivait l’ambition de se lancer en affaires et
de réussir.
Dès qu’une “
femme-amoureuse ” montrait des signes de cupidité ou d’intérêt matériel,
M. Péladeau s’en apercevait immédiatement. Il s’esquivait alors et passait
rapidement à autre chose. Ce fut le cas d’une dame qui œuvrait en relations
publiques. Elle suggérait souvent des activités dispendieuses. La maladresse
de cette dernière fut de demander à M. Péladeau de prendre son jet privé
pour aller un week-end à New York. Il s’est trouvé une excuse pour refuser,
parce que son New York c’était Sainte-Adèle. Il a fait un bout de chemin avec
elle, mais a fini par s’en éloigner. Elle n’a pas franchi la période de probation
de trois mois…
Le principe
essentiel, pour moi comme pour tout le personnel masculin dans l’entourage
de Pierre Péladeau, était de ne jamais se laisser séduire par aucune de ses “
femmes-amoureuses ”. Il fallait être prudent et ne jamais laisser planer le
moindre doute ni la moindre ambiguïté. Nous ne devions pas jouer dans ses
plates-bandes.
Lorsque je suis
arrivé chez Quebecor, en 1991 je venais de divorcer. M. Péladeau, dans un
élan de générosité, se sentait concerné par mon célibat. Il lui arrivait
souvent de vouloir me présenter à quelques-unes de ses connaissances,
celles avec lesquelles il n’était pas lié intimement. En bon père, il s’inquiétait
de me voir seul. À tout bout de champ, il m’envoyait un “ petit papier ” pour
m’inviter à une soirée ou à un événement en laissant sous-entendre qu’il
y aurait de la belle compagnie. Je savais qu’il était en train de jouer à
l’entremetteur. Mais l’amour ne se commande pas.
Finalement, la
quatrième catégorie des femmes dans la vie de Pierre Péladeau était ses “
ex-amoureuses ”.
M. Péladeau
était au départ très jaloux de ses relations régulières, mais il était encore
plus jaloux et plus possessif lorsqu’une amoureuse l’avait quitté. Il ne tolérait
pas de voir une “ ex ” avec un homme, même si lui était loin d’être seul. Pour
rester ami avec une “ ex ”, il fallait qu’elle demeure célibataire, comme
pour entretenir le projet de reprendre la relation si la flamme se rallumait.
De belles amitiés étaient parfois gâchées à cause de son extrême possessivité.
Pour lui, si un autre homme prenait sa place, cela équivalait à une défaite.
Autant il pouvait être logique en affaires, autant il était irrationnel en
amour. Mais, comme on dit, que celui qui n’a jamais péché lance la première
pierre.
La conclusion
à retenir concernant les femmes de Pierre Péladeau, c’est qu’il valait
mieux se le tenir pour dit : rester éloigné des “ femmes-amoureuses ” ou des
“ ex-amoureuses ” de “ Monsieur P. ”.
* * *
Plusieurs
seront tentés de le juger et de condamner sa conduite amoureuse, mais
Pierre Péladeau a eu la grande qualité de vivre au grand jour. Il avait le
sentiment de ne rien faire de mal, et il n’y avait pas lieu de cacher quoi
que ce soit.
Sa vie amoureuse
aura été comme une toile de grand maître ou un royaume digne des mille et une
nuits. Pierre Péladeau a régné sur deux empires : celui de l’amour et celui
des affaires.
________________________________________________
Chapitre 9
Ses amis artistes
et les alcooliques
Le plus beau compliment
jamais adressé à Pierre Péladeau est venu de Patricia Pitchard. Elle le
décrit comme “ un artiste des affaires ” dans son livre sur la technique de
gestion des affaires intitulé : Artistes, artisans et technocrates
dans nos organisations. L’économiste à la Bourse de Toronto a trié sur
le volet quelques hommes d’affaires, de Saint-John à Vancouver, pour tenter
de tracer un portrait type. Dans son étude, elle voulait mettre en relief les
différentes méthodes de gestion selon les tempéraments et les tendances
des chefs d’entreprise au pays. Elle ne donne pas le nom de ses modèles dans
son texte, mais elle avait confié à Pierre Péladeau qu’il était un des trois
finalistes de son étude. Il y avait un artisan, un technocrate et l’artiste,
c’était lui. Elle l’aurait couronné qu’il n’aurait pas été plus flatté.
Il en avait été
d’autant plus content qu’il vouait un véritable culte aux artistes depuis
toujours. S’il a échoué dans cette voie, il s’est entouré d’artistes tout
au long de sa vie. À une certaine époque où c’était à la mode, il a même
exploité deux cabarets : Le Baron, situé à Cartierville, son ancien
quartier, et le Music Hall de Montréal que Raymond Lévesque avait
lancé. Ce fut dans le même élan qu’il acheta Télévision Quatre-Saisons 25 ans
plus tard : il poursuivait le but d’être près des artistes.
D’un autre côté,
les artistes ont profité largement de l’apport de Pierre Péladeau. Il contribuait,
de plusieurs façons, par ses magazines, ses journaux et son mécénat, à soutenir
des organisations culturelles. Sans oublier le travail qu’il fournissait
par la même occasion à tous les journalistes, éditeurs et photographes
au service de l’une ou l’autre des publications de Quebecor. S’il aidait
financièrement à la promotion des vedettes locales et des artistes de
variétés, ses idoles étaient cependant presque toutes issues des milieux
classique et intellectuel.
Les gens étaient
toujours surpris de connaître ses goûts. Par exemple, il avait lu tous les
grands classiques en littérature. Il se vantait d’avoir lu tout Balzac.
Il avait choisi lui-même les livres qui ornaient la bibliothèque de son
bureau du 13e étage.
On lui a souvent
demandé, en entrevue, de nommer ses auteurs préférés. Invariablement, la
liste contenait les titres suivants : Les Nourritures terrestres
et Les Nouvelles Nourritures d’André Gide ; Les Vraies
Richesses et Que ma joie demeure de Jean Giono ; Service
inutile d’Henri de Montherlant et L’Alchimiste de Paulo Coelho.
J’ai arrêté de
calculer le nombre de fois où l’évocation de ces quelques titres a suscité
l’étonnement. Dans sa vie publique, Pierre Péladeau était parfois très rustre,
mais dans sa vie privée, il n’aimait que la classe, le raffinement. Il pouvait
se mesurer aux plus grands avec sa culture. Beaucoup de gens connaissaient
son immense talent de négociateur et son flair pour les affaires, mais beaucoup
n’avaient jamais soupçonné qu’il était un érudit et qu’il appréciait des lectures
aussi intellectuelles. Il n’en faisait jamais grand cas. Il n’aimait pas
les snobs, il n’en était pas un non plus. C’était assez paradoxal. Quebecor
publiait des livres d’horoscope, des guides pratiques sur à peu près tout,
de l’entretien de sa voiture à l’éducation de son chien, mais c’était loin
d’être la lecture de chevet de M. Péladeau. Tous les livres de ses bibliothèques,
que ce soit celle du bureau ou celle de sa résidence, n’avaient pas été placés
là par hasard ou par prétention. “ Monsieur P. ” les connaissait.
J’ai assisté à
un spectacle de Raymond Devos, le 3 avril 1995 à la Place des Arts, en compagnie
de Pierre Péladeau. À la fin du spectacle, il était littéralement
envoûté par l’éloquence et la subtilité du monologuiste français. Il
aimait les histoires, et il a été transporté par celles que M. Devos savait
raconter mieux que personne. Pierre Péladeau n’aimait pas l’humour facile,
les blagues vulgaires. Il trouvait qu’il y en avait malheureusement
trop sur nos scènes. Il avait tellement apprécié Devos qu’il aurait aimé le
produire au Pavillon des Arts de Sainte-Adèle.
Il avait des
goûts particuliers. Ce qu’il aimait dans une œuvre musicale ou dans une
toile, c’était le fini, le polissage, comme s’il pouvait lire l’histoire de
l’artiste, sentir les heures de travail et les efforts fournis pour la
réalisation de l’œuvre.
Il n’était pas
un amateur d’art contemporain, même si Manon Blanchette, son ex-compagne,
essaya de l’y sensibiliser. Par contre, il avait confiance dans les recommandations
et dans le jugement de cette dernière lorsque venait le temps d’effectuer
des acquisitions pour Quebecor ou pour sa résidence. Chaque fois, il faisait
appel à son savoir-faire. Cependant, c’est toujours lui qui décidait quels
tableaux et quelles sculptures s’ajouteraient à la collection de Quebecor.
Il avait l’œil pour les juger.
Il n’y a qu’à
faire le tour de sa collection, commencée dans les années 1980, pour se rendre
compte de son intérêt soutenu. À sa disparition en 1997, il avait investi
plus d’un million de dollars dans des toiles produites par des artistes de
grand renom tels que John Alius, Léon Bellefleur, Dominique Bois-Joli,
Paul-Émile Borduas, Alexandre Calder, Stanley Cosgrove, Bruno Côté, Jean
Dallaire, Litterio Del Signore, Rodolphe Duguay, Marcelle Ferron,
Marc-Aurèle Fortin, René Gagnon, Marc Garneau, Helmut Grandsow, Normand
Hudon, Catherine Henripin, A.Y. Jackson, Denis Juneau, Jean-Pierre
Lafrance, Pierrette Joly, Paul Lancz, Fernand Leduc, Jean-Paul Lemieux, Rita
Letendre, Henri Masson, Richard Montpetit, Alfred Pellan, René Richard,
Jean-Paul Riopelle, Goodridge Roberts, M.A. Suzor-Côté et Armand Vaillancourt.
La musique
était une véritable passion pour Pierre Péladeau. Il travaillait toujours
en écoutant une œuvre de l’un ou l’autre de ses compositeurs préférés,
qu’il soit en compagnie ou non. Il est même arrivé que des journalistes
venus réaliser des entrevues éprouvent des difficultés à capter le son
correctement avec leur magnétophone. Au moment de l’écoute, la musique
jouait très fort et prédominait sur le ruban, si bien qu’on n’entendait que
faiblement M. Péladeau. Les journalistes n’osaient pas toujours lui dire
de baisser le volume. C’était la même chose quand il parlait au téléphone.
Il lui arrivait
aussi d’interrompre une conversation, en pleine réunion, pour dire :
“ Chut ! Écoutez
ce passage comme c’est beau. ”
C’était un passage
qu’il avait certainement entendu et apprécié des centaines de fois. Une
dame m’a confié qu’un jour, pendant qu’elle lui parlait de son projet dans
son bureau de Quebecor justement, elle remarqua qu’il fixait le plafond.
Elle pensait qu’il réfléchissait à ce qu’elle lui expliquait avec soin,
mais il était carrément dans la lune, accroché à son extrait préféré. Il a
fallu qu’elle recommence son exposé, mais elle avait de la difficulté à garder
son sérieux.
* * *
Au plus fort de
sa dépendance à l’alcool, il trinquait énormément en compagnie des artistes.
Il ne s’est pas rendu compte tout de suite qu’il était alcoolique. À la
rigueur, il s’en foutait éperdument tant il était pris par ses journaux,
ses imprimeries et l’obsession de grossir son compte bancaire. Il buvait
aussi au bureau. À la fin de la journée, quand le travail était achevé, il
invitait ses employés et il vidait une bouteille de scotch. Vers 20 heures,
le groupe allait manger au restaurant et continuait à boire. Cette petite
fête ne se terminait jamais avant les petites heures du matin.
Une personne
qui boit le fait pour fuir sa réalité. Quelle réalité fuyait-il ? Il en avait
toujours eu gros sur le cœur depuis ses études. Il avait dès lors déjà commencé
à trinquer sérieusement. Il a toujours rappelé combien il était difficile
d’être sans le sou à l’époque où il allait au collège Brébeuf. Il avait accumulé
beaucoup de ressentiment.
Son alcoolisme
a suivi la progression normale : plus souvent et toujours plus. Le prétexte
est sensiblement le même pour tout le monde : pour soulager la fatigue,
on prend un petit remontant.
Il a souvent
répété en conférence : “ L’alcool est le plus grand dépresseur qui soit !
Plus on en prend, plus on déprime. ” S’il avait continué à boire, Quebecor
n’existerait certainement pas.
Le soir de son
49e anniversaire, en 1974, il fêta un peu plus que d’habitude.
Il se réunit avec des amis dans un bar. La choucroute était copieusement arrosée
de vin et de Schnapps. Vers 3 heures du matin, il fallait partir, car
le restaurant fermait. Un de ses amis était déjà parti. À la sortie, il dit
à un autre ami qui l’accompagnait : “ Je vais conduire, tu es trop saoul ”,
sans se rendre compte qu’il l’était tout autant. L’automobile tomba dans un
fossé. Miraculeusement, ils s’en sortirent indemnes, sauf pour le nez
cassé de son comparse.
Le lendemain,
il décida que c’en était trop. Il savait que s’il continuait à ce rythme, il
se retrouverait au cimetière ou en prison. Ce n’est qu’un mois plus tard,
cependant, qu’il se rendit à une rencontre des Alcooliques anonymes, dont
il disait :
“ Les AA pourraient
être définis comme une salle de réunion et une cafetière. ”
Il fut d’abord épaté
par les gens qu’il y rencontra, des gens qui s’entraidaient, pleins de sollicitude
et d’intérêt pour les autres ; des gens comme il n’en avait jamais vus auparavant.
Mais sa décision
n’était pas encore complètement prise. Il écouta le type qui parlait devant
la salle et jugea qu’il disait des niaiseries. En plus, il avait renoncé à
un voyage à Paris en compagnie d’une nouvelle petite amie pour atterrir
dans une salle paroissiale.
À la sortie de
la réunion, deux hommes lui remirent un carton d’allumettes avec leurs
coordonnées et leur prénom seulement : Guy et Albert. Ils lui soulignèrent
en partant : “ Si tu as besoin de nous, appelle. ”
Ils étaient
étranges, ces deux hommes. Pierre Péladeau n’avait jamais eu besoin de personne.
Mais ils l’avaient intrigué. Il ne comprenait pas pourquoi ils lui avaient
offert leur aide. Lui emprunter de l’argent ou lui demander un service du
même ordre peut-être ? Ceux qui l’ont entendu dans les rencontres des Alcooliques
anonymes connaissent la suite :
“ Je suis
retourné à la rencontre. L’homme qui partageait son vécu ce soir-là parlait
de ses affaires. Il avait fait 100 000 dollars, en avait perdu 100 000 mille,
puis gagné 200 000 mille, et perdu 300 000 mille. Je l’écoutais et je me disais
: ce gars-là ne connaît rien à l’argent. Ça se peut pas de faire ça avec de
l’argent. C’est un menteur. Je me suis rendu à la table au fond de la salle
et j’ai pris un café. Un gars qui se tenait là m’a demandé ce que je pensais
du témoignage. Je lui ai répondu que c’était du bluff, que son histoire
ne tenait pas debout et qu’il m’avait ennuyé. L’autre m’a dit : “T’as
peut-être raison. Mais s’il a besoin d’en parler, ça lui fait du bien.” J’ai
été frappé par ses paroles. C’était un fait, le gars n’avait pas de compte à
me rendre. Je n’avais aucun droit de le juger. Ce n’était pas de mes oignons.
”
C’était le 20
mai 1974, et Pierre Péladeau n’a jamais repris une goutte d’alcool depuis. Il
a multiplié les réunions des AA, et il s’est en quelque sorte réconcilié
avec Dieu. M. Péladeau avait toujours dit, jusqu’à ce moment, que Dieu était
mort, comme Nietzsche, son philosophe préféré de l’époque.
Il expliqua : “
La philosophie des AA nous fait découvrir des forces spirituelles insoupçonnées
qui, par la suite, nous permettent de reprendre notre vie en main. Aucune
méthode scientifique de réhabilitation ne remplacera jamais la chaleur
humaine et l’attention personnelle. J’avais tout essayé dans la vie.
J’avais des voitures, des maisons, des entreprises prospères. Et même
plein de femmes. J’avais fait le tour du monde plusieurs fois. Et pourtant,
je n’étais pas heureux parce que je n’avais aucune sorte de vie spirituelle.
Quand je suis entré dans les AA, je n’était pas physiquement malade, mais
j’avais l’âme malade. J’étais plein d’agressivité, de ressentiments, de
rancœurs, vide d’amour. J’ai souvent dit à des amis qu’ils apprendraient plus
à une réunion des AA qu’en lisant tout Balzac et Dickens. Balzac a scruté
l’âme humaine, les AA nous la font vivre. ”
C’est aussi chez
les AA qu’il apprit l’entraide, d’où la générosité qu’il acquit au cours des
années ultérieures.
Il dit dans la
même conférence : “ Il faut s’aider les uns les autres, sans poser de questions
sur le statut social, éducatif, culturel, sans s’interroger sur les
diplômes des autres. J’ai contribué à fonder et à maintenir des maisons
de réadaptation, tant pour les alcooliques que pour les drogués. Mais il
en faudrait plus. Peut-être que les gouvernements pourraient forcer davantage
l’industrie de l’alcool à financer ces maisons. L’industrie pharmaceutique
doit, elle aussi, distribuer une part de ses profits pour lutter contre la
toxicomanie. Nous devrions exiger du gouvernement qu’il oblige les entreprises
d’alcool à inscrire sur leur étiquette que l’usage de leur produit peut causer
la mort comme on l’exige pour les paquets de cigarettes. Il meurt pas mal
plus de personnes à cause de l’alcool qu’à cause de la cigarette, ça me semble
facile à constater. ”
“ Monsieur P.
” tenait à rédiger lui-même ses discours sur l’alcoolisme, et il y mettait
beaucoup d’attention et de cœur. Ses descriptions traduisaient parfaitement,
selon lui, ce que l’alcoolisme signifiait dans la vie de tous les jours.
M. Péladeau disait
: “ Il faut se rendre compte qu’aussi considérables que soient nos efforts
pour corriger la situation, nous ne nous attaquons qu’aux “effets” de ces
maladies. Il reste le problème de la cause, de la racine de tous ces maux.
Nos efforts doivent aussi porter sur la prévention, et avant tout sur l’éducation.
Il n’y a pas de solution miracle, et on n’a pas encore trouvé de remède.
S’adonner à la drogue sous toutes ses formes, médicaments, alcool,
cocaïne, héroïne, même la cigarette, repose sur un dénominateur commun :
vouloir fuir la réalité et aussi, souvent, un manque profond d’amour, d’acceptation
des autres. Ne pas être capable de vivre, de supporter, d’endurer la
réalité.
Il y a cause à
effet, la consommation de drogues a pour conséquence un profond sentiment
de culpabilité. À son tour, la culpabilité entraîne l’insécurité et la
dévalorisation de la personne avec toutes les peurs que cette déchéance
entraîne, jusqu’à l’agressivité responsable du déchaînement de la violence.
Il faut aider
ceux qui sont touchés par ces problèmes à se prendre en main, à se valoriser,
à tourner la page sur le passé, à trouver la joie par l’amour les uns des
autres pour finalement déboucher sur la découverte d’un être suprême. ”
Personnellement,
je ne comprenais pas très bien comment fonctionnait cette fraternité qui
unit les alcooliques ou les gens aux prises avec des problèmes de dépendance
à la drogue. On m’a expliqué qu’il fallait avoir vécu cet enfer pour comprendre.
Comme je ne souffrais pas de cette maladie qu’est l’alcoolisme, j’étais un
peu dans l’inconnu, mais Pierre Péladeau ne me demanda jamais de participer
à l’œuvre des AA. Il le faisait seul, sans en parler ni importuner les
employés de Quebecor ou ses amis qui n’avaient pas ce problème.
Après avoir
quitté Quebecor, j’ai su que M. Péladeau avait aidé un nombre incalculable
d’anciens alcooliques. S’il y en avait au 612 de la rue Saint-Jacques Ouest,
je ne les ai jamais remarqués. Mais M. Péladeau m’a cependant raconté qu’il
avait aidé nombre de ceux qui trinquaient avec lui au début du Journal de
Montréal. Plusieurs, comme lui, en ont parlé publiquement afin de donner
l’exemple, de montrer que l’on pouvait s’en sortir, à condition de le vouloir
vraiment. Ceux qui demandaient de l’aide de Pierre Péladeau en recevaient.
C’était automatique.
Par contre,
lorsqu’il recevait à sa résidence ou même à l’occasion de ses fêtes annuelles,
il ne négligeait rien. Il y avait à boire pour tout le monde et en quantité.
Il disait que ce n’est pas parce que lui ne pouvait pas boire qu’il devait en
priver les autres. Il avait cependant l’œil pour repérer ceux ou celles,
parmi ses invités, qui avaient la “ maladie de l’âme ”. Il ne leur en parlait
jamais, mais il s’informait toujours de ce qui leur arrivait, pour leur
faire savoir qu’il était là pour eux, n’importe quand. Et c’était vrai.
J’ai souvent
reçu des appels de gens qui ne le connaissaient pas très bien, mais qui
avaient entendu parler de son passé et de son dévouement pour la cause des
alcooliques. Il y avait des situations presque inconcevables où des
familles vivaient de véritables calvaires causés par l’alcoolisme d’un ou
des parents.
M. Péladeau
répondait à ces appels. Il écoutait leur histoire et dans la quasi-totalité
des cas, il organisait très rapidement son groupe de secours. Mais il était
si discret à propos de ces personnes que la plupart du temps je ne savais
ni leur nom ni ce qu’il leur était advenu. Je sais seulement que la chose
s’est produite des dizaines de fois.
J’ai cependant
été témoin d’un sauvetage. Il s’agissait d’un artiste, très connu et très
aimé du public. Il connaissait beaucoup de succès dans sa carrière. Puis, après
une année, il ne travaillait presque plus ou pas du tout. Il perdit tous ses
contrats. Habitué qu’il était de mener un grand train de vie, il s’est très
vite trouvé sans argent. Mais il en avait toujours pour boire. Il était marié
et père de deux enfants tout à fait charmants. Jamais sa femme n’avait laissé
paraître quoi que ce soit des problèmes que la famille vivait. En public,
ils avaient l’air heureux et unis. Mais M. Péladeau avait deviné tout de
suite la situation.
C’est en pleurs
que la femme téléphona un jeudi après-midi. Ils étaient à la rue. Ils
n’avaient plus de voiture, plus de meubles. Tout avait été saisi. Lui, était
allé vivre chez des amis, et elle, ailleurs avec les deux enfants, sans un sou.
Mais il continuait de boire, sans arrêt. Elle aimait son mari, et n’était pas
capable de le quitter. Pour elle, et pour M. Péladeau, il allait mourir
très certainement.
Pierre Péladeau
consola la dame en lui disant :
“ Ne vous inquiétez
pas, je m’occupe de tout. Cessez de pleurer maintenant. Préparez vos
affaires, je vous envoie le chauffeur demain midi. Vous vous en venez chez
moi à Sainte-Adèle. ”
Il tint promesse.
Le lendemain, son chauffeur alla chercher la mère et ses deux enfants. M.
Péladeau communiqua également avec le mari pour lui demander de venir chez
lui pour le week-end, mais sans autres explications.
Heureux de profiter
de l’hospitalité de M. Péladeau, et surtout de son bar, le mari accepta
aussitôt. Ils passèrent la fin de semaine ensemble, et M. Péladeau ne dit
rien à propos du problème de son ami l’artiste. Ce dernier était en fête et
continuait de parler de sa carrière comme s’il était sur un gros coup, et
qu’il allait se refaire financièrement.
Pierre Péladeau
connaissait l’histoire par cœur comme s’il l’avait écrite. Il était passé
par là lui aussi. Le dimanche soir, l’artiste prépara ses affaires pour
retourner en ville. Alors qu’il était à la porte, M. Péladeau prit sa valise
et il lui dit :
“ Tu t’en viens
avec moi. ”
Son épouse m’a
raconté qu’un miracle s’était produit ou alors qu’il s’agissait d’une intervention
divine. Elle avait essayé pendant des années de convaincre son mari de cesser
de boire, elle et tous les amis du couple, mais c’était comme parler à un
mur.
Devant Pierre
Péladeau, il n’avait pas rouspété ni discuté. Il n’a pas dit un mot, et il
l’a suivi comme quelqu’un qui vient de se faire prendre à voler. M. Péladeau
l’a fait conduire à la maison d’Ivry-sur-le-Lac et il a vu personnellement
à ce qu’il y suive une cure fermée pendant 15 jours. Il a hébergé la femme et
les enfants pendant tout ce temps pour leur permettre de se reposer et pour
les préparer à l’“ après-brosse ”.
“ Monsieur P.
” se souvenait aussi de l’adaptation à la vie sans alcool. Il en avait
lourd sur le cœur, en 1974, lorsqu’il a dégrisé. Il a compris tout ce qu’il
avait perdu au profit de la maudite boisson, et qu’il ne récupérerait
jamais, en affaires, en amitié, et surtout, en amour.
“ Le plus difficile
fut de reconnaître le mal que j’avais causé à plusieurs personnes par les
bêtises et les conneries que j’ai faites. J’aurais pu m’en passer, et ces
personnes aussi ! Si c’était à refaire, je ne passerais pas par cette
route. Mais je ne peux pas recommencer, et il faut apprendre à vivre avec. ”
* * *
J’ai compris en
lisant les textes de Pierre Péladeau, après son décès, et en discutant avec
des gens qui avaient vécu le même enfer, à quel point on peut être écorché par
de longues années d’ivresse. Les réactions, les sentiments, les frustrations
sont souvent les mêmes, l’ébriété en moins. Tout ou presque prend des proportions
décuplées par l’alcool. On devient colérique pour des riens, on est susceptible,
on ne maîtrise pas ses sentiments. J’ai alors compris pourquoi “ Monsieur P.
” était tellement sensible et à fleur de peau, d’où lui venait également
ses antennes et sa générosité. Il était entier, jamais de demi-mesure.
La dernière
activité de financement pour aider les alcooliques à laquelle a participé
Pierre Péladeau fut la soirée annuelle du Pavillon Ivry-sur-le-Lac présentée
au Sheraton de Laval le 28 novembre 1997. Il subit son attaque quatre
jours plus tard.
Quand il était
dans la vingtaine, Pierre Péladeau disait que Dieu était mort. À la fin de
sa vie, en toute sobriété, il disait que lorsqu’il avait cessé de boire,
c’était le diable qui était mort.
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CHAPITRE 10
Le pouvoir et
la société
Le pouvoir peut
prendre plusieurs formes, mais celui qu’une personne exerce sur un groupe
est bien souvent régi par des lois non écrites. Un personnage est plus respecté
qu’un autre parce qu’il est un modèle par ses agissements, qu’il inspire la
motivation ou la peur ou tout simplement parce qu’il veut s’imposer et
qu’il accapare le pouvoir par toutes sortes de moyens.
Le film Le
Parrain, réalisé par Francis Ford Coppola, d’après l’œuvre de Mario
Puzo, est une excellente illustration du pouvoir. Dans ce film, Don Corleone
règne sur un empire et sur la communauté environnante, entouré de ses deux
fils, Sonny et Michael, ainsi que de l’avocat Tom, son consigliere.
Le Parrain dirige une vaste entreprise commerciale, mais il impose également
son pouvoir dans toutes les sphères de la société.
Don Corleone
est l’homme à qui tout le monde vient demander de l’aide et de l’assistance.
Il ne les déçoit jamais. Il ne fait jamais de promesses vaines, il est efficace.
Il n’a pas à être votre ami pour vous aider, mais vous devez être le sien. Corleone
ne demande rien en échange des services qu’il rend, mais vous savez que tôt
ou tard, il pourra faire appel à vous et vous devrez lui renvoyer l’ascenseur.
Pierre Péladeau,
comme beaucoup d’autres leaders de notre société, était une sorte de “ parrain
”, la criminalité en moins. J’ai d’ailleurs mentionné un jour à
M. Péladeau qu’il me faisait penser à Don Corleone. Il a ri et il m’a
dit que j’avais raison. Le pouvoir est quelque chose de mystérieux, mais
comme le déclare Al Pacino dans le film, le pouvoir n’est jamais donné, il
faut s’en emparer. Péladeau était d’accord avec cette interprétation.
Pierre Péladeau
savait accaparer le pouvoir et il encourageait son entourage à en faire
autant. C’est un grand talent que de savoir s’imposer auprès des autres et
les gens qui le possèdent sont généralement les leaders de notre société,
que ce soit pour faire le bien ou le mal.
M. Péladeau
avait du cœur, tout comme le personnage interprété par Marlon Brando. Il
savait se faire respecter, il était craint et, surtout, il ne fallait pas
l’attaquer injustement, car il savait se défendre. La réalité dépasse parfois
la fiction, et Le Parrain aurait pu être l’histoire de Pierre Péladeau.
* * *
Pierre Péladeau
avait bâti un réseau social très impressionnant autour de Quebecor. S’il
avait besoin d’un service, il savait à qui s’adresser et sur qui il pouvait
compter.
J’ai personnellement
pu constater l’étendue du pouvoir de M. Péladeau et son influence sur la
société lors de la sélection des invités pour les dîners qu’il organisait à
Sainte-Adèle, avant les concerts hebdomadaires tenus au Pavillon des Arts.
L’idée lui était venue, au début de 1995, après avoir été invité à un événement
semblable chez son voisin André Bérard. Ce dernier recevait chaque samedi
des personnalités, provenant de divers milieux, à sa résidence secondaire
du lac Masson. Péladeau s’était dit qu’il pourrait être intéressant de
faire la même chose chez lui. Il me demanda de lui proposer une sorte de scénario
du déroulement de la soirée et d’inviter les personnalités dont les
noms apparaissaient sur une liste qu’il avait dressée.
Ces dîners me
permirent d’échanger avec des personnes influentes et de voir le genre de
relations que M. Péladeau entretenait avec elles.
Au début, ces
dîners avaient lieu presque tous les week-ends. M. Péladeau choisissait les
menus avec le traiteur et dressait le plan de table. Les repas qui comportaient
toujours cinq services étaient accompagnés des vins choisis par l’hôte
lui-même. Pour adoucir les mœurs, il tenait également à la présence d’un
orchestre de chambre.
Comme il se
doit, il proposait le transport en hélicoptère à tous ses invités. En
fait, il espérait les balader dans son appareil, parce qu’il voulait partager
ce plaisir avec les gens qu’il aimait. Généralement, on prenait une photo
des invités que l’on publiait dans Le Journal de Montréal, le lundi
matin.
Tout le pouvoir
financier et toute l’élite du Québec ont été reçus à sa résidence de
Sainte-Adèle. Après le dîner, il passait du côté du Pavillon des Arts pour
assister à un concert de musique classique.
Il choisissait
lui-même ses invités, toujours quatre couples, en variant les thèmes et
les personnages. Pour être inscrit sur cette liste, il fallait tout de
même répondre à quelques critères dont, au moins, celui d’être l’ami de
Pierre Péladeau. Les invités étaient généralement des gens qu’il connaissait,
mais qui ne se connaissaient pas nécessairement entre eux. Il lui fallait
donc créer une dynamique.
Ces dîners
étaient conviviaux. Les gens étaient très heureux d’y être invités. Nombreux
aussi sont ceux qui découvraient le côté charmant de Pierre Péladeau au
cours de ces repas.
Il a déjà invité
Réjean Tremblay et Fabienne Larouche, au moment où ils faisaient vie commune.
“ Monsieur P. ” avait bien hâte de rencontrer Mme Larouche.
Réjean Tremblay s’est présenté, mais sans Fabienne qui était retenue par un
problème de santé. M. Péladeau fut déçu. Il aimait bien Réjean, mais il trouvait
Fabienne beaucoup plus jolie. Il avait proposé le poste d’éditeur du Journal
de Montréal à M. Tremblay dans le passé, mais les deux hommes
n’avaient pu s’entendre sur la rémunération.
Parmi les autres
personnalités invitées, liées au monde des médias, il y eut également
Simon Durivage, toujours très gentil et très respectueux. Il avait fait
quelque temps auparavant une rétrospective pour la télévision sur la vie
d’étudiant de M. Péladeau. Ce dernier l’avait tout de suite aimé pour
sa spontanéité et sa simplicité.
Gilles Proulx
plaisait au grand patron de Quebecor pour sa fougue, et il fut lui aussi
invité. Le coloré journaliste était également un ami intime de Ben Weider,
culturiste de renom. Pierre Péladeau respectait M. Weider et il savait
reconnaître l’immense succès de cet homme d’affaires. Il l’avait connu au
centre du père Marcel de La Sablonnière, auquel Ben Weider a beaucoup contribué
en fournissant de l’équipement et des accessoires de sport. Péladeau
savait que je m’entraînais dans un gymnase avec des poids. Aussi, lorsque
Ben Weider organisa une réception à l’occasion de l’anniversaire de M.
Proulx, le 5 avril 1997, réception à laquelle il avait invité M. Péladeau,
celui-ci me transmit l’invitation. Un conflit d’horaire empêchait M.
Péladeau de s’y rendre et j’avais été délégué à sa place pour le représenter.
Le pauvre M. Weider était bien triste et déçu de me voir arriver seul, sans
M. Péladeau. Il m’a cependant accueilli chaleureusement dans sa résidence
et m’a montré, comme aux autres invités, son immense collection de souvenirs
historiques concernant Napoléon. M. Ben Weider et moi avons gardé le contact
par la suite, et j’ai beaucoup de respect pour ce grand Québécois.
La juge Andrée
Ruffo a participé, elle aussi, à un de ces repas. M. Péladeau l’a toujours
appuyée. Il trouvait qu’elle faisait un travail valable pour les jeunes et
il l’avait encouragée dans la création de sa fondation. Malheureusement,
il n’a pas pu y prendre une part aussi active qu’il l’aurait souhaité : avec
toutes ses activités et ses œuvres, il finissait par manquer de temps. Il
admirait la juge Ruffo pour son audace, surtout lorsqu’elle bravait la rectitude
politique, et pour sa volonté d’aider les enfants et les adolescents démunis.
Un soir, M. Péladeau
invita Jean-Luc Mongrain, Stéphane Bureau, Denise Bombardier et l’ambassadeur
de la France, Alfred Siefer Gaillardin, qu’il plaça côte à côte dans son
plan. Il salivait en pensant à la conversation qu’ils échangeraient.
Hélicoptère ou pas, il arrivait que le climat vienne couper court à ses
plans. Il y eut une violente tempête dans la journée, et seuls Stéphane
Bureau et l’ambassadeur parvinrent à se rendre à Sainte-Adèle.
Les professionnels
du milieu de l’édition croyaient que Pierre Péladeau et Claude Charron,
ancien propriétaire de Trustar, se détestaient. Bien au contraire. Ils
étaient régulièrement en communication et ils avaient travaillé ensemble.
Claude Charron, qui fut invité à l’un des dîners, est la seule et unique personne
au Québec à avoir vendu le même magazine à deux reprises. Exceptionnel !
La première fois, Le Lundi, que M. Charron avait fondé en 1976, fut
vendu au moment où il se départissait des éditions Québec Mag, en 1984.
Cinq ans plus tard, à la fin de 1989, respectant les termes d’une entente de
non-concurrence, M. Charron fonda Trustar et implanta avec un immense succès
le nouveau magazine 7 Jours. En 1992, Quebecor, propriétaire
de Publicor et du magazine Le Lundi, dut revendre cette publication
à Trustar, car on n’arrivait pas à la rentabiliser. Finalement, Le
Lundi redevint à nouveau la propriété de Quebecor, lorsque les Publications
TVA en firent l’acquisition au milieu de l’année 2000.
Selon moi,
Claude Charron et Pierre Péladeau ont été les plus grands éditeurs de magazines
au Québec. Ils ont su monter des publications intéressantes et captiver
les lecteurs.
Pierre Maisonneuve
fut également un invité aux dîners de “ Monsieur P. ”. Il réalisa une
première entrevue le 25 octobre 1995 au sujet du référendum. La deuxième
entrevue, en août 1997, présentée à Radio-Canada et publiée par la suite, est
sans aucun doute l’une des meilleures jamais réalisées par un journaliste
sur l’homme et sur le personnage. Ce journaliste avait préparé son entretien
avec beaucoup de soin et un grand respect. Je dois admettre que jamais auparavant
Pierre Péladeau ne s’était livré à un journaliste comme il l’a fait avec M.
Maisonneuve. Il lui a révélé des confidences que je n’avais jamais entendues
auparavant, avec une franchise et une candeur authentiques.
Pierre Péladeau
convia également Marcel Béliveau à sa table. Ce dernier lui avait par
ailleurs joué un tour pendable dans sa célèbre série Surprise sur prise.
On se souviendra de la scène du poste de péage fictif où M. Péladeau est
arrêté dans sa Mercedes, et où on lui réclame un droit de passage exagérément
élevé. Bien sûr, “ Monsieur P. ” s’y oppose de la façon colorée qu’on
lui connaît. Quand la scène se termine, au grand soulagement de M. Péladeau,
on voit Marcel Béliveau, tout fier de sa réussite, aller saluer sa victime.
Mais une victime avec une bonne mémoire et plus d’un tour dans son sac. Quelques
mois plus tard, le créateur de Surprise Sur prise demanda une rencontre
avec son ami et grand patron de Quebecor. Marcel Béliveau avait conçu un
nouveau projet de télévision et il cherchait une commandite de prestige.
Il fut reçu au 13e étage avec tous les égards habituels. Pierre
Péladeau l’écouta pendant une heure présenter le projet en question en
lui posant des questions plus tordues et plus embêtantes les unes que les
autres. À la fin, M. Péladeau monta sur ses grands chevaux et commença à
insulter son interlocuteur sur la piètre qualité de son nouveau produit,
sur la manière dont il pouvait lui faire perdre son temps si précieux à écouter
des futilités, et ainsi de suite. Le pauvre Marcel Béliveau était très mal
à l’aise. Tout ce qu’il voulait à ce moment-là était de sortir de ce bureau
en quatrième vitesse. Voyant qu’il était en train de l’achever, Pierre Péladeau
éclata d’un rire tonitruant en disant à son invité en sueur qu’il ne
s’agissait que d’une blague. Il était maintenant satisfait de sa vengeance
pour l’histoire du péage. L’histoire ne dit pas si M. Béliveau a obtenu sa
commandite. Je n’étais pas présent pour assister à la scène ; elle m’a été
racontée.
Beaucoup d’autres
artistes furent aussi invités chez Pierre Péladeau. Il aimait beaucoup
Danielle Ouimet. Nous sommes d’ailleurs allés, M. Péladeau et moi, à quelques
reprises à Québec pour participer à son émission Bla bla bla. J’ai
eu l’occasion de constater le talent d’animatrice de l’ancienne actrice
de cinéma. Il est certain que si M. Péladeau avait vécu, il aurait aimé
l’avoir à une émission à l’heure de pointe à TQS.
Parmi les autres
artistes ou écrivains qui ont été reçus à la résidence de M. Péladeau à
Sainte-Adèle, on retient les noms de : Gaston L’Heureux, Serge Turgeon,
Jean-Pierre Ferland, dont il considérait la chanson Envoye à maison
comme sa favorite, Renée Martel, Arlette Cousture, Pierre Vadeboncœur,
Louis Lalande, Monique Lepage, Louisette Dussault, Andrée D’Amour, Andrée
Champagne, la première Donalda, Charles Tisseyre, Marguerite Blais,
Michel Forget, Louise Deschâtelet, Pierre Marcotte, le couturier
Jean-Claude Poitras et Agnès Grossmann, chef de l’Orchestre métropolitain.
Parmi les invités
issus du milieu des affaires, André Chagnon, le fondateur de Vidéotron,
fut l’un des premiers. Même si les deux hommes se respectaient, ils ne se
fréquentaient pas beaucoup. M. Chagnon était pratiquement l’opposé
de M. Péladeau dans sa vie privée. Il a toujours été l’homme d’une seule
femme, il n’a jamais abusé de l’alcool et il était très réservé, voire timide.
Peu de temps
après l’acquisition de TQS par Quebecor, la direction de TQS a commencé
à recruter le personnel de TVA. La tactique n’a pas plu à M. Chagnon et il
a passé le message que TQS devait bâtir son propre réseau sans avoir recours
au personnel de TVA. On peut présumer que si M. Péladeau avait vécu
les premières années d’exploitation de TQS, il aurait croisé le fer avec M.
Chagnon à un moment donné.
À la même table
que M. Chagnon, Pierre Péladeau avait également invité André Bérard, de la
Banque nationale, Claude Charron et Bernard Landry qui était alors
vice-premier ministre dans le gouvernement de Lucien Bouchard.
C’est à cette
occasion que j’ai pu découvrir l’intégrité de Bernard Landry. Non seulement
il avait catégoriquement refusé l’offre de transport en hélicoptère,
mais il voulait que tous les membres de son cabinet en fasse autant. Pour
lui, il n’était pas question de profiter d’un service, si simple soit-il,
afin d’éviter toute forme de conflit éventuel, présent ou futur.
Bernard Landry
m’a dit : “ Nous avons les moyens de transporter nos ministres et je ne veux
pas que le moindre doute soit soulevé quant à votre invitation. Je vais
aller dîner chez M. Pierre Péladeau, mais avec notre voiture. ”
Pauline Marois
s’était jointe aussi à une occasion, de même que Louise Beaudoin. Cette dernière
ne connaissait pas personnellement Pierre Péladeau, mais il estimait le travail
qu’elle consacrait à la souveraineté et la passion qu’elle y vouait.
Parmi les autres politiciens invités, M. Péladeau convia également Serge
Ménard à la même table que Gérald Larose. Cette brochette d’invités donnait
lieu à des conversations animées, mais toujours cordiales, et surtout
très intéressantes.
Sur le plan des
affaires et de la politique, on remarque tous les grands noms du Québec
parmi les invités de Pierre Péladeau à Sainte-Adèle : Les Drs
Réjean Thomas et Yves Lamontagne, les ministres Louise Harel, Rita
Dionne-Marsolais et David Cliche, les maires Gilles Vaillancourt, de Laval,
et Pierre Grignon, de Sainte-Adèle, la syndicaliste Monique Simard,
Jean-Claude Scraire de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Pierre Laurin,
les juges Pierrette Rayle et le grand ami de Pierre Péladeau, Bruno Cyr,
Corinne Côté-Lévesque, l’épouse de René Lévesque, les avocats Dominique
Charron et Colin A. Gravenor, associé de M. Péladeau dans le Pavillon des
Arts, et Suzanne Anfousse, son avocate personnelle durant ses dernières
années.
Les dîners ont
cessé au début de l’été 1997. La résidence de Sainte-Adèle n’ayant pas l’air
climatisé, les repas devenaient inconfortables durant les grandes chaleurs
d’été. On devait normalement reprendre l’activité à l’automne 1997, mais
d’une obligation à l’autre, M. Péladeau n’a jamais pu être disponible et
aucun autre dîner n’a été organisé avant son décès.
* * *
Lorsque l’on
est un personnage du calibre de Pierre Péladeau, on devient un centre d’attraction.
Au Québec, tout le monde le connaissait. On le rappelait lorsqu’il laissait
des messages. Il pouvait parler à qui il voulait. Il avait aussi élaboré
un réseau très enviable de personnes-ressources dans tous les secteurs d’activité,
industriel, politique, social et, bien sûr, artistique.
M. Péladeau
aimait les jeunes et il ne ratait jamais une occasion de les encourager,
les pousser à voir grand, à oser, à toujours aller plus loin. Nous étions de
passage à Rivière-du-Loup le 3 novembre 1994 pour une conférence que
M. Péladeau devait prononcer dans une école. Il y a fait la connaissance
de Mario Dumont, leader de l’Action démocratique. Il l’avait trouvé très
énergique et bien jeune pour être aussi actif en politique.
“ Il a des bonnes
idées, le jeune, avait-il dit par la suite. Il a du potentiel. Il ira certainement
loin. ”
Ils s’étaient
simplement serré la main et avaient échangé quelques mots. Mais c’était suffisant
pour que Pierre Péladeau se fasse une idée.
* * *
Face à la
société québécoise et canadienne, Pierre Péladeau voulait être respecté
et considéré au même titre que ses collègues de même statut. Il aimait que
la renommée de Quebecor dépasse les frontières du Québec. Au début de sa
carrière, contrairement à Conrad Black, qu’il citait souvent, Pierre Péladeau
visait le territoire provincial, mais une fois qu’il l’eût conquis, il se
mit à viser plus loin.
Il faut dire que
chaque fois qu’il subissait un revers dans ses acquisitions ou ses opérations
financières, il avait pris l’habitude d’aller voir ailleurs, en dehors du
Québec. Ce fut le cas pour l’inscription en Bourse de Quebecor. Personne
sur la rue Saint-Jacques ne voulait lui accorder le prix qu’il demandait
pour les actions. Il s’est tourné vers New York et il a obtenu ce qu’il voulait.
Ce fut la même chose avec l’échec du Toronto Sun. Quebecor avait de
l’argent à investir, on n’en voulait pas en Ontario, il est allé l’investir
en France. Ces démarches avaient ouvert son esprit et poussé son intérêt vers
les marchés internationaux.
Ce besoin d’être
reconnu m’a encore été prouvé lors du Sommet économique du Québec de 1996.
Pierre Péladeau était heureux d’y avoir été invité et d’y participer.
Le 19 mars 1996,
le voyage avait bien commencé et il était très enjoué. La veille de son
exposé, après les audiences de la première journée, nous nous sommes retirés
dans nos chambres respectives. Il remarqua alors que le chariot de la
femme de chambre était dans le couloir à proximité de sa porte.
En voyant le chariot,
il me donna un coup de coude en pointant en sa direction.
“ Viens,
insista-t-il, on va aller prendre des savons. Ça va être bon pour ma collection.
”
Il avait pris
l’habitude de collectionner les savons de chaque hôtel où il logeait. À
la fin, il devait en avoir des centaines. Ça l’amusait. Je garderai toujours
cette image de lui avec les poches pleines de petits savons, surtout qu’il se
préparait à présenter un exposé sérieux sur la relance de l’économie du
Québec.
Il avait préparé
son discours en mettant l’accent sur la contribution de Quebecor dans
l’économie comme créateur d’emploi et sur la façon de générer des profits.
C’était toujours les mêmes thèmes, mais il ne se lassait pas de les répéter.
Cela était important pour lui. Tout le milieu des finances et de l’industrie
était représenté autour d’une immense table. Le patronat, les syndicats,
les étudiants, les organismes privés et publics y avaient tous leurs délégués.
Les entreprises privées étaient représentées par leur président respectif.
Sous la responsabilité
du Premier ministre Lucien Bouchard, le sommet était présidé par Claude
Béland, ancien président du Mouvement Desjardins. Il agissait à titre
d’animateur et devait coordonner les interventions de chacun des participants,
au-delà d’une centaine.
Cinq minutes
seulement étaient allouées à chacune des présentations, pas une seconde
de plus.
Lorsque Pierre
Péladeau prit la parole, il ne réalisa pas à quel point les minutes filaient
rapidement. Lorsque M. Béland lui donna le compte à rebours des 60 dernières
secondes, M. Péladeau s’exclama :
“ Mais je n’ai
pas fini de parler. ”
Non seulement
il dut se conformer à l’horaire, mais il fut outré d’avoir le même délai
pour son exposé qu’un étudiant qui n’avait même pas son diplôme en main, lui
qui possédait un empire de plus de deux milliards. Il le savait pourtant avant
de commencer, mais il ne l’a vraiment compris qu’à la dernière minute. Il
en ressortit frustré, surtout qu’il considérait que l’étudiant n’avait
raconté que des niaiseries. Après cet exercice, il devenait évident pour
tout le monde que Pierre Péladeau n’aurait jamais réussi dans la politique
active. Il étouffait s’il devait travailler sous la contrainte.
Mais il n’était
pas au bout de sa frustration. M. Péladeau voulait que l’on accorde à Quebecor
la reconnaissance que l’entreprise méritait. Lorsqu’elle n’était pas considérée,
comme ce fut le cas au Sommet économique, il se sentait rejeté, et, par le
fait même, l’ensemble de Quebecor.
À la toute fin
du Sommet de Québec, à la suite des discussions, on conclut qu’il était
impossible de parvenir à une solution globale pour l’économie. Il fut
décidé de fragmenter les efforts et de créer des comités sectoriels. Les
présidents de chacun de ces comités avaient été choisis et nommés par le
Premier ministre ; ils n’étaient pas élus par les participants. Ces comités
étaient censés poursuivre le travail à la suite du colloque. La procédure
de nomination n’était pas claire. Par contre, ce qui était clair pour Pierre
Péladeau, c’est que les directeurs de comités avaient été convoqués à huis
clos pour obtenir leur accord à leur nomination, mais pas lui.
On l’aurait
giflé en plein visage qu’il aurait eu la même réaction. Il ne parlait pas,
mais c’était évident qu’il était fâché. Durant la pause, immédiatement
après l’annonce divulguant le nom des chefs de comités, Pierre Péladeau
s’est levé et il m’a dit :
“ On s’en va.
– Mais monsieur
Péladeau, la cérémonie de fermeture est dans une heure, lui dis-je en me
rendant compte que quelque chose ne lui plaisait pas.
– On s’en va pareil
”, ajouta-t-il simplement, sans plus.
Je l’avais déjà
vu, à de nombreuses reprises tout au long de mon mandat, se lever et quitter
une réunion. Je savais qu’il essayait de contenir sa colère, mais dans le cas
du Sommet il ressentait aussi du chagrin.
Il n’en a jamais
parlé, et je n’ai jamais osé lui poser de questions sur le sujet. Par la
suite, si je mentionnais Lucien Bouchard pour un événement ou une occasion
quelconque, la réponse était brève, mais très éloquente :
“ Laisse faire,
ponctuait-il. Y a-t-il autre chose ? ”
Il fallut attendre
les inondations du Saguenay en juillet 1996 pour que les deux hommes reprennent
contact.
* * *
Pierre Péladeau
ne prenait pas souvent de vacances et n’avait pas beaucoup de loisirs. Ses
moments de détente, il se les accordait à Sainte-Adèle au bord de la piscine
ou encore en se promenant dans son jardin et dans la forêt avoisinante.
Il aimait aussi
aller à la pêche, non pas pour pêcher, mais pour relaxer, lire un peu et profiter
de la nature. Je l’ai accompagné à quelques voyages de pêche au camp de
l’usine Donohue situé près du lac Boileau dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Fidèle à ses habitudes, il invitait toujours des amis intimes avec lesquels
il avait envie de passer un peu de temps.
C’était tout de
même comique, parce qu’il n’allait jamais pêcher. Je ne l’ai jamais vu tenir
une canne à pêche, ni même accompagner les autres dans l’embarcation. Il
disait qu’il allait à la pêche, mais il restait sur le quai et se contentait
de regarder les autres avoir du plaisir à pratiquer ce sport. Il prenait
aussi beaucoup de plaisir durant les repas organisés par la cuisinière du
club de pêche à discuter avec ses invités, à profiter du poisson pêché
par les autres. Ces repas étaient sans doute aussi captivants que l’activité
de pêche comme telle, car les discussions étaient intimes et se déroulaient
dans une ambiance conviviale. M. Péladeau aimait inviter et recevoir ses
amis les plus proches à ce camp, et il essayait parfois d’en profiter pour
régler des dossiers d’affaires, comme ce fut le cas avec Yves Moquin.
En 1989, lors de
la fusion des éditions Le Nordet, propriété de Quebecor, avec les éditions
Transmo inc., propriété d’Yves Moquin, un différend survint dans le règlement
de la transaction.
Pierre Péladeau
aimait beaucoup Yves Moquin, qu’il avait connu à ses tout débuts. M. Moquin
fut l’un des premiers avocats, en 1972, au service juridique du siège
social de Quebecor. Ce service avait été créé à l’occasion de la première
émission d’actions publiques de Quebecor. Yves Moquin a travaillé chez
Quebecor jusqu’en 1979, année durant laquelle il décida de fonder sa propre
maison, les éditions Transmo inc. En mai 1989, il fusionna sa firme avec Quebecor
et les éditions Le Nordet, créant ainsi Publicor. M. Moquin devait rester
en poste jusqu’en 1992, date convenue pour le paiement final de la transaction.
La valeur du marché des magazines avait cependant baissé entre 1989 et 1992
et M. Péladeau voulait payer à rabais la transaction, ce que M. Moquin contestait.
Les deux hommes se respectaient et s’aimaient bien, ce qui n’empêchait
pas le désaccord sur le règlement financier de l’affaire.
La veille d’un
départ pour un voyage de pêche, prévu pour le 1er septembre 1995,
Pierre Péladeau croisa par hasard Yves Moquin dans un restaurant et lui dit
:
“ Yves, il faut
que l’on règle ça. ”
Ils discutèrent
un moment et je ne saurais dire si “ Monsieur P. ” avait en tête de régler le
conflit à son chalet, toujours est-il qu’il invita M. Moquin à se joindre
au groupe.
À sa grande surprise,
M. Moquin accepta. Arrivés au chalet, M. Péladeau était tout content
d’avoir rassemblé tout son monde. Cependant, lorsque vint le moment
d’attribuer les chambres, il se rendit compte qu’il y avait trop de personnes
pour le nombre de chambres disponibles. Et c’est ainsi que je fus contraint
de dormir dans la cabane du guide de pêche…
Ce voyage
n’avait cependant pas été suffisant pour amadouer M. Moquin au sujet du
règlement de leur entente.
Finalement, à
la fin de 1996, Quebecor paya la totalité de la somme selon l’entente initiale
avec Yves Moquin, incluant les intérêts et les frais juridiques. Il s’agissait
d’une transaction de plus de 20 millions de dollars.
Yves Moquin fut
l’un des seuls qui obtint gain de cause dans son différend avec Pierre Péladeau
en lui tenant tête et qui demeura son ami jusqu’à la fin.
Au moment du
règlement, M. Péladeau aurait même dit :
“ Bah ! je suis
bien content pour lui. ”
* * *
Pierre Péladeau
eut des relations et des échanges avec des gens de tous les horizons de la
société. Parfois, il se battait sans merci et il se défendait férocement
pour gagner à tout prix laissant souvent un goût amer aux perdants. Il disait
cependant que s’il faut toujours gagner, il faut aussi en laisser un peu sur
la table ; ne jamais partir avec tout le butin.
Parfois, il se
battait aussi pour le simple plaisir de jouer et de pousser l’autre jusqu’à
ses dernières limites, comme le ferait deux amis boxeurs s’entraînant
ensemble. Le combat contre Yves Moquin fut une sorte d’entraînement que
Pierre Péladeau tint avec son ancien employé et ami. Il savait qu’il était le
plus fort avec son empire Quebecor, mais il s’est battu honnêtement et le
meilleur a gagné la bataille du jour.
Cependant,
Pierre Péladeau voulait gagner la guerre, et il poursuivit ailleurs et avec
d’autres adversaires ses combats quotidiens.
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CHAPITRE 11
Histoires de
dons
C’était connu,
Pierre Péladeau gérait ses entreprises de façon parcimonieuse. Il avait
la réputation d’être près de ses sous. Il ne se cachait pas non plus pour
dire que lorsqu’il faisait son épicerie, il tenait à avoir en main des
bons-rabais découpés soigneusement. Pourtant, lorsqu’il s’agissait de
faire un don ou de venir en aide à un ami ou même à une personne recommandée
par un ami, il pouvait faire émettre un chèque dès le moment où sa décision
était prise, et parfois dans la minute même.
J’avais cru,
avant d’entrer à son service en 1991, que les dons distribués par Quebecor
à différentes œuvres et organisations à but non lucratif étaient administrés
par un comité ; que plusieurs personnes de l’entreprise se chargeaient
d’analyser les demandes et que ce comité, par la suite et avec l’accord du
président, procédait à la remise des dons.
Ce n’était absolument
pas le cas. Avant que je commence à travailler avec lui, M. Péladeau faisait
beaucoup de dons, en majorité très discrets. Peu de gens étaient au courant.
Les montants pouvaient varier du coût d’une simple facture d’épicerie à des
dizaines de milliers de dollars. Il agissait souvent spontanément et
secrètement. Mais après bon nombre d’années, les demandes ont commencé à
se multiplier, émanant de toutes sortes de groupes ou de personnes. Je
dirais qu’à la fin, je pouvais recevoir jusqu’à dix demandes par jour, et
je ne tiens compte que de celles qui parvenaient à mon bureau. Dès que l’on
donnait de l’argent à un groupe, c’était assuré, d’autres venaient nous voir
pour obtenir sinon le même montant au moins une contribution. Il fallait
exercer une forme de surveillance.
En ce qui concerne
Quebecor, les dons étaient gérés par une personne. M. Péladeau pouvait
bien prétendre qu’il y avait un comité qui décidait, il ne s’agissait que
d’une seule personne : lui-même.
Il avait été sensibilisé
à la philanthropie et au partage par son ami le père Marcel de La Sablonnière.
Le Centre Immaculée-Conception était situé, à l’époque, juste en face de son
bureau sur la rue Papineau.
Le Centre a été
fondé en septembre 1951, et il porte aujourd’hui le nom de Centre
Marcel-De-La-Sablonnière. M. Péladeau a beaucoup contribué aux œuvres du
père Sablon. J’ai eu l’occasion de côtoyer cet homme d’une grande générosité.
Il est décédé le 20 décembre 1999.
Un autre fait
qui marqua à vie Pierre Péladeau concernant le partage avec les moins
nantis fut la mort de son père. Même s’il n’avait que de vagues souvenirs de
lui, comme il l’a raconté à plusieurs reprises en public, il se souvenait de
la journée des funérailles d’Henri Péladeau. Avant la naissance de Pierre,
au moment où les affaires roulaient sur l’or pour la famille, son père avait
aidé beaucoup de gens autour de lui et dans tout le quartier. Des amis et des
familles dans le besoin avaient bénéficié de sa générosité lorsqu’ils
s’étaient trouvés en difficulté financière. Henri avait le cœur sur la
main. À sa mort, il était ruiné. Il n’y avait même pas dix personnes à son
enterrement. Personne ne se souvenait qu’il n’avait jamais hésité à distribuer
le contenu de ses coffres quand ils étaient bien remplis.
Pierre Péladeau
n’a jamais oublié cette journée marquée par l’ingratitude des gens.
Dès le début de
sa participation à “ ses œuvres ”, comme il les appelait, il avait déterminé
le créneau précis qu’il préférait. Chaque entreprise choisissait ses secteurs
d’activités caritatives. Chez Vidéotron, par exemple, on s’engageait
beaucoup dans les compétitions sportives avec des commandites de prestige.
Pour M. Péladeau, même si le sport était l’un des éléments les plus vendeurs
du Journal de Montréal, il ne s’y intéressait pas lorsque venait le
temps de faire ses choix. “ Ses œuvres ”, c’étaient les artistes, la musique
et les personnes aux prises avec des problèmes d’alcool.
Pour toute organisation
philantropique, veiller à ce que les bénéficiaires fassent bon usage
des sommes reçues était la partie la plus difficile à gérer. À ce chapitre,
Pierre Péladeau excellait.
Érik Péladeau
voulait une structure officielle pour la gestion des contributions, mais
son père ne pensait pas que c’était une bonne idée. D’ailleurs, nous avions
déjà essayé la méthode du comité lorsque j’avais travaillé la première fois
sur le rapport annuel de 1991 de Quebecor. Nous avions regroupé plusieurs
personnes à différents paliers, dont ceux de la comptabilité, du secrétariat
juridique et de la firme de design graphique Vasco design. À la fin, nous
lui avons présenté le produit du consensus du comité. Il n’a pas aimé le
résultat. Il m’a donné une photographie de la façade de l’édifice de la
rue Saint-Jacques et il m’a dit que c’était ce qu’il voulait voir en page couverture.
C’était une belle photographie de l’édifice, mais elle avait été prise par
un amateur. Il a fallu la faire corriger en imagerie. Même après un mois
de travail, il trouvait que cette photographie était plus représentative
de ce qu’était Quebecor que toutes les autres que nous lui avions proposées.
Il aimait les gens simples et les choses simples. J’ai compris que la simplicité
devait également dominer quand il s’engageait dans la communauté.
Donc, je recevais
les demandes. Je les cumulais et les lui acheminais une fois par mois avec
mes recommandations pour qu’il les étudie. Je devais faire une première
élimination. La plupart du temps, je savais que certaines demandes,
particulièrement en théâtre et en sport, ne l’intéresseraient pas, alors je
les mettais de côté et j’écrivais une lettre de refus. Il favorisait les
jeunes artistes et le secteur de la santé. Il avait à cœur plusieurs causes
comme la Maisonnée de Laval, Ivry-sur-le-Lac, l’Auberge du Nouveau Chemin,
la fondation de l’hôpital Hôtel-Dieu, l’Orchestre métropolitain, le
Pavillon des Arts de Sainte-Adèle, pour ne nommer que ceux-là. Il mettait
tout en œuvre pour que ces organismes aient du succès. Lorsqu’il croyait en
une cause, il était infatigable et pouvait y consacrer un nombre incalculable
d’heures, parfois plus que pour Le Journal de Montréal et ses imprimeries.
Pour le Pavillon
des Arts, par exemple, il ne comptait pas son temps ; il décidait de la
maquette du programme, des artistes et des photographies. S’il le fallait,
il mobilisait même ses secrétaires Micheline Bourget et Nicole Germain
pour l’assister, en plus de ma secrétaire Martine Bérubé qui s’en occupait
à temps presque complet.
Il donnait en
moyenne deux millions de dollars par année, y compris la publicité gratuite
et les services. Une année, le montant de l’apport publicitaire dans les
journaux s’est élevé à 225 000 $ uniquement pour le Pavillon des Arts.
Il était tellement
efficace quand il se consacrait à une œuvre, qu’il avait même réussi à générer
des profits pour le Pavillon des Arts pourtant démarré comme activité à but
non lucratif. À un certain moment, il s’est dit : “ Je donne de l’argent, je
ne vois pas pourquoi mes fournisseurs que je paye bien et qui font des profits
avec mes entreprises n’en mettraient pas dans mes œuvres. ” Alors il a sollicité
Hydro-Québec, les banques, les bureaux d’avocats et de comptables, ainsi
que la plupart des fournisseurs de Quebecor 1. À la fin, le
Pavillon recevait dans ses coffres plus d’argent qu’il n’en dépensait.
En l’espace de
quelques années, nous avons recueilli au total plus 120 000 $ en commandites
pour le Pavillon.
Il pouvait
venir me consulter deux fois par jour pour des questions concernant le
Pavillon. Il avait aussi recours aux conseils de Marie Rémillard, alors directrice
de l’Orchestre métropolitain, dont il finançait aussi les activités. Il
voulait qu’elle lui propose de jeunes artistes en pleine ascension. Il ne
les choisissait jamais au hasard. Il fallait qu’il aime leur travail.
De nombreux
artistes québécois doivent beaucoup à Pierre Péladeau pour l’aide qu’il
leur a accordée d’une façon ou d’une autre durant leur carrière. Péladeau
entretenait d’une manière continue d’étroites relations avec tout le
milieu artistique qu’il aimait.
Pour ajouter
encore un peu plus de crédibilité aux soirées du Pavillon des Arts de
Sainte-Adèle, je lui avais proposé d’inviter une personnalité du milieu
artistique pour agir à titre de maître de cérémonie. Il fut énormément
séduit par ce concept qui lui permettait de solliciter un acteur, un journaliste
ou un chanteur populaire pour présenter le concert au Pavillon. Évidemment,
on publiait une photographie de la personnalité dans Le Journal de
Montréal et dans Échos Vedettes. Comme il fallait s’y attendre,
une fois que l’idée était lancée, la marchandise devait être livrée sans
délai.
Il a dressé une
liste de ceux qu’il voulait accueillir comme animateur et je me suis mis au
travail pour les contacter officiellement 2. À partir de ce
moment, en septembre 1992, une pléiade de vedettes ont visité le Pavillon
pour y animer les soirées hebdomadaires. De Julie Snyder à Mitsou, en
passant par Albert Millaire, Jean-Luc Mongrain ou Simon Durivage. Tous ceux
que nous avons invités ont accepté avec empressement.
* * *
À mes débuts en
1991, M. Péladeau avait été pressenti pour financer une salle de spectacle
pour l’université du Québec à Montréal. Cet événement coïncidait avec
l’époque de la crise entraînée par la publication d’un article dans le
magazine L’Actualité, lequel allait déclencher une campagne de boycottage
à son égard.
Il y eut un vif
mouvement de contestation de la part des professeurs de l’UQÀM qui ne
voulaient pas que le Centre soit nommé d’après le signataire du chèque. Ils
voulaient bien de l’argent, mais ils ne voulaient rien entendre d’un Centre
Pierre-Péladeau.
À l’origine,
c’était une idée qui avait germé dans la tête de Pierre Jasmin, pianiste et
ami de Pierre Péladeau. M. Jasmin avait déjà bénéficié de l’appui financier
de M. Péladeau et il avait amorcé les premières démarches pour la création
du Centre. Il avait fait part de ses intentions à Pierre Péladeau en lui
expliquant comment le projet pourrait profiter à Quebecor. Les agences
culturelles des différents gouvernements avanceraient les premières
mises de fonds, mais pour concrétiser le projet, il fallait aussi de l’investissement
privé. M. Péladeau était flatté non seulement qu’on lui demande d’intervenir,
mais également parce qu’il avait toujours rêvé d’avoir un centre portant
son nom, comme c’était le cas des Bronfman et des Desmarais. C’était un statut
qu’il leur enviait et avec ce projet de l’UQÀM, il avait la chance réaliser
un vieux rêve.
Mais les discussions
n’avançaient pas tellement bien, car certains professeurs prétendaient
qu’un centre de haut savoir devait également porter un nom prestigieux.
Pour certains, Pierre Péladeau ne représentait pas la culture universitaire
et il était un peu trop coloré. Pourtant, ce dernier était loin d’être un
autodidacte. Il possédait une licence en philosophie de l’université
de Montréal et une autre en droit de l’université McGill. Il avait reçu un
doctorat honoris causa de l’université du Québec en 1985, il en
reçut un second de l’université de Sherbrooke en 1996 et un autre de l’université
Laval en 1997. Il avait été premier chancelier de l’université Sainte-Anne
de Nouvelle-Écosse en 1988, nommé Membre de l’Ordre du Canada en 1987 et reçu
officier de l’Ordre national du Québec en 1989. On lui décerna le titre
d’officier de la Légion d’honneur en 1997.
On a finalement
pu s’entendre pour que le Centre porte le nom de Pierre Péladeau, mais que
la salle de concert soit baptisée en l’honneur d’un musicien contemporain,
Pierre Mercure. Il faut souligner le travail de la vice-rectrice Florence
Junca-Adenot dans le dénouement de cette crise.
Toutefois, ce
n’est pas parce qu’il avait obtenu son nom pour le Centre que Pierre Péladeau
allait fermer les yeux sur la gestion. Il surveillait entre autres de très
près la promotion que la direction du Centre faisait dans les journaux au
sujet des spectacles présentés. On annonçait parfois que les spectacles
se déroulaient à la salle Pierre-Mercure, mais on oubliait de mentionner le
nom du Centre Pierre-Péladeau. Cette omission le mettait en colère et il me
demandait toujours de téléphoner au directeur général pour lui dire de
faire corriger la chose. Un jour, il a même menacé de faire un arrêt de paiement
sur le chèque de sa contribution. Je lui ai répondu qu’on ne pouvait pas
faire une chose pareille. Il s’est arrêté net et il a demandé :
“ Comment ça,
on ne peut pas faire ça ?
– Mais M. Péladeau,
parce que le chèque est encaissé depuis un an déjà. ”
Il aurait voulu
qu’il en soit autrement, mais, dans ce cas-là, c’était trop tard. Alors il
envisagea sérieusement de ne plus commanditer aucun événement présenté
par le Centre. Il n’aimait pas non plus Éric Larivière, alors directeur en
place. Et s’il n’aimait pas quelqu’un, il n’aimait pas son travail même si
la personne était efficace dans ses fonctions. Avec lui, c’était blanc ou
noir. Il n’y avait pas de zone grise. Il trouvait que la programmation du
Centre Pierre-Péladeau était trop snob et ne touchait pas assez les gens ordinaires.
C’était paradoxal
de sa part, car il admirait des musiciens de la trempe d’Alain Lefevre et
d’Alexandre Da Costa. Il adorait aussi Pierre Jasmin. Il trouvait qu’il
interprétait Beethoven d’une façon magistrale. À tel point qu’il avait
même offert au pianiste de lui acheter une maison voisine de la sienne à
Sainte-Adèle pour qu’il puisse venir jouer lorsque M. Péladeau recevait. Et
il recevait beaucoup. Pierre Jasmin a poliment refusé.
Pierre Péladeau
aidait aussi des écrivains. S’il trouvait que tel ou tel autre avait du
talent et qu’il aimait ses écrits, il faisait en sorte que l’auteur soit
publié. Mais il s’attendait aussi à ce que l’auteur continue de produire
et de progresser.
Son soutien
financier laissait aussi une place importante aux peintres. Le Pavillon des
Arts était un centre de vernissage et d’exposition. Pierre Péladeau
tenait en haute estime les artistes, par exemple Armand Vaillancourt qu’il
considérait comme un homme qui se tenait debout et qui défendait ses idées.
De plus, les deux hommes détestaient allègrement Pierre Trudeau, point commun
qui les rapprochaient. Une sculpture de Vaillancourt est installée devant
Le Journal de Montréal, rue Frontenac.
À partir du
moment où Quebecor aidait un pianiste, un peintre ou un écrivain, de nombreux
autres se pointaient pour être subventionnés. Dans leur esprit, si l’entreprise
aidait un pianiste, il fallait aider tous les autres. Ce n’était pas facile
de gérer toutes les demandes. J’ai lu et entendu toutes sortes d’arguments.
Pour plusieurs, Quebecor avait l’obligation de donner. Or, contrairement
aux agences publiques qui sont créées à cette fin, l’entreprise privée n’a
pas vraiment l’obligation de subventionner des projets culturels ou
communautaires.
C’est un choix
de direction et Péladeau choisissait ses causes, tout en exigeant que les
bénéficiaires encouragés se montrent à la hauteur.
Pierre Péladeau
était un organisateur-né, un rassembleur hors pair. Dès son jeune âge, il en
avait fait la preuve à maintes reprises lorsqu’il s’agissait de regrouper
des gens, de présenter des débats ou même de participer à une campagne
électorale. Il a très souvent raconté les motifs de son expulsion du collège
Brébeuf : il avait promis de distribuer des dépliants pour appuyer Jean Drapeau,
candidat à la mairie. La direction du collège l’avait averti de cesser
cette activité politique qui allait par ailleurs à l’encontre du parti
pris qu’avait le clergé contre le futur maire, et qui lui préférait le général
Laflèche, son opposant, favorable à la conscription. Mais Pierre Péladeau
avait fait la promesse de distribuer ces tracts et, pour lui, il était impensable
de rebrousser chemin. Comme il se doit, il fut renvoyé. Entre-temps, il
avait tout de même eu le temps de dresser des listes de noms et de distribution
parmi les étudiants. Il se donnait à fond dans tout ce qu’il entreprenait
et faisait en sorte que son entourage en fasse autant.
Même quarante
ans plus tard, il était inépuisable dans la gestion de ses affaires et
encore plus dans ses œuvres. Financer l’Orchestre métropolitain ne se
limitait pas à la signature d’un chèque. Il fallait aussi que la salle soit
pleine. Pour y parvenir, il fallait que tout le monde mette la main à la
pâte et à tous les paliers de l’organisation. Il se préoccupait de la
programmation qu’il voulait accessible à tous. C’était sa façon de contribuer
à la culture.
À presque tous
les concerts de l’Orchestre métropolitain, il se trouvait des gens dans
l’audience qui applaudissaient – et qui applaudissent toujours aujourd’hui
– entre les mouvements. Il est d’usage que l’on garde le silence jusqu’à la
fin de l’œuvre. C’est une évidence pour les vrais connaisseurs de musique
classique. Si ces applaudissements indisposent souvent les chefs d’orchestre
ou les autres dans la salle, Pierre Péladeau, au contraire, était rassuré en
les entendant. Il se disait qu’il avait réussi à amener des gens ce soir-là
qui découvraient cette musique pour la première fois et qu’ils reviendraient.
C’était aussi une grande preuve de démocratie et de rapprochement avec la
population.
Il ne faut
jamais oublier que même s’il avait grandi dans une certaine pauvreté, il
avait été éduqué dans un milieu bourgeois et cultivé. Mais il a toujours
préféré fréquenter les gens simples et sans prétention.
Il pouvait brasser
des millions, mais il restait un être très frugal. Son plus grand plaisir
était de manger un sandwich aux œufs accompagné de sa boisson gazeuse préférée.
Il avait une
grande sympathie pour les miséreux et ne détournait pas le regard devant
eux. Je me souviens de l’avoir accompagné un jour où il cherchait une école
pour son fils Simon-Pierre. Il avait entendu parler d’un établissement qui
avait pignon sur rue dans Saint-Henri, un quartier défavorisé de Montréal.
Je m’y suis rendu avec lui dans ma voiture. Nous avons vu une famille démunie
assise sur le balcon de son appartement. Je lui ai demandé s’il était possible
pour ces gens de sortir de leur misère. Il m’a dit en les regardant d’un air
triste :
“ Ce n’est pas facile
pour eux de s’en sortir. Presque impossible. ”
Une autre anecdote
montre bien comment il pouvait résoudre un problème avec des solutions
très terre-à-terre. Le directeur du collège où étudiait Simon-Pierre avait
informé M. Péladeau que son fils, alors âgé de 16 ans, n’obtenait que de piètres
résultats scolaires et qu’au point où il en était, il risquait d’échouer ses
examens.
Pierre Péladeau
avait bien essayé de raisonner son fils pour le motiver à se concentrer et
à se donner à fond dans ses études. Il lui soulignait les avantages qu’il y
avait à étudier dans l’un des meilleurs collèges privés, ce qui n’était pas
donné à tous. Aucun argument ne déclenchait la réaction salutaire qui aurait
pu propulser Simon-Pierre parmi les premiers de classe.
Pierre Péladeau
détestait se buter à un mur quand il voulait des résultats. Il est arrivé un
bon matin avec l’intention d’aller confisquer la voiture de l’adolescent,
laquelle était bien sûr immatriculée au nom de Pierre Péladeau. Je
considérais le plan audacieux et la mesure draconienne, mais le principal
intéressé ne trouvait pas de meilleure solution.
J’ai été délégué
comme second avec Yves Paradis, pilote d’hélicoptère et chauffeur de M. Péladeau,
pour aller “ kidnapper ” la voiture de l’indiscipliné. C’était digne d’un
épisode de James Bond. Il a fallu se cacher dans le stationnement du collège
et s’assurer que Simon-Pierre était bien en classe. Le dernière chose au
monde que je voulais à ce moment-là était d’arriver nez à nez avec fiston,
en train de “ voler ” sa voiture. Une fois de retour au bureau, nous avons
laissé la voiture dans le stationnement de l’édifice et remis les clés à
papa qui, entre-temps, avait pris bien soin de prévenir le directeur. Il y
avait de fortes chances que Simon-Pierre aille le voir, en état de panique,
pour l’avertir du vol de sa voiture.
Le directeur ne
trouvait pas souvent ce genre d’écho de la part de parents à qui il devait
rendre des comptes. Il a félicité M. Péladeau d’avoir trouvé le temps de
prendre cette initiative inusitée. Je n’ai plus entendu parler des résultats
scolaires de Simon-Pierre par la suite.
Ce fait, anodin
pour certains, n’est qu’un des innombrables gestes que Pierre Péladeau pouvait
poser quand il voulait des résultats.
Autant il pouvait
faire de généreux dons, autant il était aux aguets dans la gestion des dépenses.
Il surveillait tout. On ne pouvait pas lui “ en passer une ” et il était fortement
déconseillé de le tester, car il s’en apercevait toujours. Si on trompait sa
confiance une fois, il ne pardonnait jamais. Je devais faire attention.
Un jour, j’ai
fait imprimer une centaine d’exemplaires de sa photographie officielle
pour la distribuer aux médias et réalimenter notre provision. Je lui ai
présenté la facture du photographe. Il est venu dans mon bureau vérifier
le paquet de photographies et s’assurer que le compte y était.
Pour les dons,
il faisait toujours un suivi afin de s’assurer qu’ils étaient utilisés à
bon escient et pour la bonne cause. Il fouillait partout pour en être certain.
Il ne faisait pas un don pour l’oublier ensuite. S’il découvrait qu’on
l’avait floué ou qu’on lui avait menti, il envoyait son infanterie. Il pouvait
faire un arrêt de paiement sur un chèque encore en circulation, et le nom
du ou des coupables s’ajoutait à sa liste noire. C’était définitif et sans
appel.
Il appréciait
aussi que ceux qui recevaient l’en remercient. Si on se contentait d’encaisser
le chèque et que l’on disparaissait comme si rien n’était arrivé, et cela
se produisait parfois, il n’appréciait pas du tout. C’était une marque
d’ingratitude et il était inutile de se présenter l’année suivante pour
renouveler la demande.
L’ingratitude
des gens est parfois triste à constater. Souvent, des personnes dont la
demande était acceptée regardaient le montant reçu et revenaient en disant
: “ Il pourrait m’en donner plus. ”
Pierre Péladeau
avait une autre manie qui fait maintenant partie des pratiques généralisées
de recyclage : il utilisait le verso des lettres qu’il recevait, mais dont
le contenu ne l’intéressait pas. Lorsqu’il en avait une bonne quantité,
il la remettait à sa secrétaire qui s’occupait de les faire couper en quatre.
Il utilisait ces feuillets afin d’écrire des notes destinées à son personnel.
Un jour, je
reçus un appel d’un homme plutôt anxieux qui m’expliqua qu’il attendait une
réponse de Pierre Péladeau depuis longtemps à propos de son projet. Je
l’écoutai attentivement me décrire toutes les démarches qu’il avait
entreprises pour sa demande de don. Si je me souviens bien, il s’agissait
d’une compétition de cyclisme. Pendant qu’il me parlait, je lisais machinalement
un des “ petits papiers ” que “ Monsieur P. ” m’avait adressé. Au verso, il y
avait les coordonnées de mon interlocuteur. Je me sentis mal. Si la lettre
avait abouti sur la planche à découper, il était certain que sa demande
n’avait pas été retenue. Il fallait que je trouve les mots pour lui expliquer
que “ notre comité ” n’avait malheureusement pas acquiescé à sa demande.
Pierre Péladeau
demandait régulièrement à rencontrer les gens qui lui adressaient une
demande de don. Lorsqu’il n’était pas certain du jugement qu’il portait sur
une personne, il me demandait de la rencontrer pour vérifier s’il faisait
fausse route ou non. En principe, il avait un bon jugement, mais il m’est
arrivé de le faire changer d’opinion. Il remerciait toujours la personne
d’avoir pris le temps de venir le rencontrer et s’il la raccompagnait jusqu’à
mon bureau en me disant de m’occuper d’elle, généralement, ça voulait
dire “ débarrasse-m’en ”.
Si le projet
lui plaisait, il m’adressait un “ petit papier ” ou venait en personne me
dire : “ Appelle la comptabilité et demande leur de faire un chèque ” pour
tel ou tel montant. Le chèque était émis le jour même.
Il lui est aussi
arrivé de donner de l’argent à un artiste qui ne l’avait pas sollicité. M.
Péladeau avait assisté à son concert et il l’avait aimé. Sachant qu’il
n’était pas très en moyen, il lui avait envoyé un cadeau pour l’encourager à
continuer.
On ne l’approchait
pas uniquement pour lui demander de l’argent. Il était extrêmement convoité
comme conférencier pour des chambres de commerce, des entreprises, des
congrès. À ce chapitre, ceux qui n’étaient pas encore sur notre liste de dons
à faire étaient dans celle des conférences à donner.
À mes débuts
chez Quebecor, Pierre Péladeau donnait les conférences gratuitement
parce qu’il disait ne pas avoir besoin de cet argent-là. Pour lui, c’était une
contribution à une cause : s’il ne donnait pas d’argent, il donnait de
son temps. Mais il se préoccupait de voir parfois des places vides dans
les salles où il prenait la parole. On revenait toujours au même principe :
aller chercher le maximum. Il en était venu à la conclusion que s’il demandait
un cachet pour donner sa conférence, les organisateurs travailleraient
plus fort pour remplir la salle. Mais il n’était pas à l’aise pour demander
un cachet à des associations qui organisaient des événements pour amasser
des fonds.
Je lui ai alors
suggéré de prendre le cachet et de le verser à une œuvre de son choix. De
cette façon, il rendrait service à un plus grand nombre de personnes.
C’est ce qu’il a fait par la suite. Il a donné plus d’une centaine de conférences
pendant mon séjour chez Quebecor. Vers la fin, il demandait entre 5 000 $
et 10 000 $ et il remettait la somme à l’une de ses œuvres personnelles.
Il a aussi donné
son cachet lorsqu’on lui a demandé de faire une annonce publicitaire pour
Loto-Québec en juillet 1996. Il avait d’abord demandé 5 000 $. Du côté de
Loto-Québec, la jeune femme qui régissait la production a poussé quelques
soupirs en disant que le budget était plutôt le tarif de base de l’Union des
artistes, soit environ 800 $. Pierre Péladeau avait prévu un montant plus
élevé. Il voulait 5 000 $ minimum.
La publicitaire
lui a répondu qu’elle devait d’abord vérifier avec son patron et qu’elle lui “
reviendrait ” à ce sujet.
Il a ajouté : “
C’est ça, reviens-moi vite ! ”
Une semaine plus
tard, la jeune femme rappela :
“ Bonjour M.
Péladeau. Pour votre cachet, c’est accepté pour 5 000 $.
– J’ai pensé à
tout ça et maintenant ce n’est plus 5 000 $, c’est 10 000 $ que je veux.
– OK ! C’est
d’accord ! ” répondit-elle sans le contredire.
Dès lors, elle
savait à qui elle avait affaire. Et les 10 000 $ ont été versés à une œuvre à
but non lucratif.
Pierre Péladeau
participait aussi à des projets de plus grande envergure. Au cours des
deux dernières années de sa vie, il s’était intéressé à deux projets bien
précis, dont la Chaire de l’entrepreneurship, qu’il n’eut jamais la chance
de terminer. C’était pourtant son intention. Il m’avait dit en novembre
1997, quelques jours avant sa crise fatidique : “ On règle ça avant Noël ”.
Quand il prenait ce ton, je savais que la chose allait être réglée aussitôt.
Mais, auparavant,
il y a eu l’épisode des inondations au Saguenay le 20 juillet 1996 et l’histoire
du don de un million de dollars.
Il était ami
avec Yvon Martin, publicitaire et fondateur de Publicité Martin, qu’il
fréquentait régulièrement et avec qui il voyageait souvent en hélicoptère
de Sainte-Adèle à Montréal. Je me souviens d’une anecdote mémorable qui
s’est produite en compagnie d’Yvon Martin lors de l’ouverture du cabaret
du Casino de Montréal. Pierre Péladeau y assistait. Après la soirée, il
décida d’aller tenter sa chance au jeu. M. Péladeau avait en poche 1 200 $ ;
c’était le budget qu’il s’était fixé pour la soirée. Il les a perdus en cinq
minutes à la roulette. Puis il nous a regardé et a déclaré d’un ton sans équivoque
:
“ Moi, je m’en
retourne dans le Nord. ”
Il s’est levé et
il est parti nous laissant en plan, Yvon Martin, Carole Gagné de la Banque
nationale, et moi. Il nous avait emmenés en hélicoptère, mais il nous a
fallu rentrer par nos propres moyens.
Le déluge avait
provoqué cette incroyable catastrophe que l’on sait à Chicoutimi. Il
était touché par ce drame. Il en parla à Yvon Martin.
“ J’ai l’intention
de faire un don pour les sinistrés du Saguenay. Ce serait bon pour eux et ce
serait bon aussi pour Quebecor. Je vais leur donner 100 000 $.
– Ben voyons
Pierre ! 100 000 $, c’est pas assez !
– Comment ça,
c’est pas assez ?
– Si tu veux que
ça vaille la peine, il faut que tu donnes un million. Là, ça vaut la peine et
les médias vont en parler. ”
La réplique ne
se fit pas attendre :
“ Un million !
Es-tu fou ? ”
Mais pas si fou,
parce qu’une fois l’idée en tête, elle avait commencé à germer et Pierre Péladeau
aimait vraiment ce concept. Il est entré en coup de vent dans mon bureau dès
son retour rue Saint-Jacques et il m’a dit :
“ Quebecor va
donner un million au Saguenay ! Viens me voir qu’on travaille ça ! ”
Il a fallu “ travailler
ça ”. Je l’ai d’abord taquiné quand il a téléphoné à Lucien Bouchard, Premier
ministre en poste. M. Péladeau ne lui avait plus adressé la parole et l’avait
rayé de son vocabulaire depuis le Sommet économique de Québec en 1996.
“ Comme ça, vous
avez fini par lui parler ! ” lui dis-je en souriant.
Il me répondit
avec dépit :
“ Y’a ben fallu
! J’avais pas le choix ! ”
Ce fut ensuite
la chaîne d’appels téléphoniques. Il avait pris sa décision finale : Quebecor
donnait un million au Saguenay et il voulait le faire savoir maintenant.
Ce qui semblait une chose simple s’est compliquée et a fini par l’embêter
plus que toute autre. S’il donnait un million ou dix dollars, il voulait
savoir où allait l’argent et qui le dépensait. Avec l’épisode du Saguenay,
le gouvernement Bouchard en collaboration avec les autorités de la
région sinistrée avaient demandé l’aide du public d’un commun accord, mais il
fallait envoyer les dons en argent, en nourriture ou en vêtements à la
Croix-Rouge qui, elle, se chargerait de la redistribution et de la coordination
générale.
Cette marche à
suivre ne plaisait pas du tout à M. Péladeau. Il aurait voulu contrôler
l’utilisation de son million par l’entremise de la direction des hebdomadaires
à Jonquière. De plus, il était convaincu qu’avec une contribution de
cette importance provenant d’une entreprise privée, d’autres entreprises
comme Bombardier, Power Corporation, de même que tous les géants de l’industrie
au Québec, emboîteraient le pas. Il était content rien qu’en pensant à
tout ce qu’il était possible d’aller chercher grâce à son initiative.
Ensuite, il voulait
que la source du million soit répartie comme suit : 400 000 $ des Imprimeries
Quebecor et 600 000 $ de Donohue.
“ Nous avons des
usines au Saguenay et des hebdomadaires. C’est normal que l’on s’occupe
de notre monde. ”
Charles-Albert
Poissant, son associé de la première heure et président de Donohue,
n’était pas d’accord. À partir de ce moment, j’ai littéralement été pris
entre l’arbre et l’écorce. M. Poissant n’était pas contre l’idée de donner
l’argent, mais il voulait en assumer la décision et que ce fut Donohue qui
en obtînt tout le crédit sur la place publique. M. Péladeau, de son côté, ne
voyait qu’un nom pour toutes ses filiales : Quebecor. Qu’il s’agisse d’une
imprimerie située en Beauce ou d’un hebdomadaire à Jonquière, c’était Quebecor.
Il ne voulait pas faire de différence. Il avait travaillé toute sa vie en
croyant à la force d’un groupe fort et solidaire, il n’allait certainement
pas déroger à cette idée, surtout pas pour un million de dollars. À la fin
de ce jeu de balle, j’étais encore le messager porteur de mauvaises nouvelles
balloté de M. Poissant à M. Péladeau.
Charles-Albert
Poissant avait beau me dire d’insister auprès de M. Péladeau pour le faire
changer d’idée, il le connaissait depuis plus longtemps que moi et devait
donc savoir qu’une fois que le grand patron avait pris sa décision, c’était
IMPOSSIBLE de l’en dissuader.
Il y eut un chèque
de un million de dollars émis à la Croix-Rouge dont 600 000 $ venaient de Donohue
et 400 000 $ des Imprimeries Quebecor, comme prévu.
Ce n’était pas
tout. Il a tenu à aller présenter le don de Quebecor en personne à Chicoutimi.
Nous nous y sommes rendus avec son hélicoptère. Une fois sur place, il a
rencontré le directeur de la Croix-Rouge responsable de l’opération de
financement et lui a demandé quelle somme le comité de secours avait reçu en
plus de son million.
Je ne sais pas
avec quels mots décrire la déception de M. Péladeau lorsqu’il s’est aperçu
qu’il n’y avait pas eu de suivi, pas d’effet d’entraînement comme il l’espérait.
Ce qui le déprima le plus fut de constater qu’au lieu d’être motivés pour
activer les démarches et faire fructifier cette contribution, les gens
de l’organisation n’avaient pas vraiment fait d’efforts supplémentaires
pour solliciter d’autres entreprises. M. Péladeau n’en revenait pas. Il
était d’autant plus aigri par cette léthargie qu’il avait la conviction que
s’il avait pu gérer ce don lui-même, il y en aurait eu dix fois plus dans les
coffres du comité de secours.
Une importante
inondation frappa une région de la Saskatchewan dans les jours qui suivirent.
M. Péladeau piqua une sainte colère lorsque, pour tourner le fer dans la
plaie, il apprit que la Croix-Rouge avait utilisé les fonds de secours du
Saguenay pour en donner une partie aux sinistrés de l’autre province. Il
trouva le geste inacceptable et incompréhensible.
“ J’ai donné cet
argent pour aider mon monde, pas les autres d’ailleurs. C’est au Québec que ça
devait rester. Je savais que je ne pouvais pas faire confiance au gars de la
Croix-Rouge. ” Il n’a jamais digéré cet épisode.
Son dernier projet
philanthropique, qu’il considérait comme sa dernière grande contribution
à la société, fut la création d’une chaire d’entrepreneurship consacrée
aux jeunes. Dans ses discours et ses rencontres, il ne ménageait jamais
ses conseils à ceux qui venaient lui en demander, surtout s’il s’agissait
de création d’emplois et de jeunes entreprises. Ce travail l’inspirait
et il voulait faire davantage pour pousser les jeunes qui désiraient se
prendre en main et réussir.
L’idée de cette
chaire lui est venue au cours de ses voyages qui l’amenaient à donner des
conférences un peu partout. Il aimait la région de Moncton. Il trouvait
que les Acadiens étaient énergiques et solidaires de leur milieu. Lors
d’une conférence à l’université de Moncton le 25 janvier 1997, il avait
parlé de cette idée au recteur et à des directeurs de département.
Au départ, M.
Péladeau prévoyait un projet modeste. Il voulait commencer avec un montant
de 100 000 $ à 150 000 $ réparti entre deux ou trois universités. Les universités,
quant à elles, visaient plutôt autour de un ou deux millions de dollars.
Elles voulaient aussi avoir l’argent et le gérer tandis que M. Péladeau voulait
s’occuper de la gestion à partir de Quebecor.
L’université
de Moncton lui plaisait beaucoup. Il y trouvait l’esprit d’action qu’il
cherchait, mais il considérait que c’était trop loin de Montréal. Il
aurait été appelé à se déplacer et il n’avait plus tellement d’énergie à
consacrer à des voyages.
Plusieurs
autres universités voulaient aussi obtenir la chaire. Les gens de l’université
Laval prétendaient qu’ils représentaient l’entrepreneurship au Québec,
les gens de l’université de Sherbrooke disaient la même chose ; l’École des
hautes études commerciales proposait de joindre un surcroît d’étudiants,
tandis que l’université du Québec à Montréal se disait jeune, dynamique,
etc. Bref, il y avait plusieurs vendeurs.
Finalement,
les gens se sont parlé entre eux et c’est Laurent Beaudoin, président de
Bombardier, qui a communiqué avec Pierre Péladeau pour lui proposer une
rencontre au club Saint-Denis. Cette rencontre devait réunir l’ensemble
des représentants des grandes universités du Québec et faire débloquer
le projet. M. Beaudoin représentait l’université de Sherbrooke.
Il fallait voir
le groupe et la différence de mentalité qui existait entre les universitaires
et les entrepreneurs présents. Les choses n’allaient pas assez vite au
goût de M. Péladeau. Ce n’était pas dans sa nature de créer de comités de gestion
ou d’étude. Il trouvait que les universitaires perdaient trop de temps à
rédiger des rapports que personne ne lisait. Les universitaires pensaient
théorie, M. Péladeau pensait pratique. Il faut essayer de vous l’imaginer
avec le doigt pointé vers le ciel, comme sa mère Elmire Péladeau.
“ Je ne veux pas
financer des chercheurs, je veux financer des trouveurs. ”
Il avait constaté
que, même avec la meilleure volonté du monde, les jeunes avaient souvent de
la difficulté à présenter leurs projets devant les financiers. Si on ne
leur montrait pas comment faire un plan d’affaires, comment préparer un
bilan, comment parler à un banquier, ils avaient beau avoir tous les diplômes
imaginables, ils n’obtiendraient pas une marge de crédit.
Au fur et à
mesure que la réunion avançait, je voyais que l’on essayait de mettre de
l’eau dans son vin des deux côtés de la table et la volonté de trouver un terrain
d’entente était palpable. Connaissant M. Péladeau, je n’avais aucun doute
qu’il finirait par l’avoir sa chaire de l’entrepreneurship et qu’elle contribuerait
à former de grands gestionnaires.
Pierre Péladeau
avait déjà financé des bourses d’études dans un programme conjoint réalisé,
entre autres, avec Marcel Couture d’Hydro-Québec. Il avait bien voulu y contribuer,
mais il avait aussi voulu savoir ce à quoi servaient les bourses. Une année,
il apprit que la bourse qu’il avait payée avait été remise à une étudiante en
biologie qui avait élaboré une “ patente ” dont le nom était imprononçable
et qui ne servait strictement à rien dans la théorie comme dans la pratique.
Cette “ patente ” ne serait jamais développée ailleurs que dans cette session.
Il fut d’autant plus amer que la récipiendaire ne lui adressa jamais un mot
de remerciement. Il ne voulait pas que les fonds de la chaire d’entrepreneurship
soient dépensés de la même façon, pour des “ patentes ” inutiles.
Le projet de
chaire vit le jour, mais uniquement après sa mort, en février 2001. Cette
chaire est dirigée par Pierre Laurin, président, et Laurent Lapierre,
professeur titulaire à l’École des hautes études commerciales.
Pierre Péladeau
a reçu plusieurs honneurs durant sa vie, mais parfois c’étaient de simples
petites démonstrations qui le touchaient le plus. Ce fut le cas lorsque le
président de la Banque nationale du Canada lui présenta des plaques en
bronze à installer dans les deux salles de spectacles qu’il finançait. Ce
cadeau provenait du banquier André Bérard, auquel on avait cependant quelque
peu forcé la main.
Sur le plan des
relations publiques, la durée à long terme d’une action est un facteur important
à considérer au chapitre de la promotion. Je trouvais dommage que les
gestes posés par Pierre Péladeau pour le Centre Pierre-Péladeau et pour le
Pavillon des Arts de Sainte-Adèle ne reçoivent pas la reconnaissance méritée.
Par exemple, après un concert donné au Pavillon, on ne mentionnait pas la
participation de M. Péladeau, et rien n’indiquait que le Centre Pierre-Péladeau
portait ce nom à cause de la dévotion de l’homme d’affaires envers les
arts. J’ai donc eu l’idée de faire couler des plaques en bronze, lesquelles
rendraient hommage au fondateur de Quebecor pour son œuvre. Mon objectif
était d’immortaliser un peu le travail de Pierre Péladeau comme le font
les musées ou les établissements historiques un peu partout dans le
monde.
Je savais cependant
que Pierre Péladeau ne voudrait pas payer pour une telle coquetterie. J’ai
donc décidé de faire le tour de la liste des commanditaires du Pavillon des
Arts de Sainte-Adèle afin de cibler l’entreprise qui pourrait financer un
pareil projet, modeste en soi, d’environ 5 000 $. J’ai pensé à la Banque
nationale et j’en ai parlé à Carole Gagné, directrice des relations publiques,
qui en a touché un mot à André Bérard, président de la Banque. Il a accepté
l’idée.
J’ai finalement
abordé la question avec Pierre Péladeau, principal intéressé, pour lui
faire part du projet. Il devait être d’accord, sinon les plaques ne verraient
jamais le jour.
Il m’a répondu :
“ C’est une
bonne idée, mais je ne paierai pas pour ça.
– Non, ça ne
vous coûtera rien ! Elles sont payées par un commanditaire. La Banque nationale
a décidé de vous les offrir. ”
Il fut touché
par ce clin d’œil de son ami de la Banque qui avait immédiatement dit oui à
ma demande de financement. Pour M. Péladeau, ce geste était une marque de
respect de la part de M. Bérard et une sorte de reconnaissance à son égard.
Il mentionna souvent par la suite dans ses discours combien ce geste simple,
mais réalisé de bon cœur par André Bérard, lui avait fait plaisir. Il demanda
aussi que le compte bancaire du Pavillon fût transféré à la succursale de
la Banque nationale de Sainte-Adèle, une sorte de réponse au clin d’œil du
grand banquier de la rue voisine de Quebecor.
1.
Quelques noms parmi les principaux donateurs de 1995 à 1997 : Hydro-Québec,
la Banque nationale du Canada, Raymond Chabot, Martin Paré, Gravenor
Beck, Bell Helicopter Textron, Martineau Walker, Trustar, Léger &
Léger, Imasco, Lise Watier, Lévesque Beaubien Geoffrion, Dale
Parizeau-Sodorcan, la Banque Laurentienne, Bombardier, Merrill Lynch Canada,
Gaz Métropolitain, Bell Canada, Alcan, Provigo, Réno-Dépôt, KPMG Poissant
Thibault-Peat Marwick Thorne, Loto-Québec, le Groupe Aviation
Innotech-Execaire, Métro-Richelieu, la Banque Royale du Canada, Air Canada,
Alimentation Couche-Tard, Ogilvy Renault, Société canadienne des Postes,
Purolator, les Arts du Maurier, Téléglobe, Clermont Chevrolet.
2. Voir la
liste du Pavillon des Arts, en annexe 2.
CHAPITRE 12
Le dauphin
Pierre-Karl
Pierre-Karl Péladeau
était certainement celui que son père voulait voir occuper le siège de président.
Le problème est qu’il ne lui a jamais vraiment confirmé le poste de son
vivant et qu’en plus il le maintenait sur la corde raide en s’opposant à ses
idées et à ses méthodes de gestion.
Contrairement
à son père, Pierre-Karl n’a jamais voulu être à l’avant-scène médiatique. Je
me souviens, lorsque j’avais à travailler avec lui, qu’il me disait toujours
:
“ La vedette
c’est mon père ! Moi, je ne suis pas un acteur. ”
Peut-être
changera-t-il d’opinion un jour, mais Pierre-Karl Péladeau ne se voit pas
comme un patron de presse. Il a une façon industrielle d’aborder les choses.
Pour PKP, comme on le surnommait familièrement à l’époque, il importe
davantage de maximiser les retombées économiques des journaux et des
imprimeries que de véhiculer un message nationaliste comme son père l’a
toujours fait.
Pierre-Karl
devait normalement attendre quatre ou cinq ans après la mort de son père
avant de prendre la direction de l’empire. Je me rappelle, juste avant mon
départ, en janvier 1998, que quelqu’un de la direction m’a dit que l’on “
mâterait ” le jeune PKP et qu’il allait devoir attendre et apprendre à vraiment
faire des affaires. J’ai alors répondu que c’était bien mal évaluer la situation
et surtout le talent de Pierre-Karl.
Effectivement,
moins de 15 mois plus tard, au début de 1999, Pierre-Karl Péladeau devint
président et chef de la direction de Quebecor. Le jeune dauphin a évalué
les adversaires en lice et dans un style dont son père aurait été fier, il
s’est levé et il s’est emparé du fameux siège tant convoité de président.
* * *
Pierre-Karl Péladeau
a un style de direction plus moderne que celui de son père. Il voyageait beaucoup
au début de son arrivée à la présidence. Il se déplace moins aujourd’hui,
mais il se tient toujours informé des affaires internationales. Il parle
plusieurs langues : le français, l’anglais, l’allemand, l’italien et l’espagnol.
Pierre-Karl ne se permet pas de familiarités envers ses interlocuteurs
et il est très direct en affaires. Sur le plan personnel, il est plus sympathique,
mais il ne faut pas lui parler d’affaires.
Pierre-Karl affiche
plus son côté intellectuel que ne le faisait son père. Il se sent à l’aise
de montrer son savoir et peut tenir une discussion avec des universitaires
ou avec des gens de la haute finance. Il connaît suffisamment ce domaine
pour tirer son épingle du jeu avec les experts. Pierre-Karl Péladeau n’est
certainement pas un faible ni un trouillard, mais il est parfois timide.
On ne lit pas en lui comme en un livre ouvert.
Son enfance n’a
pas été facile, pas plus que pour son frère Érik et ses sœurs Isabelle et
Anne-Marie. Pierre-Karl a vécu un certain temps chez la famille de Raymond et
Marie Laframboise, ce qui lui a permis d’acquérir une forme d’indépendance
vis-à-vis de son père. Marie Laframboise est une femme extraordinaire et
très gentille que j’ai eu l’occasion de rencontrer souvent lors de concerts
de l’Orchestre métropolitain ou au Pavillon des arts.
Même si
Pierre-Karl n’aime pas être identifié à son père, il a plusieurs points en
commun avec lui, ce qui explique pourquoi les deux hommes étaient toujours
en compétition. Cette compétition expliquerait le désir pressant qu’a
aujourd’hui Pierre-Karl d’imposer sa propre marque à Quebecor et de faire
oublier qu’il est l’héritier du fondateur. Il veut prouver qu’il est aussi
capable de réaliser de grandes choses. C’est malheureux, mais à cause de
ce sentiment, immédiatement après le décès de Pierre Péladeau, certaines
œuvres comme l’Orchestre métropolitain ont été rapidement abandonnées.
Par contre, d’autres œuvres refusées par le père, comme La La La Human
Steps, ont été appuyées financièrement.
Je me rappelle
que Pierre-Karl avait demandé que Quebecor participe à la campagne de
financement de La La La Human Steps, troupe de danse que je trouvais
moi-même très intéressante. Pierre Péladeau s’était presque fâché.
Il m’avait
répondu : “ Monsieur Bernard, vous me faites perdre mon temps ! ”
Une autre différence
entre le père et le fils se trouve dans leur allégeance politique.
Pierre-Karl est apolitique et il dit qu’il fera en sorte de ne pas être au
pays le jour des élections.
* * *
Pierre-Karl Péladeau
a fait ses études au collège Jean-de-Brébeuf où il animait ponctuellement
une émission de la radio étudiante. On dit qu’il y lisait des extraits du Journal
de Montréal. C’était audacieux, car à Brébeuf on préférait Le
Devoir. Son premier emploi d’été en 1975 fut celui de photographe au Journal
de Montréal, comme Érik qui fut lui aussi photographe au journal à un
autre moment.
Pierre-Karl étudia
ensuite en philosophie à l’université de Montréal, comme son père. Il
s’y découvrit une vocation marxiste et se rebella contre sa famille. Il déménagea
pour s’installer avec Charles, fils de Roger D. Landry, ancien président
et éditeur de La Presse, dans un appartement qualifié de taudis
sur la rue Saint-Dominique à Montréal. Pierre-Karl ne voulait rien savoir de
l’argent de son père et il travaillait au Big Boy, restaurant greasy
spoon du quartier Côte-des-Neiges.
Pour ses 18 ans,
le 16 octobre 1979, son père avait organisé une petite fête en son honneur
au club Saint-Denis. Pierre-Karl se leva devant le groupe et lança :
“ Vous êtes tous
des bourgeois ! Je ne veux rien savoir de vous autres. Laissez-moi tranquille.
”
Son père lui
répondit :
“ Tu es libre,
mais si tu changes d’idée, tu seras le bienvenu ! ”
En 1982, à l’âge
de 21 ans, Pierre-Karl décida de partir pour la France et il s’inscrivit à la
maîtrise en philosophie à l’université de Paris VIII. Il s’isola dans ses
études, mais garda le contact avec sa sœur Isabelle à Montréal. En octobre
de l’année suivante, le jour de son anniversaire, son père débarqua à
Paris et l’invita au prestigieux restaurant Maxim’s. Ce fut alors une
sorte de réconciliation, selon ce qu’en disait Pierre Péladeau.
Pierre-Karl
s’inscrivit ensuite en droit à l’université Panthéon-Assas Paris II. Il poursuivit
ainsi ses études jusqu’en 1985 pour ensuite revenir à Montréal et travailler
chez Quebecor, tout en terminant ses études en droit et en préparant son
barreau. C’est à cette époque qu’il comprit la valeur de Quebecor et, surtout,
le potentiel de l’entreprise.
Pierre Péladeau
était très fier de son fils et il voyait d’un bon œil que ses enfants s’intéressent
à l’entreprise. À la fin des années 1980, Quebecor commençait à s’imposer
et les acquisitions se multipliaient. Les plus remarquables furent très
certainement l’achat de la papetière Donohue en 1987 et l’acquisition
des imprimeries Ronalds Printing de Bell Canada (BCE) en 1988, opération
qui amena Charles Cavell dans les rangs de Quebecor. C’est à ce moment, en
1988, que fut lancé le quotidien The Montreal Daily News.
Pierre-Karl Péladeau
n’avait pas encore 29 ans, en 1990, qu’il dirigeait l’acquisition des
imprimeries américaines de Maxwell Graphics d’une valeur de
510 millions de dollars. Les observateurs s’entendent pour dire que
c’est avec ce dossier qu’il commença à faire sa marque.
Pierre-Karl
était un travailleur infatigable qui restait très tard la nuit pour négocier,
sans manger ni boire. Cet acharnement n‘est pas sans rappeler les méthodes
utilisées par Brian Mulroney, lorsqu’il négociait à titre d’avocat des
conventions collectives pour ses clients dans les années 1970. L’opération
de Pierre-Karl permit d’ajouter 14 usines d’imprimerie, ce qui plaça
Quebecor au deuxième rang des imprimeurs en Amérique du Nord. C’est à ce
moment que l’empire prit véritablement forme.
Assez étrangement,
c’est aussi à partir de ce moment que les relations entre le père et le fils
ont recommencé à se détériorer, du moins verbalement. C’était un peu
comme si les succès du fils faisait craindre au père d’être éjecté de son
siège. Pierre Péladeau contestait presque toujours la manière de faire de
son fils. Il prétendait qu’il avait encore beaucoup à apprendre, malgré
ses succès.
Cette façon
d’agir était probablement sa façon de motiver Pierre-Karl et de le
pousser au-delà de ses limites. Lorsque je fus en poste auprès de Pierre
Péladeau, il m’a souvent dit qu’il était fier de son fils. Toutefois, il ne
le mentionnait jamais en présence de Pierre-Karl.
Dès 1991, je
savais que Pierre-Karl Péladeau remplacerait un jour son père. Mais dans la
vie rien n’est certain et Pierre Péladeau ne discutait jamais du choix d’un
successeur potentiel, ni devant les cadres de Quebecor ni devant son fils.
Le 30 octobre
1993, durant un colloque sur les entreprises familiales et la relève organisé
par le Dr Yvon Perreault de l’UQÀM, et pour lequel je devais préparer
l’allocution de Pierre Péladeau, ce dernier m’avait demandé de souligner
dans le texte l’apport important de tous ses enfants, en particulier celui
d’Érik, d’Isabelle et de Pierre-Karl. J’avais discuté avec Pierre Péladeau
durant un voyage à Québec et j’avais compris qu’il voulait surtout dire
qu’il n’était pas prêt à partir. J’ai alors eu l’idée de le comparer avec un
autre magnat que j’avais rencontré durant mon séjour à Moncton, Kenneth C.
Irving, mieux connu au Nouveau-Brunswick sous le nom de K.C. L’empire de ce
dernier ressemblait un peu à Quebecor avec la particularité que ses
trois fils, Jack, Jim et Arthur, alors âgés de plus de 60 ans, appelaient
encore leur père papa (Father) au bureau. Le fondateur, bien qu’âgé de
90 ans, n’avait pas encore passé le flambeau. Il a fallu attendre son
décès, vers la fin des années 1990, pour que les trois fils deviennent héritiers
en règle de l’entreprise, mais avec une clause au testament qui forçait
ces derniers à s’établir aux Bahamas, sinon pas d’héritage…
Lors du colloque
sur les entreprises familiales, Pierre Péladeau avait donc inscrit dans
son texte mon allusion à K.C. Irving et il avait rajouté :
“ Je suis très
fier des performances de mes fils Érik et Pierre-Karl, mais je n’ai surtout
pas l’intention de quitter ma chaise. ”
Certains journalistes
ont rapporté que ce discours avait profondément troublé Pierre-Karl qui
voulait tout abandonner.
* * *
J’ai toujours
pensé que Pierre Péladeau admirait Pierre-Karl, mais je n’ai jamais compris
pourquoi il ne le lui disait pas. C’est comme s’il ne réussissait pas à lui
avouer son amour de père et son admiration pour l’énergie et l’audace dont
il faisait montre au travail.
J’étais présent
lorsque Pierre-Karl est arrivé à l’Hôtel-Dieu de Montréal le 2 décembre
1997. Je le revois encore devant le lit en métal de son père que l’on avait installé
dans une chambre individuelle. L’image était celle d’un fils qui aime son
père. Durant les premières journées où je me rendais encore visiter Pierre
Péladeau, j’ai pu constater que c’était Pierre-Karl qui avait pris les choses
en main. Il était continuellement à son chevet et les autres écoutaient
ses consignes. Il a dit plusieurs mois plus tard en entrevue :
“ J’ai toujours
gardé espoir de le revoir vivant. ”
Pierre-Karl Péladeau
était l’héritier en ligne pour assurer la relève, en compagnie de son
frère Érik. Le testament n’a jamais été lu en dehors de la famille, mais on sait
que le fondateur a légué à parts égales les actions votantes majoritaires
de Quebecor appartenant à la famille, soit 66,24 % des droits de vote en
date du 6 février 2002.
Érik Péladeau
n’a pas du tout la même personnalité que son frère et il n’est pas surprenant
que les deux se soient très bien entendus sur le partage des pouvoirs, et
ce, sans aucun conflit.
Pierre-Karl Péladeau
est un gestionnaire beaucoup plus cartésien que son père, mais il a hérité
de son énergie. Comme son père, il parcourt à la nage 50 longueurs de
piscine chaque matin au Sporting Club de sa résidence du Sanctuaire à Montréal.
À l’instar de son père qui disait avoir été champion au tennis, Pierre-Karl
est très habile dans les sports. Il a longtemps affiché sur son bureau du 612
de la rue Saint-Jacques Ouest une photo de lui le représentant en train de
faire du ski nautique.
Pierre-Karl a
une fille, Marie, née en avril 2000 de son mariage avec Isabelle Hervet,
fille d’un grand banquier français. Le couple est séparé et Pierre-Karl fréquente
Julie Snyder, animatrice et productrice.
J’ai eu l’occasion
de collaborer avec Mme Hervet à l’occasion de la préparation
du mariage en 1994. Pierre Péladeau était inquiet par rapport au protocole
et, surtout, il voulait que je m’assure que le message qu’il voulait
livrer aux invités soit approprié. Plus tard, en 1996, la présence à Paris
de la famille Hervet facilita la coordination du dossier de la Légion
d’honneur accordé à Pierre Péladeau.
J’ai bien connu
aussi Julie Snyder ; elle avait collaboré à quelques reprises aux activités
organisées par Pierre Péladeau. Julie est une fille très énergique, mais
qui a eu une enfance difficile, comme Pierre-Karl. J’avais des contacts
professionnels réguliers avec Julie, avant le décès de M. Péladeau en 1997,
mais comme mes activités ne me lient plus au milieu artistique, je ne la
revois pas souvent.
Pierre-Karl Péladeau
a toujours été considéré comme un beau garçon et il est certain que son
père se “ mirait ” en lui. Il n’hésitait pas à dire qu’il trouvait
son fils beau.
Pierre-Karl mène
une vie plutôt sobre sur le plan des loisirs et de ses dépenses personnelles.
Contrairement à d’autres hommes d’affaires riches, il n’a pas de voiture
sport extravagante ou de collection quelconque. Il aime faire du sport et
fumer un bon cigare à l’occasion.
* * *
Depuis sa venue
à la direction de Quebecor, Pierre-Karl Péladeau a poursuivi les acquisitions.
Il s’est fait remarquer par son audace et sa témérité.
La première
transaction importante fut sans aucun doute la fusion de Sun Media avec Quebecor
à la fin de 1998. L’entente fut signée le 9 janvier 1999 à Toronto entre
Paul Godfrey, grand patron de Sun Media, et Pierre-Karl Péladeau qui était
accompagné de Charles Cavell. C’est à la suite d’une offre d’achat hostile
en octobre 1998 par Torstar (Toronto Star), entreprise rivale, que Quebecor
devint propriétaire de la totalité des actions. Malgré l’échec de son père
en 1996, Pierre-Karl a réussi à s’imposer à Toronto en grande partie grâce à
Charles Cavell qui avait conservé ses contacts avec Godfrey. La nouvelle
filiale, Corporation Sun Media, permettait alors à Quebecor d’augmenter
considérablement ses journaux et de centraliser la gestion de ses
publications, en plus d’occuper une place de choix sur le marché ontarien.
Une deuxième
acquisition de grande importance fut l’achat de l’imprimerie américaine
World Color Press en 1999. Cette transaction atteignit 2,7 milliards de
dollars américains et créa une nouvelle entité. Quebecor World devint par
le fait même le plus grand imprimeur au monde, devançant le compétiteur
américain Donnelley. Quebecor World compte environ 40 000 employés et
plus de 160 usines partout dans le monde. Les activités sont liées
entre elles par un même site virtuel à partir de la Suisse. Toutes les commandes
de papier, d’encre et de machines sont regroupées à partir de ce site, ce
qui permet d’obtenir une meilleure synergie, de meilleurs prix et, par conséquent,
une marge de profit accrue.
La vente de la
participation de Quebecor dans Donohue et la fusion des activités en
avril 2000 a été une autre opération financière d’envergure qui tournait
la page sur une époque importante de l’histoire de l’empire Quebecor. Il
s’agissait cependant d’un délestage plutôt que d’une nouvelle acquisition.
C’est Abitibi-Consolidated qui est devenu le nouveau propriétaire des usines
de Donohue.
Mais c’est sans
contredit l’acquisition de Vidéotron qui a transformé l’importance de
Quebecor au Québec. La transaction, réalisée à la fin de mars 2000,
lia Quebecor inc. et Capital Communication, filiale de la Caisse de
dépôt et placement du Québec. Une opération de l’ordre de 5,4 milliards
de dollars. La structure de l’opération accordait 54,6 % des actions à Quebecor,
14,0 % à Capital Communication et 31,4 % en actions échangées en Bourse.
Cette offre d’achat était audacieuse, car le prix payé de 49 $ par action
de Vidéotron était de beaucoup supérieur à l’offre de Rogers.
L’ensemble de
l’actif en communication a été intégré à la nouvelle entité qui comprend
Vidéotron Cable, Sun Media, TVA, les magazines de Quebecor, ainsi que les
éléments d’actif internet Canoe, Netgraphe et Informission.
Pierre-Karl Péladeau
est aujourd’hui à la tête d’un empire dont les revenus annuels dépassent les
12 milliards de dollars selon les chiffres de décembre 2002. Comme le
mentionne la capsule des communiqués de presse de l’entreprise, celle-ci
exerce ses activités partout en Amérique du Nord, en Europe, en Amérique
du Sud et en Asie. Elle exploite cinq secteurs d’activité : l’édition de
journaux, de magazines et de livres, la vente et la distribution de
disques, la télédiffusion, le multimédia et l’imprimerie. Quebecor
compte près de 60 000 employés dispersés dans quinze pays.
Du petit atelier
d’imprimerie du Journal de Rosemont sauvé de la faillite en 1950
par Pierre Péladeau, grâce à un prêt de 1 500 $ de sa mère Elmire, le rêve a
dépassé les plus grandes espérances. Il a fallu un demi-siècle pour que
l’entreprise québécoise s’affirme et dépasse les frontières.
Le fils du fondateur,
Pierre-Karl Péladeau, est né 11 ans après le début de l’aventure, mais il se
trouve aujourd’hui à la barre d’une des plus importantes créations industrielles
de notre époque.
Le rêve de
Pierre Péladeau était de faire oublier la faillite de son père et de prouver,
entre autres à sa mère, qu’il était un meilleur homme d’affaires. Il a gagné
son pari. C’est maintenant au tour de son propre fils d’entrer en scène et
d’essayer de montrer que l’aventure se poursuit.
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CHAPITRE 13
L’après-Péladeau
L’histoire se
répète inlassablement d’une époque à une autre. De jeunes entrepreneurs,
hommes ou femmes, lancent une affaire à partir d’une simple idée. L’entreprise
grandit, parfois au-delà de toute espérance, et elle devient gigantesque.
Puis le cycle
tourne. Le jeune entrepreneur devient vieux et il s’éteint. Ses enfants, s’il
en a, peuvent alors prendre la relève ou tourner la page en vendant l’entreprise.
L’histoire de
Quebecor n’est pas unique. Il s’agit de l’histoire d’une entreprise familiale
qui a réussi et pour laquelle nous en sommes à la deuxième génération. Que
nous réserve l’avenir ?
Pierre Péladeau
répétait souvent :
“ On ne naît pas
entrepreneur, on le devient. ”
Il disait aussi
qu’il y a trois sortes de personnes :
“ Ceux qui font
partie de la parade ; ceux qui regardent passer la parade et ceux qui ne
savent pas qu’il y a une parade. ”
Pierre Péladeau
a non seulement mené la parade, mais il l’a créée.
Un journaliste
lui a demandé quelques mois avant sa mort s’il était heureux à l’approche
de la fin. Il a répondu :
“ J’ai réussi
dans la vie, mais je n’ai pas réussi ma vie. ”
C’est une nuance
importante. Pierre Péladeau a choisi de consacrer sa vie à bâtir un empire,
au détriment de sa vie privée et aux dépens de son propre bonheur. Mais
M. Péladeau était un rebelle et il n’acceptait pas de s’en faire imposer.
On peut présumer qu’il a assumé ses choix jusqu’à la fin de sa vie.
Qu’arrivera-t-il
de l’empire Quebecor ? Pierre-Karl Péladeau poursuit l’élan amorcé par son
père d’une façon frénétique et presque dangereuse. Certains le voient
comme un coureur automobile qui se dirige droit dans un mur de béton.
La taille de
l’empire Quebecor est énorme, mais son évolution a été progressive et
elle a profité d’événements ponctuels tout au long de son histoire. De
plus, la teneur des critiques n’est pas tellement différente aujourd’hui,
en 2003, de ce qu’elle était en 1990. Il suffit de relire l’article publié
dans le magazine L’Actualité du 15 avril 1990, précisément celui qui
a tant bouleversé Pierre Péladeau et son entreprise. Les analystes financiers
y mettaient en garde les investisseurs contre Quebecor. Voici un extrait
de l’article de Jean Blouin :
“ La dette de Quebecor atteint 800 millions
de dollars, dit l’analyste financier chez Midland Doherty : soit un dollar
dix pour chaque dollar des actionnaires. C’est énorme ! Le plus inquiétant,
c’est que l’entreprise n’a presque plus de marge de manœuvre.
” Les dernières acquisitions ont coûté
cher. Les taux d’intérêt sont élevés. Les profits de Donohue sont à la
baisse. On a englouti 10 millions de dollars dans le Montreal Daily News
avant de mettre le cadenas à la porte. Super-Hebdo, qui devait éliminer
tous les journaux de quartier de l’île de Montréal, s’apprête à subir le
même sort : 10 millions de dollars envolés en fumée. La Bourse a réagi, et en
quelques mois, les actions de Quebecor sont tombées de 20 $ à 13 $ (au 8
mars).
” Quebecor a beau avoir des filiales dans
tout le continent, les milieux financiers montréalais se méfient de Pierre
Péladeau. On le trouve imprévisible, brouillon. Pourquoi, demande-t-on,
avoir acquis Donohue quand les spécialistes étaient unanimes à prédire,
pour le début de la décennie, plusieurs années de vaches maigres pour les
fabricants de papier journal ? La présence de Robert Maxwell à ses côtés
(il détient 49 % des actions) ne rassure pas tout à fait. ”
Un peu plus loin dans l’article :
“ Je ne veux pas d’actions de Quebecor, même
pour mes placements à haut risque ! s’exclame le provocant Stephen Jarislowsky,
un des plus importants administrateur de fonds de pension au Canada. Je
n’ai pas confiance. Je vais attendre un an, même deux. ”
* * *
Treize ans plus
tard, en 2003, la situation n’a pas vraiment changé en ce qui concerne les
critiques des observateurs. Seule la cible a changé de nom. Aujourd’hui,
plutôt que de s’attaquer au père, que l’on qualifie maintenant de gestionnaire
prudent et presque génial, on critique le fils en lui attribuant les même
qualificatifs que ceux qui étaient autrefois accolés au fondateur de
Quebecor. On prétend que Pierre-Karl est trop audacieux et qu’il va faire
couler l’empire bâti par son père. On lui a même reproché d’avoir vendu Donohue,
que l’on avait reproché à son père d’avoir achetée. L’article publié dans le
journal La Presse de Montréal, en date du 5 décembre 2002, présente
un exemple des attaques en règle contre la formule Pierre-Karl. Dans ce
texte, signé Michèle Boisvert, c’est Stephen Jarislowsky qui mène la charge,
le même qui s’attaquait au père dans l’article de L’Actualité de
1990. Voici un extrait de l’article :
“ Quebecor inc. a de bons éléments d’actif,
mais ils sont très mal gérés. Il y a trop de gens de qualité qui ont quitté
l’entreprise et ses filiales. L’annonce récente des départs de Charles
Cavell et Christian Paupe, les deux plus importants dirigeants de Quebecor
World, en est un bon exemple. Pierre-Karl Péladeau est intelligent, mais il
ne pourra pas réussir tout seul. Il en a actuellement trop dans son
assiette. Il court dans toutes les directions.
” La firme de Stephen Jarislowsky détient
19,6 % des actions avec droit de vote subalterne de Quebecor inc.
” Au 30 septembre dernier [2002], la dette
totale de Quebecor inc. s’élevait à 6,9 milliards de dollars dont
3,7 milliards liés à Quebecor Media.
” Je ne voudrais pas être à la place de
Pierre-Karl Péladeau. Avec la dette énorme que Quebecor a contractée, il
est dans le pétrin. Au fond, il me fait un peu pitié. La situation est très,
très difficile pour lui.
” C’est terrible que Quebecor inc. se soit
endettée au point où elle se trouve obligée de vendre des actions d’une
entreprise qui va bien, pour renflouer une entreprise qui ne marche pas ”,
déplore M. Jarislowsky.
Plus loin dans
l’article, la journaliste demande au gestionnaire ce qu’il pense des
rumeurs selon lesquelles un groupe de dirigeants de Quebecor World, soutenu
par le Holding Kohlberg, Kravis Roberts & Co, de New York, aurait
proposé d’acquérir Quebecor World. Ces rumeurs avaient été niées catégoriquement
par Quebecor inc. dès qu’elles avaient commencé à circuler. Dans l’article,
M. Jarislowsky affirme que, si cette rumeur était cependant fondée, et si le
groupe KKR offrait un bon prix, Quebecor devrait sérieusement envisager
une vente. Il poursuit en lançant un message direct à Pierre-Karl Péladeau,
l’égratignant au passage :
“ Il lui faut une équipe solide, un bon conseil
d’administration et un bon mentor. Il faudra aussi que Pierre-Karl
Péladeau écoute son conseil d’administration, et respecte le mandat
qu’on lui donnera. M. Péladeau est un homme intelligent, il n’y a pas de
doute, mais ce n’est pas un homme facile pour les gens qui travaillent pour
lui. ”
* * *
Est-ce que
Pierre-Karl Péladeau gagnera son pari ?
Il faudra attendre
de voir l’évolution de l’empire au cours des prochaines années. Mais une
chose est sûre : plus ça change, plus c’est pareil. Quebecor n’est pas la
seule entreprise aux prises avec le changement. C’est un phénomène universel
: on naît, on grandit et on s’éteint. Ce qu’il importe de savoir, c’est à quel
stade se situe l’évolution de Quebecor.
Par ailleurs, si
l’on regarde dans l’ensemble des entreprises de communication qui ont
pris le virage du multimédia, il se trouve aussi des géants de cette industrie
qui se sont effondrés. Ils étaient pourtant plus en moyens et avaient de
meilleures assises que Quebecor Media. Des entreprises ayant connu cet
effritement sont cotées au plus bas niveau de NASDAQ, lorsqu’elles ne font
pas partie des grandes disparues des deux dernières années.
Mais Quebecor
Media est encore debout.
Sur le plan pratique,
il sera intéressant de voir les rôles que joueront les autres enfants de
Pierre Péladeau. Que feront Simon-Pierre, Esther et “ Petit Jean ” ? Isabelle
s’est retirée de Publicor en octobre 1998 et elle s’occupe de sa famille.
Érik est toujours très actif, mais discret.
Souvent, lorsque
je suis dans le Vieux-Montréal et que je marche vers le centre-ville en remontant
la rue McGill, je passe devant l’édifice du 612 de la rue Saint-Jacques Ouest.
À l’occasion, je rencontre d’anciens collègues de travail de Quebecor
avec qui j’étais quotidiennement en contact, et que Pierre Péladeau aimait
particulièrement : Claudine Tremblay, qui était à l’époque la secrétaire
juridique avec qui je devais vérifier chaque information sur Quebecor
avant publication ; Micheline Mallette, secrétaire d’Érik et Chantale
Lalonde, son assistante personnelle ; Madeleine Bergeron, secrétaire de
Pierre-Karl durant les années où j’étais l’adjoint du père ; Michel Malo, messager
maison qui dépannait souvent Pierre Péladeau en le conduisant à l’héliport.
C’est inévitable,
chaque fois que la conversation s’engage au-delà du simple bonjour,
l’échange fait toujours allusion “ à l’époque de Pierre Péladeau ”. Les
remarques sont généralement les mêmes : “ on aimait beaucoup Monsieur
Péladeau ”.
La réaction est
semblable, même à l’extérieur du personnel de Quebecor. J’ai souvent
l’occasion de croiser Vasco Ceccon et Francine Léger, propriétaires de
Vasco Design. Ils étaient de grands amis de Pierre Péladeau bien avant que
j’arrive chez Quebecor. Je les ai bien connus, car ils ont réalisé la majorité
des rapports annuels de l’entreprise entre 1991 et 1997. Péladeau les
aimait bien aussi, et il appréciait leur travail. Souvent, lorsque la firme
de conception graphique envoyait sa facture, il s’exclamait que c’était
trop cher. Il téléphonait alors à Vasco et il négociait un rabais de
quelques centaines de dollars. Vasco Design ne produit plus les rapports
annuels de Quebecor, mais les propriétaires de cette firme conservent,
eux aussi, un souvenir impérissable du fondateur.
* * *
En ce qui me concerne,
lorsque j’ai quitté Quebecor en janvier 1998, je suis devenu consultant
privé. J’ai contribué à plusieurs projets depuis cinq ans.
Parfois, je dois
faire face aux conséquences du passé et aux retombées de certaines victoires
remportées par Pierre Péladeau. Un exemple de ces conséquences est la
perte d’un mandat que j’avais obtenu à Québec en avril 2001 avec un ministre
important du gouvernement de Bernard Landry. Je devais le conseiller au
chapitre des communications. J’ai commencé le travail le 11 avril au
matin, date d’anniversaire de naissance de M. Péladeau, mais vers 16
heures, le chef de cabinet, qui était une femme, m’a dit :
“ Je regrette,
mais on ne pourra pas continuer. Tu es probablement très efficace, mais
j’ai reçu un appel téléphonique m’avisant qu’il valait mieux ne pas t’avoir
avec nous. ”
J’en ai appris
la raison par la suite : un responsable d’un grand cabinet de relations
publiques à Montréal, très proche du gouvernement de Bernard Landry,
avait eu maille à partir avec Pierre Péladeau. Ce dernier avait ordonné en
1994, à l’occasion de l’inauguration de Quebecor Multimedia, que l’on
annule un contrat d’organisation d’événement lorsqu’il avait appris que
cette firme avait été embauchée par son fils Érik. Pierre Péladeau en avait
contre le président de la firme en question pour une raison personnelle.
C’est le genre
de représailles qui peut exister dans le monde des affaires, mais il ne faut
pas trop s’en formaliser. D’ailleurs, deux semaines plus tard, j’ai obtenu
un mandat beaucoup plus intéressant : diriger les communications pour
la société Air France au Canada.
You miss a
deal, you get a deal !
* * *
L’histoire est
une roue qui tourne. Pierre Péladeau disait que les affaires sont aussi
comme une roue qui tourne. L’important est qu’elle ne s’arrête jamais.
C’était là son secret, m’avait-il dit : toujours conserver la roue en mouvement.
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Photos prises lors du lancement officiel du livre à la Bibliothèque nationale du Québec
en février 2013.
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Photos prises lors du lancement officiel du livre à la Bibliothèque nationale du Québec
en février 2013.
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VOIR LIVRE PARTIE 2: "PIERRE PÉLADEAU 10 ANS PLUS TARD" (2007)
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1 commentaire:
j'aurrais tellement aimé vous présenter mon oeuvre M. P vous dire unpeu comme PET check moi ben aller .. merci de m'acompagner , pour Merlin , Vincent , Etienne et Sacha. xx christ........ lol
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